Pour rehausser l'ambition collective en matière de changement climatique, les pays doivent présenter, d'ici la fin de l'année prochaine, des engagements (NDCs) plus ambitieux en matière de réduction des émissions au cours de la prochaine décennie. Les champions de l'ambition – parmi lesquels la présidence chilienne de la COP 25, le secrétaire général des Nations unies, et les pays qui se sont déjà engagés à réduire leurs émissions à zéro et qui sont très vulnérables aux impacts climatiques – utiliseront la conférence de Madrid pour convaincre d'autres pays, en particulier les grands émetteurs, de présenter des NDCs qui reflètent au mieux leur « ambition la plus élevée possible ». Pour y parvenir, les conditions dans lesquelles d'autres pays pourraient envisager leurs NDCs améliorées comme un avenir plausible doivent être analysées, notamment l'appui et la coopération internationaux, et une meilleure prise en compte de la justice sociale. Alors que les pays sonderont leurs intentions mutuelles dans les couloirs de la COP de Madrid, quels éléments peuvent être considérés comme une marque d'ambition pour les prochaines NDCs ? Plusieurs publications récentes de l'Iddri éclairent ce point.

En signant l'Accord de Paris sur le climat, les pays sont convenus de renforcer leurs engagements nationaux tous les cinq ans afin de refléter leur « ambition la plus élevée possible » visant à limiter le réchauffement climatique à bien en dessous de 2°C et de poursuivre leurs efforts pour atteindre 1,5°C de plus que la période préindustrielle. Depuis décembre 2015, la science a rendu plus claires les réductions drastiques nécessaires pour éviter les pires impacts du changement climatique, mais la situation géopolitique est beaucoup moins favorable à une action multilatérale sur le climat. Alors que l'échéance de 2020 pour la communication des contributions déterminées par les pays (NDCs) améliorées approche, rien n'indique que les grands émetteurs soient encore fermement déterminés à accroître leur contribution. À ce jour, les pays qui ont envoyé un signal clair en faveur d'une amélioration représentent moins de 10 % des émissions mondiales1 , et seules les Îles Marshall ont présenté une NDC améliorée. Et des doutes subsistent sur la question de savoir si le contenu des NDCs sera proche de la réduction de 50 % des émissions de CO2 par rapport à 2010 que le GIEC estime nécessaire pour limiter les pires impacts du changement climatique dans son rapport spécial sur 1,5°C. Les NDCs actuelles soumises avant la COP 21 en 2015 sont, presque par définition, insuffisantes pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Leur mise en œuvre complète mettrait le monde sur la voie d’un réchauffement à 3°C ou plus, loin du seuil de réchauffement de bien en dessous de 2°C, et encore moins de 1,5°C. Les principaux émetteurs gardent pour l’instant leurs cartes dans leur manche, et nombreux sont ceux qui s'attendent à ce que ce soit l'UE et la Chine qui in fine façonnent le succès ou l’échec de la COP 26. Mais l'UE, où la nouvelle présidente élue de la Commission soutient sans réserve le relèvement de l'objectif de 40 % à -50 %, voire -55 % des gaz à effet de serre d'ici 2030, n'est pas certaine du processus de soumission de sa contribution ni de la manière dont elle permettra aux États membres d'atteindre ce nouvel objectif. Considérant que la Chine représente plus d'un quart des émissions mondiales et que ses investissements à l'étranger façonnent l'intensité carbone future de nombreux pays, sa prochaine contribution sera particulièrement étudiée.

Comment les pays devraient-ils concevoir leurs NDCs renforcées et comment évaluer leur ambition ?

