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Après dix années de débats scientifiques, de controverses juridiques et de tractations politiques, les négociations pour l’élaboration d’un traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité en haute mer s’ouvrent cette semaine à New York.

La nouvelle a été déposée au pied du sapin : le 24 décembre 2017, l’Assemblée générale des Nations unies annonçait l’ouverture d’une conférence intergouvernementale pour l’élaboration d’un instrument juridique sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine dans les espaces situés au-delà des juridictions nationales – plus communément désignés sous le terme de « haute mer[1] ». La haute mer et ses ressources ont longtemps été préservés du fait de leur inaccessibilité et d’un certain désintérêt de la part des pays qui ne voyaient dans ses profondeurs qu’un espace quasi désertique.  L’évolution de la technologie, qui a aboli les distances comme les profondeurs, ainsi que les découvertes scientifiques, qui ont révélé l’exceptionnelle richesse des fonds marins, ont bouleversé la donne et attisé les convoitises. La haute mer ne connait plus la quiétude des temps anciens mais devient le théâtre d’activités humaines dont il convient de gérer le développement, de réguler la compétition, et de limiter l’impact sur l’environnement marin. C’est l’objectif des négociations qui s’ouvrent et durant lesquelles l’ambition de gérer collectivement un bien commun fera face aux aspirations des pays de préserver leurs intérêts et défendre leurs positions.

L’histoire des discussions sur l’avenir de la haute mer débute d’ailleurs par la confrontation de deux blocs. Lorsque les premiers débats s’ouvrent, à partir de 2006, sous l’égide des Nations unies, la gestion lacunaire des zones marines situées au-delà des juridictions nationales est un constat relativement bien partagé au sein de la communauté internationale. Néanmoins, certains Etats, au premier rang desquels les Etats-Unis, la Russie, le Japon, le Canada et l’Islande, considèrent que la solution passe par une meilleure application des instruments existants quand d’autres – les pays de l’Union européenne en tête – pointent des vides juridiques et plaident déjà pour l’élaboration d’un nouveau traité.

Une seconde fracture apparait rapidement autour du statut des ressources marines génétiques, dont l’exploitation par l’industrie – pharmaceutique notamment – engendre une augmentation du nombre de brevets associés à des gènes d’organismes marins. A cet égard, les pays du G77/ Chine ont toujours plaidé pour l’application du principe de patrimoine commun de l’humanité aux ressources marines génétiques, lorsque la plupart des autres Etats invoquent le principe de liberté attaché à l’exploitation de ces ressources.

Les thèmes structurants du futur accord sont eux-mêmes le résultat d’une confrontation, et plus tard d’un compromis. Très tôt favorable à un nouveau traité, l’Union européenne s’est d’abord attachée à plaider pour l’instauration d’un mécanisme international permettant la création d’aires marines protégées en haute mer. Toutefois, elle a rapidement compris qu’elle ne pourrait obtenir un large soutien pour un nouvel accord sans accepter l’intégration des questions relatives aux ressources marines génétiques et au renforcement des capacités des pays en développement (en matière de science, de lutte contre la pollution…), thématiques chères au G77/Chine. Avec les études d’impact environnemental, ces thèmes – aires marines protégées, ressources marines génétiques, renforcement des capacités et transfert de technologie marine – constitueront les quatre piliers de l’accord. La gestion des pêches n’en fera pas partie puisque certains Etats ayant des intérêts dans cette activité s’y sont dès le départ fermement opposés.

Un accord pour l’ouverture des négociations a donc été trouvé fin 2017, grâce à l’adoption d’une résolution des Nations unies adoptée à l’unanimité. Il convient de s’en réjouir et d’espérer que c’est dans cet esprit de compromis que s’ouvrira ce premier round de négociation. Malgré un consensus sur la nécessité de mieux protéger la haute mer et ses ressources, les Etats ne sont toutefois pas – encore – tous d’accords sur les grandes orientations du texte. Certains dossiers devraient ainsi donner du fil à retordre aux diplomates les plus aguerris, au premier rang desquels la question des ressources marines génétiques. L’enjeu est majeur puisque la collecte de ces ressources et le dépôt de brevets associés à leurs utilisations ne cessent de se développer. Or, l’essentiel de cette activité, non réglementée par les instruments juridiquement existants, est aujourd’hui entre les mains d’une poignée d’entreprises enregistrés dans les pays développés. Se profilent donc de complexes tractations pour trouver un possible compromis entre la position du G77/Chine, qui plaide pour un partage des avantages liés à l’utilisation de ces ressources à travers le recours au statut de « patrimoine commun de l’humanité », et celle des tenants du principe de liberté, et donc du « premier arrivée premier servi ».

La question de la pêche en haute mer constituera quant à elle l’ « éléphant dans la pièce » duquel plusieurs Etats souhaiteront détourner le regard. Si le sujet a été a priori exclu du champ de la négociation, on peut néanmoins s’attendre à ce que certains Etats tentent malgré tout d’imposer de nouvelles obligations en la matière, à travers le prisme des aires marines protégées notamment.

Trois ans après la COP 15 et l’Accord de Paris, la communauté internationale ouvre donc un nouveau chantier pour assurer la gestion d’un bien commun aujourd’hui menacé. Lors d’un bilan tiré à l’issue des neuf années ayant conduit, en 1982, à l’adoption de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, Tommy B. Koh, président de la conférence diplomatique, observait que la communauté internationale avait réalisé un ouvrage titanesque et ce, bien que le texte final ne satisfit pleinement les intérêts et les objectifs d’aucun Etat. C’est dans cet esprit de responsabilité que les délégations nationales devront se réunir si elles souhaitent conférer à la haute mer des règles propres à en assurer la conservation et l’utilisation durable.  

 

[1] En réalité, les espaces marins situés au-delà des juridictions nationales désignent deux types de zones : la « haute mer », soit la colonne d’eau située au-delà des zones économiques exclusives, et « la Zone », c’est-à-dire les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites des plateaux continentaux.