Les modes de consommation et de production constituent depuis longtemps un sujet au cœur des processus politiques internationaux de gouvernance du développement durable (cf. Déclaration de Rio de 1992, Processus de Marrakech en 2002, Objectifs de développement durable en 2015). Or la consommation et ses impacts environnementaux sont des reflets de nos modes de vie. Dans le cadre de la mise en œuvre de la transition écologique, cette question acquiert une importance grandissante dans l’agenda politique, qu’il convient d’instruire afin d’en révéler les enjeux (sociaux, économiques, environnementaux) et de proposer des pistes d’action publique.

Les questions de consommation et de modes de vie dans l’agenda scientifique

Récemment, différentes études scientifiques ont permis de mieux saisir et évaluer les menaces que représente la généralisation de certains modes de vie vis-à-vis de la limitation du réchauffement climatique, le respect des équilibres de la biosphère ou la limitation des inégalités (Rockstrom et al., 2009 ; O’Neill et al., 2018). Alors que certaines pratiques à fort impact environnemental se généralisent à travers le monde (les vols internationaux long courrier par exemple, ou la généralisation d’un régime alimentaire plus carné), et que les progrès technologiques n’ont pas été suffisants pour limiter l’impact de ces modes de vie en termes de pollution ou de consommation de ressources dans les pays développés, le monde scientifique intègre peu à peu l'hypothèse de changement des modes de vie comme une variable des scénarios de transition. Ce constat transparaît d’ailleurs dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) présentant les options pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C1 : certains scénarios font l’hypothèse d’une évolution des modes de vie (ex. choix de mobilité, régime alimentaire, choix du logement, etc.), tandis que d’autres reposent pour leur part beaucoup plus largement sur des technologies de capture et de stockage du carbone encore très immatures (Rankovic et al., 2018).

De nouvelles pratiques de consommation motivées par des raisons environnementales ?

Ce constat scientifique se double d’une montée dans le débat public de la question de l’adoption de pratiques plus durables à l’échelle individuelle. En Suède, par exemple, émerge une tendance sociétale à refuser de prendre l’avion2 . De même, on voit apparaître dans de nombreux pays des évolutions de régime alimentaire motivées en partie par des considérations environnementales, mais aussi sanitaires ou de bien-être animal (comme la consommation de produits bio ou les régimes végétariens ou « flexitariens »). Ainsi, si elles étaient autrefois cantonnées à des positionnements politiques minoritaires (altermondialistes et décroissants notamment), les modifications de certains comportements pour des raisons environnementales semblent gagner du terrain dans le débat public ; dans les faits, à titre d’exemple, le chiffre d’affaires du bio a été multiplié par 4 en 10 ans3 .

Les questionnements au cœur de l’initiative « Modes de vie en transition »

La transition des modes de vie, que ce soit en tant que phénomène émergent ou en tant qu’objectif collectif à atteindre, soulève de nombreuses interrogations : quelle est l’ampleur de ces changements sociétaux ? Quelles pratiques et quels types de populations concernent-ils ? Quelle légitimité politique peut avoir la puissance publique à les accompagner, voire les encourager ? Comment ces changements peuvent-ils accompagner une modification simultanée des modes de production ?

Ces réflexions doivent aller au-delà de l’individu moyen pour considérer la diversité de la société : en quoi les changements de modes de vie promus sont-ils l’occasion de rebattre les cartes des inégalités ou au contraire constituent-ils des sources de nouvelles inégalités sociales et culturelles ? Par exemple, les politiques visant à promouvoir la consommation de produits alimentaires issus de l’agriculture biologique permettent-ils de s’adresser à toutes les catégories de population, ou seulement aux catégories les plus favorisées ? Ce questionnement est nécessaire d’une part pour des raisons d’équité, d’autre part pour des raisons d’efficacité environnementale : la transition écologique nécessite d’embarquer le plus grand nombre, et pas seulement la frange la plus aisée ou sensibilisée de la population.

Enfin, la question des moyens d’action de la puissance publique pour accompagner et encourager ces évolutions – tout en restreignant celles qui vont dans un sens incompatible avec les objectifs environnementaux – reste une inconnue : dans un contexte où les modes de vie et les comportements individuels sont le fruit d’une multitude de déterminants (psychiques, sociologiques, économiques, techniques, culturels, etc.) provenant d’une multitude d’acteurs, le pilotage politique de la transition semble extrêmement complexe.

Activités de l’initiative « Modes de vie en transition »

L’Iddri lance une nouvelle initiative, « Modes de vie en transition », afin de mieux comprendre les évolutions des modes de vie et leur place dans les trajectoires de transition écologique, et d’identifier des pistes d’action publique permettant de guider ces évolutions.

Dans ce cadre, plusieurs activités sont prévues :

  • Mener des études de cas avec les différentes équipes de l’Iddri (ex. agriculture et alimentation ; mobilité et décarbonisation) afin d’approfondir la prise en compte des modes de vie dans différents domaines et décrypter les enjeux soulevés par cette dimension dans ces différents secteurs.
  • Identifier les controverses sur les différentes façons d’aborder la question des changements de modes de vie et proposer un cadrage politique.
  • Animer une réflexion collective interne et externe, permettant de croiser les perspectives sectorielles et disciplinaires afin de forger une approche originale de la question, à même de nourrir l’agenda de recherche de l'initiative.

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