Le 18 juin dernier, Donald Trump a lancé sa campagne en vue de l’élection présidentielle américaine de novembre 2020, avec en ligne de mire un potentiel second mandat consécutif qui, s’il se concrétisait, prendrait notamment racine, dès le lendemain de l’élection, dans le retrait effectif des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. En parallèle, certains élus démocrates ont proposé de fonder un Green New Deal (GND), soit un projet économique et environnemental de grande envergure inspiré du plan d’investissements mis en place au lendemain de la Grande Dépression. L’Iddri décrypte dans ce billet à la fois les enjeux politiques nationaux propres aux États-Unis associés à ce projet politique et ses possibles implications en termes de gouvernance internationale du climat et de l’environnement.

Une nouvelle approche de la crise climatique et environnementale

Pour la première fois depuis longtemps, le climat et l’environnement – deux questions particulièrement polarisées politiquement1 – seront au cœur d’une campagne américaine. À la suite de l’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, la communauté américaine des acteurs en faveur de la protection du climat s’est attachée à dépolitiser et « humaniser » le sujet en se raccrochant à des problématiques locales (montée des eaux et ouragans en Floride, inondations dans le Midwest, incendies en Californie, sécheresse dans le Sud-Ouest, renouveau industriel et créations d’emplois dans la Rust Belt, sécurité et compétitivité énergétique au Texas, etc.), espérant ainsi susciter un consensus bipartisan autour de points d’entrée spécifiques (innovation, emplois, indépendance énergétique).
 
Cependant, depuis le début de la nouvelle mandature au Congrès, cette stratégie de « localisation » a été dépassée par la poussée d’un courant « transformationnel » au sein des Démocrates visant à porter une innovation sociale et environnementale d’envergure au sommet de l’agenda politique : le Green New Deal (GND). Promu par la nouvelle égérie de la gauche radicale américaine, Alexandria Ocasio-Cortez (élue démocrate à la Chambre des représentants), le GND, projet volontariste pour la décennie à venir, a déjà suscité un fort intérêt politique et médiatique, voire un engouement citoyen, alors même qu’il reste encore flou et qu’au-delà des objectifs, le contenu des politiques publiques envisagées pour les atteindre est loin d’être clarifié. Il illustre ce changement de stratégie, selon la formule qu’on prête au président Eisenhower : if you can’t solve a problem, enlarge it! Inspiré par le programme de grands travaux d’infrastructures lancé en 1933 par le Président Roosevelt en réponse aux impacts de la crise de 1929 (le New Deal), le GND2  consiste à mobiliser un volume massif d’investissements publics et privés afin d’enclencher la transformation vers une économie bas-carbone, d’investir dans l’innovation et les technologies de pointe, de moderniser les infrastructures obsolètes du pays et de créer des millions d’emplois de qualité - c'est-à-dire décemment rémunérés et protégés, un luxe outre-Atlantique.

Il s’agit de tirer parti de l’urgence climatique comme d’une opportunité pour proposer un changement systémique dans l’économie et la société de cet immense pays, changement centré sur les questions de justice environnementale et sociale, dans un pays grevé par les inégalités. Les investissements massifs nécessaires visant à réduire drastiquement les émissions pour atteindre la neutralité carbone dès 20303  permettraient en effet de traiter également les questions de protection sociale, de logement ou de fiscalité, aujourd'hui génératrices d'inégalités. C’est ainsi la transposition américaine de la vision d’une transition juste 4  capable de répondre à la fois aux impératifs climatiques et aux questions sociales, intrinsèquement liés.

Quelle appropriation du Green New Deal aux niveaux national et international ?