Ne considérer que les changements à court terme dans l’évolution des émissions pour évaluer l'efficacité globale de la lutte contre le réchauffement climatique serait une illusion. Avant la COP 21, les émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie ont stagné pendant quelques années et ont même légèrement diminué dans les principales régions du monde (UE, États-Unis, Inde et Chine), laissant espérer que le monde était proche d'un pic d'émissions. Toutefois, cet espoir s’est envolé tandis que les émissions sont reparties à la hausse à partir de 2016. Comme le montre une étude récente de l’Iddri (Spencer et al., 2019), la bonne nouvelle est que ni l'une ni l'autre de ces tendances n'était un bon indicateur de l'efficacité des mesures climatiques. De meilleurs indicateurs structurels et financiers sont nécessaires pour l'évaluer. La mauvaise nouvelle, c'est qu'en y regardant de plus près, la transition énergétique n'a pas encore commencé à l'échelle mondiale. Des progrès ont été réalisés dans la décarbonation de l'électricité, mais celle-ci reste trop lente et dépendante de résultats positifs de court terme et sans perspectives à long terme, comme le passage du charbon au gaz. Il n'y a pas de transition perceptible dans d'autres secteurs tels que les transports, le bâtiment ou l'industrie au niveau mondial.

L'examen du champ d'application d'une NDC peut être un premier indice d'une ambition accrue (Robiou du Pont & Vallejo, 2019). Aller au-delà d'un objectif global d'émissions pour inclure des stratégies et des objectifs sectoriels ajoute de la transparence et de la crédibilité à cet objectif et facilite sa mise en œuvre. Dans le secteur de l'énergie, compte tenu de la croissance prévue de la demande d'énergie dans la plupart des pays, s'engager à réduire la consommation de combustibles fossiles est plus important que de s'engager à accroître la capacité de production d'énergies renouvelables. Les pays devraient élaborer des stratégies distinctes pour la réduction des gaz autres que le CO2, tels que les HFC (hydrofluorocarbures) provenant de la climatisation ou le méthane provenant de l'agriculture et de la production d'énergies fossiles. Par ailleurs, bien que les inventaires de GES soient limités au territoire d'un pays, rien n'empêche les pays dans leurs NDCs de s'engager à s'attaquer à leurs émissions au-delà de leurs frontières, par exemple dans les transports aériens et maritimes internationaux, ou à tenir compte de l'impact de leurs décisions d'investissement public à l’étranger. C'est d'autant plus vrai pour la Chine, dont l'ampleur des investissements dans les combustibles fossiles dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie pourrait compromettre l'Accord de Paris en l'absence de normes plus écologiques2 .

La conception d'une stratégie de long terme pour un développement bas-carbone (Long-Term Strategy) est un autre moyen important de s'assurer que les NDCs ne ferment pas d’options pour la décarbonation profonde requise (Robiou du Pont & Vallejo, 2019). Malgré des points de départ, des contextes nationaux et des préférences différents, une NDC véritablement ambitieuse devrait être orientée vers l'objectif de zéro émission nette pour tous les gaz à effet de serre dans la seconde moitié du siècle, aucun autre horizon n’étant possible pour une action climatique sérieuse. Comme le montre l'Initiative Deep Decarbonization Pathways3 , les stratégies de long terme permettent d'explorer différentes trajectoires de décarbonation au niveau sectoriel : elles peuvent ainsi aider à clarifier le menu d'options acceptables pour chaque pays, aller au-delà de la simple projection du déploiement progressif des technologies à faibles émissions de carbone, et envisager des options en matière de demande et de production (Briand & Waisman, 2019). Surtout, les stratégies de long terme permettent d'organiser des consultations à l'échelle de la société pour s'assurer que les facteurs économiques et sociaux font partie intégrante de la stratégie de développement.

  • 1Climate Watch www.climatewatchdata.org/2020-ndc-tracker
  • 2Tsinghua University Center for Finance and Development, Vivid Economics and the Climateworks Foundation (2019). Decarbonizing the Belt and Road: A Green Finance Roadmap
  • 3ddpinitiative.org and Waisman et al. (2019). A pathway design framework for national low greenhouse gas emission development strategies, in Nature Perspectives.