Le vote du Parlement européen mi-septembre contre la proposition d’acte délégué de la Commission européenne qui encadrait les conditions environnementales pour la production d’hydrogène dans l’Union européenne et pour l’hydrogène importé remet au centre du débat la place de l’hydrogène et en particulier de ses importations dans la transition du système énergétique européen. L’UE s’oriente aujourd’hui vers une stratégie de production domestique et d’importation d’hydrogène dans des proportions similaires à horizon 2030, 10 millions de tonnes dans les deux cas, pour atteindre ses objectifs du plan REPowerEU. Ces discussions institutionnelles au niveau européen portant sur la définition d’un hydrogène « vert » et dans le cas des importations, des conditions pour que des partenariats d’échanges internationaux entre l’UE et des pays tiers soient durables et participent à la transition énergétique globale, sont capitales en ce qu’elles poseront le cadre pour une industrie amenée à se déployer et à jouer un rôle dans la décarbonation profonde de l’économie européenne. Néanmoins, si l’ambition du Parlement européen est de fixer des conditions insuffisamment ambitieuses, le risque est de développer de l’hydrogène de façon contre-productive pour la décarbonation et de compromettre la coopération internationale pour l’action climatique.

Le Parlement européen a voté mi-septembre contre un acte délégué proposé par la Commission européenne sur les règles de production d’hydrogène « vert », éligible aux aides publiques européennes. Même s’il est probable que les compromis finaux entre Conseil de l’UE, Parlement et Commission européenne évoluent lors des discussions en trilogue autour de la refonte de la directive sur les énergies renouvelables qui devraient s’achever début 2023, la position du Parlement actuelle relaxe dans l’immédiat les conditions environnementales sur la production d’hydrogène dans l’UE et supprime les conditions sur les importations éventuelles d’hydrogène. Or ces critères sont nécessaires pour plusieurs raisons.

Des importations d’hydrogène, une potentielle opportunité économique « gagnant-gagnant »

La Commission européenne a publié sa stratégie hydrogène pour la neutralité climat à l’été 2020, alors que de nombreux États membres faisaient de même. L’objectif est à la fois d’assurer la décarbonation des secteurs de l’industrie lourde et du transport de longue distance, mais aussi de garantir la compétitivité de l’industrie européenne sur les filières hydrogène encore naissantes et qui sont importantes pour réaliser l’Accord de Paris sur le climat. Outre la construction de filières industrielles européennes, de nombreux acteurs publics (comme la Commission européenne, l’Allemagne, la Namibie, l’Australie) et industriels (le consortium European Hydrogen Backbone) explorent la possibilité de construire des routes d’échanges commerciaux d’hydrogène ou produits dérivés vers l’Europe. 

En théorie, l’intérêt de développer des échanges internationaux d’hydrogène et produits dérivés est de mieux répartir les ressources bas-carbone dans le monde : l’Europe pourrait profiter de l’électricité d’origine solaire ou éolienne moins onéreuse et plus abondante issue d’autres régions du monde mieux dotées, tandis que ces régions pourraient s’appuyer sur ces partenariats pour développer leur système énergétique. Ainsi, l’hydrogène pourrait devenir un pilier de la coopération internationale pour la transition énergétique. Mais de tels partenariats doivent remplir certaines conditions. 

Une première condition est économique. Si plusieurs études indiquent que malgré des coûts de transport supérieurs par rapport à de l’hydrogène local, il pourrait être profitable économiquement d’importer de l’hydrogène en Europe, des questions techniques subsistent quant aux modalités de transport. Sur des distances de l’ordre du millier de kilomètres, il est a priori moins cher de transporter l’hydrogène par tuyau, comme c’est majoritairement le cas pour le gaz naturel aujourd’hui, d’autant plus si les canalisations d’hydrogène sont rénovées à partir de celles de gaz naturel. Pour un transport de plus longue distance, il est possible de transporter l’hydrogène sous forme liquéfiée ou sous forme d’ammoniac, même si ces deux filières sont moins matures technologiquement et relativement plus coûteuses, comme l’expose une récente étude Iddri