Si la vision maximaliste que représente le GND génère certaines tensions au sein même de la mouvance démocrate et a pris de cours l’establishment du parti, mis dans l’embarras par son émergence inattendue, elle séduit de nombreux Américains. En effet, un nombre croissant de citoyens, à la fois préoccupés par le changement climatique et ses impacts et souhaitant davantage d’action publique, sont plutôt séduits par un programme ambitieux d’investissements massifs que par une taxation du carbone, même dans le cas où les revenus générés seraient redistribués à la population5 . Selon le think tank New Consensus, à la gauche du Parti, chargé d’élaborer le contenu du GND, un plan d’envergure coûterait un minimum de 10 000 milliards de dollars. Ce chiffre exorbitant ouvrirait potentiellement la voie à des propositions véritablement ambitieuses, même si à ce jour on ignore encore comment ses partisans entendent le financer. Mais le GND fait des émules, ce qui a permis à plusieurs candidats à l’investiture démocrate, comme Joe Biden, Beto O’Rourke ou Elizabeth Warren de se positionner en faveur de plans d’investissements massifs pour le climat au-delà de 1 500 milliards de dollars sur 10 ans. Ou bien, à l’instar de Jay Inslee (gouverneur de l’État de Washington), d’inscrire ces investissements dans la perspective d’une décarbonation totale de l’électricité dès 2030 et de l’atteinte de la neutralité carbone au niveau national en 2045. En outre, la majorité des candidats assurent aussi qu'ils refuseront les contributions financières de l’industrie des énergies fossiles à leur campagne.

C’est sans surprise que le GND, programme qui s’apparente plus au dirigisme économique qu’il ne s’inscrit dans une vision libérale, a engendré une réaction virulente au sein du GOP6 , virant souvent à la caricature du projet comme des élus qui le portent. Cependant, derrière ces habituelles diversions de la politique partisane, on sent bien la tension dans leurs rangs entre les idéologues prêtant peu de crédit à la science et les pragmatiques qui perçoivent bien l’inquiétude rampante au sein de leur électorat et vont devoir, à leur tour, formuler au moins un semblant de réponse, si ce n’est un contre-projet.

Au-delà des chiffres et de ses intentions vertueuses en matière de lutte contre le changement climatique et, de façon plus générale, de développement durable, le Green New Deal suscite de nombreuses interrogations aux niveaux national – sur sa faisabilité – et international – sur sa crédibilité :

  • Comment construire une coalition majoritaire capable de mettre en œuvre une véritable transformation structurelle dans un pays profondément divisé ? Quelle autre vision que le Green New Deal permettrait de la construire ?
  • Comment dépasser les blocages institutionnels et empêcher le filibuster, technique consistant à empêcher quasiment indéfiniment un vote sur un projet de loi ? Les Démocrates sont-ils prêts à s’attaquer à la suppression de cette pratique (qui nécessite une « super majorité » de 60 sénateurs) afin de légiférer sur le climat? 
  • Comment revenir dans le jeu international et être crédible dans l’optique d’un retour au pouvoir des Démocrates ? Revenir dans l’Accord de Paris supposerait en effet de présenter un nouveau plan de réduction d’émissions, lequel serait analysé avec attention : les décisions du Président Obama s’étant avérées de courte durée, puisque démantelées par son successeur, les États-Unis devront, le cas échéant, démontrer la crédibilité et la capacité à durer des instruments permettant d’atteindre leurs engagements.

Les premiers débats entre les candidats démocrates se sont tenus fin juin et n’ont permis d’apporter qu’un éclairage timide sur l'ampleur des propositions pour la campagne qui s’ouvre. Certains avaient déjà mis en avant leurs projets précis, les autres devront encore se positionner. Néanmoins tous ont rivalisé de généralités pour caractériser l’urgence de la crise climatique sans véritablement rentrer dans le détail des réponses qu’ils entendent apporter. Il sera éclairant de constater lesquels continueront à faire le lien entre climat et problématiques locales pour préserver un espace de consensus, et lesquels soutiendront une forme de Green New Deal, un projet de long terme à la fois plus ambitieux mais aussi plus controversé, et plus risqué.