Eoliennes

Deux jours avant la prise de parole d’Emmanuel Macron sur la transition énergétique, le JDD a annoncé dimanche la création d’un Haut Conseil pour le Climat. Certaines reprises ont laissé entendre que celui-ci pourrait permettre de renforcer le dialogue social sur les politiques climatiques, voire qu’il pourrait constituer une réponse aux inquiétudes exprimées par les gilets jaunes. Présenté ainsi, ce conseil a, en toute logique, suscité de vives critiques. Ces annonces et réactions recoupent en réalité trois sujets, qui sont tous importants mais doivent être considérés de manière distincte : le besoin de doter la France d’une autorité d’évaluation indépendante en matière de transition climatique, de renforcer un dialogue social absolument nécessaire à la réussite de celle-ci, et d’apporter une réponse politique aux problèmes mis en avant par les gilets jaunes.

Pour piloter sa transition vers la neutralité carbone, la France a besoin d’un cadre de politiques qui soit cohérent entre secteurs (énergie, transport, bâtiment, agriculture, industrie) et sur la durée. Ce cadre doit être construit et révisé sur la base d'une analyse prospective qui reflète les dernières avancées technico-économiques et l’évolution du contexte socio-économique, mais également sur la base d’une évaluation transparente de l’effet des politiques existantes. Or, c’est cette capacité d’évaluation et de conseil indépendante du gouvernement, avec un mandat et des moyens adaptés à cette mission, qui manque aujourd’hui pour aligner les résultats avec l’ambition affichée. L’Iddri a formulé des propositions en ce sens à travers deux études publiées en juillet 2018, l’une portant sur le cadre de gouvernance et les enjeux méthodologiques pour suivre et évaluer la transition bas-carbone, l’autre sur les retours d’expérience et les enseignements du Climate Change Committee mis en place il y a dix ans au Royaume-Uni. Sans connaître précisément les détails du Haut Conseil pour le Climat qui devrait être annoncé demain, celui-ci semble aller dans le sens du renforcement d’une expertise indépendante et de la transparence de l’action climatique. Il faudra, ensuite, regarder de près son mandat, sa composition, ses moyens, et son poids dans la dynamique institutionnelle ; mais pour l’heure, c’est en soi une bonne nouvelle.

Ce rôle est tout à fait différent de celui de l’instance de dialogue social existante : le Conseil National de la Transition Ecologique (CNTE). Ce conseil, issu du débat national sur la transition énergétique de 2013, crée un espace de débat entre les différentes parties prenantes – organisations patronales, syndicats, ONG environnementales, collectivités territoriales, parlementaires – et permet de nourrir les décisions du gouvernement. L’instance de dialogue social qu’est le CNTE et l’instance d’expertise indépendante que devrait être le Haut Conseil pour le Climat ont donc des rôles différents mais complémentaires. Le Haut Conseil pour le Climat informe et éclaire le débat public puis la décision politique ; le CNTE, éclairé par les experts du Haut Conseil, est le lieu du débat qui doit précéder la décision politique. 

L’entourage d’Emmanuel Macron indique dans un article du Monde aujourd’hui qu’il faut « faire du CNTE un forum démocratique, où on testera les mesures envisagées auprès des citoyens et des corps intermédiaires ». C’est également le sens de la proposition formulée hier par Pascal Canfin, Valérie Masson-Delmotte et Matthieu Orphelin dans une tribune parue dans Le Point.

Mais ni la création du Haut Conseil pour le Climat, ni l’évolution éventuelle du CNTE ne constituent en soi une réponse à la crise actuelle, laquelle appelle une réponse politique du gouvernement.

Il serait d’ailleurs inapproprié de répondre aux problèmes soulevés par les gilets jaunes uniquement à travers le prisme des politiques de transition énergétique. La revendication des gilets jaunes est protéiforme et concerne également l’érosion du pouvoir d'achat des catégories modestes et moyennes, exacerbé par un contexte d'aggravation des inégalités sociales et territoriales. Elle se nourrit aussi plus largement d’un sentiment croissant d’abandon d’une partie de la population française, qui ne se sent plus entendue par les élites dirigeantes. Au-delà de la méthode, c’est donc sur la réduction des inégalités sociales et territoriales que le gouvernement doit construire sa réponse au mouvement social.

Y répondre uniquement par le biais de la transition énergétique serait non seulement insuffisant, mais serait aussi faire peser sur les politiques de transition énergétique et écologique le risque de servir de variable d’ajustement. C’est ce que l’on a pu observer avec l’abandon de la taxe poids lourds dans le projet de loi d’orientation des mobilités présenté ce matin en Conseil des Ministres.

Le rendez-vous de demain a précisément pour but d’annoncer le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), c’est-à-dire le cadre de politiques visant à mettre en place la transition énergétique, tant en termes de production d’énergie que de création des conditions propices à l’évolution des comportements de chacun. Ainsi, le projet de loi d’orientation sur les mobilités vise à favoriser le développement d’alternatives à la voiture individuelle à moteur thermique.

L’action combinée du Haut Conseil pour le Climat et du CNTE devrait permettre, à l’avenir, d’informer la révision de la PPE mais aussi de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), document stratégique de l’action climatique gouvernementale, toutes deux prévues pour 2023. C’est pour donner une idée de ce à quoi pourrait ressembler le suivi et l’évaluation de la politique climatique française que  l’Iddri a publié en octobre 2018 une proposition de méthode pour suivre la transition bas carbone en France et l’a appliquée pour réaliser une première évaluation dans quatre secteurs clés. Pour aider le gouvernement à éviter certaines ornières, comme celles dans lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui, il serait d’ailleurs intéressant que le Haut Conseil pour le Climat intègre des compétences permettant de mieux appréhender les dynamiques sociales, et de redonner au CNTE un réel rôle d’instance de débat, avec ses accords et ses désaccords.

La crise des gilets jaunes appelle une politique sociale, économique et territoriale. La politique de transition énergétique qui sera annoncée demain et qui doit être ambitieuse, peut en être une composante, pas un substitut.