Les pouvoirs publics peuvent-ils utiliser les apports de l’économie collaborative et du numérique pour soutenir leurs politiques de développement durable et enrichir leurs services publics ? Tel était le fil rouge de la conférence « Développement durable 2.0 – Le numérique, accélérateur de la transition écologique ? » organisée par l’Iddri le 23 juin à Paris, et qui a réuni des intervenants d’horizons variés pour partager leur expérience et débattre de cette question.

Le numérique est un puissant outil de transformation de nos sociétés et de nos économies, comme l’illustrent les initiatives d’économie collaborative (Blablacar, Leboncoin) ou de crowdsourcing  (FixMyStreet), qui utilisent le numérique pour renouveler les services de mobilité, d’accès aux biens ou encore de participation des citoyens . Le numérique offre non seulement un nouveau contexte pour penser la transition écologique, mais aussi de nouvelles opportunités pour soutenir cette transition. Mais il s’agit d’aller  au-delà de l’intuition positive de la communauté des innovateurs sur ses impacts. Quels bénéfices environnementaux et sociaux apporte le numérique ? À quelles conditions et avec quelle implication des pouvoir publics ? Sur la base des trois projets de recherche menés par l’Iddri sur les plateformes collaboratives d’échange de biens, les nouveaux acteurs de la mobilité collaborative et le crowdsourcing urbain, les discussions de la conférence ont permis de répondre en partie à ces questions et de faire émerger plusieurs enseignements.

Tout d’abord, les éclairages apportés par les intervenants internationaux (Allemagne , Royaume-Uni, Israël, Corée du Sud) ont montré que si les modèles et la façon dont le numérique s’inscrit dans les pratiques des acteurs publics peuvent varier, les questionnements sur le lien entre le numérique et le développement durable  sont partagés, et créent un fort intérêt pour des échanges d‘expériences sur le sujet.

Ensuite, les discussions entre start-up, chercheurs et pouvoirs publics ont mis en lumière un certain nombre de conditions  pour que les plateformes d’échanges de bien, les solutions de mobilité collaborative ou les nouveaux outils de crowdsourcing urbain soutiennent la transition écologique. Alors que la connaissance sur ces pratiques s’enrichit, il s’agit à présent de diffuser ces résultats pour aller au-delà des intuitions et des idées reçues, qui constituent parfois un obstacle aux collaborations. Par ailleurs, cette meilleure connaissance des enjeux et des conditions de succès des initiatives collaboratives réduit progressivement l’obstacle à l’engagement des pouvoirs publics dans leur prise en compte et leur soutien à de nouvelles expérimentations.

Les discussions ont en effet fait émerger certaines tensions : alors que les entrepreneurs témoignent d’une certaine frustration face aux manières de travailler des acteurs publics (méconnaissance, obligations administratives, lenteur), ces derniers soulignent le niveau d’exigence élevé dans la qualité des services publics qui explique la prudence envers ces solutions, encore expérimentales. Disposer d’un socle commun d’évaluations d’expériences permettrait  de soutenir des solutions répondant à la fois aux demandes d’innovation et de flexibilité des entrepreneurs, et à garantir le soutien des acteurs publics et des populations.

Des collaborations doivent se tisser entre acteurs publics et acteurs du numérique et du collaboratif : en particulier, le rôle des collectivités locales est décisif pour orienter ces initiatives dans le sens de la transition écologique. La conférence a permis d’identifier des pistes concrètes pour que les collectivités contribuent au développement de ces nouvelles solutions : les faire connaître auprès du grand public pour leur permettre d’atteindre plus facilement une masse critique d’utilisateurs, soutenir les dispositifs d’expérimentation pour tester les solutions, favoriser le développement local de réflexes collaboratifs et participatifs , et aider les utilisateurs à replacer leurs pratiques individuelles via ces plateformes dans un projet collectif de transition écologique . Dans cette perspective, les collectivités locales doivent favoriser la lisibilité et la transparence de toute la diversité des modèles et des motivations portés par les acteurs du numérique et du collaboratif : modèle d’économie sociale et solidaire ou d’économie classique, motivation purement entrepreneuriale ou environnementale et sociale, etc.

Les collectivités locales  ont donc un rôle clé à jouer, qui demande de transformer leur approche en créant une transversalité entre différents domaines d’intervention (environnement, participation, numérique) et en soutenant, y compris en interne, une culture de l’innovation et de la collaboration avec les acteurs de la société civile. En ce sens, les expériences partagées par Paris et Séoul montrent que le changement et le renouvellement des pratiques des élus, des agents et des techniciens, s’il est bien sûr difficile, peut aussi être vécu positivement en apportant des bénéfices pour la mise en œuvre de l’action publique, mais aussi pour leur propre travail. L’ouverture des données, l’adoption d’une logique d’expérimentation pour enrichir les services existants, ou l’ouverture d’espaces de participation citoyenne peuvent en ce sens soutenir un nouveau paradigme d’intervention publique.

Les pouvoirs publics à l’échelle nationale ont également un rôle à jouer, notamment par leurs missions de régulation et de soutien à l’innovation. Toutefois, innovateurs et collectivités locales ont des difficultés à définir clairement leurs attentes envers l’État, montrant parfois même une réticence à son implication. Cela s’explique peut-être par une perception des outils classiques de l’État comme étant inadaptés et trop rigides pour ces nouvelles innovations, engageant des transformations à la fois sociales et techniques. Il semble qu’un changement interne à l’État pour mieux prendre en compte le numérique soit un préalable à son positionnement comme moteur auprès d’autres acteurs.

Enfin, le dialogue reste à construire et à renforcer entre une communauté numérique historiquement très technophile, optimiste  notamment sur les impacts environnementaux des solutions numériques, et une communauté écologiste souvent technophobe, ou du moins réticente à admettre les bienfaits potentiels d’innovations techniques. Si leurs systèmes de valeurs et leurs histoires diffèrent, les échanges de la journée ont également montré les ponts qui commencent à se (re)construire entre ces communautés et la volonté d’écrire une histoire commune du progrès, nécessaire moteur d’une transition qui s’écrit désormais au carré .