L’hydrogène pour quoi faire ? Les usages détermineront les besoins d’hydrogène importé 

Au-delà du coût final de l’hydrogène importé selon sa provenance et son mode de transport, l’opportunité de construire de telles chaînes de valeur dépend aussi de l’usage final de l’hydrogène. S’il peut techniquement être utilisé dans un grand nombre d’applications, il est souvent plus efficace sur le plan énergétique et moins cher d’utiliser des alternatives, et l’hydrogène ne jouerait un rôle clé pour la décarbonation que dans certains secteurs prioritaires de l’industrie lourde (raffinage, industrie chimique, acier) et du transport de longue distance aérien et maritime (voir étude Iddri). Il est probable qu’un hydrogène importé soit plus ou moins compétitif selon l’usage envisagé, ce qui incite à clarifier les objectifs en termes d’usages par segment d’activité pour planifier les besoins d’hydrogène importé. Par exemple, pour la fabrication d’acier, il existe peu d’alternatives et le coût de l’hydrogène affecterait peu le coût des produits finaux, alors que pour les camions de longue distance, l’hydrogène est en forte compétition avec des camions à batterie.

Enfin, d’autres considérations qu’économiques doivent aussi entrer en ligne de compte et, en particulier, la sécurité énergétique ; le risque de créer de nouvelles dépendances aux importations pour des secteurs industriels clés en Europe comme la sidérurgie ou l’industrie chimique, peut faire pencher la balance vers une plus grande part de production domestique d’hydrogène.

L’importance de critères ambitieux sur l’hydrogène importé : éviter un ralentissement de la décarbonation et une concurrence déloyale aux filières européennes 

Les filières hydrogène étant naissantes, les volumes de consommation et d’échanges d’hydrogène « vert » à horizon 2030 devraient rester relativement limitées et représenteront une fraction du système énergétique européen. Les 10 Mt (330 TWh) d’importation d’hydrogène renouvelable à horizon 2030 devraient provenir en priorité d’Ukraine, d’Afrique du Nord et des pays autour de la mer du Nord d’après le plan REPowerEU de la Commission européenne. Pourtant, aujourd’hui, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, connectés à l’UE via des pipelines de gaz naturel, produisent en totalité 150 TWh d’électricité, dont seulement 10 TWh d’électricité renouvelable, le reste étant d’origine fossile. Augmenter la production d’électricité renouvelable pour à la fois couvrir les besoins nationaux et exporter de l’hydrogène représente un défi technique et politique considérable pour cette région.

La priorité est donc de construire un cadre réglementaire et industriel clair pour prévoir de potentiels investissements et des liens de coopération entre pays. Une première question importante est celle du partage de la valeur entre pays producteurs et consommateurs. L’objectif n’est pas d’opérer un transfert de technologie vertical, mais de construire des voies de prospérité partagées pour la transition globale (voir blog Iddri). L’autre enjeu est l’additionnalité, pour éviter de déplacer des capacités de production électriques renouvelables qui auraient pu être utilisées pour décarboner le les usages électriques domestiques directs. Outre l’enjeu de décarboner les systèmes électriques locaux, il s’agit de ne pas défavoriser les filières industrielles européennes qui seront soumises à des critères d’additionnalité.

Ces critères pourraient concerner à la fois les émissions issues de la production d’hydrogène destiné à l’exportation, mais également la répartition des ressources en eau et en électricité renouvelable entre consommation locale et exportations, l’électrolyse pouvant créer des conflits d’usages dans certaines régions, notamment lorsque l’accès à ces ressources n’est pas assuré au niveau local. Pour une transition juste, les partenariats entre importateurs et exportateurs doivent assurer un partage de la valeur équitable.

Si l’UE ne formule pas de critères stricts au niveau économique, environnemental et social pour les importations, elle risque de gâcher l’opportunité d’accélérer la transition au niveau global pour diminuer les émissions des pays industrialisés très émetteurs et construire des filières d’énergies bas-carbone dans des pays en développement.