Le règlement européen dédié à la restauration de la nature a été adopté le 12 juillet, après de nombreux remous au Parlement européen. Là où les détracteurs du projet de règlement l’ont opposé à d’autres politiques, notamment agricoles, l’Iddri examine dans ce billet de blog les opportunités qu’une politique de grande ampleur pour la restauration de la nature peut offrir par la mise en cohérence et l’augmentation des moyens dédiés aux politiques telles que la transition des secteurs agricoles et forestiers, leur adaptation au changement climatique et la protection de la biodiversité. 

La restauration représente désormais la première priorité pour la biodiversité sur le continent européen. Elle est également un élément de réponse important aux crises environnementales, notamment là où les populations et les activités économiques sont particulièrement exposées à des risques tels que les événements climatiques extrêmes (canicules, inondations) ou sanitaires (exposition humaine aux produits chimiques, vulnérabilité des cultures ou des forêts face à des maladies ou des ravageurs). En intégrant des objectifs, méthodes et financements pour la restauration, la législation offre un levier pour la transition de certains secteurs clés vers des pratiques compatibles avec la préservation de la biodiversité et l’adaptation au changement climatique, notamment l’agriculture.

Alors que des clivages existent autour de la poursuite de la transition écologique en France et en Europe, on entend qu’il faut sécuriser les acquis en matière de climat. Mais pas pour la biodiversité ? S’occuper de restauration, c’est se pencher sur les questions centrales que sont l’usage des terres et l’aménagement du territoire, avec beaucoup plus de nuances sur ce que cela représente pour les activités économiques que l’on en a entendues de la part des opposants au règlement européen en la matière. Le changement climatique représentant une pression supplémentaire sur des écosystèmes d’ores et déjà affaiblis par d’autres facteurs (pollution par exemple), l’état dégradé des écosystèmes, notamment productifs (agriculture, exploitation forestière), renforce d’autant plus les impacts du changement climatique sur les sociétés humaines. 

Zoom sur trois points qui justifient le besoin d’une réglementation sur la restauration de la nature.

Un besoin d’orchestration politique pour passer à l’échelle du défi de la restauration

La restauration de la nature n’est pas un projet nouveau, que ce soit pour le bénéfice de la flore et de la faune ou des sociétés humaines. Dès 1975, le Conservatoire du littoral était créé pour conserver, mais aussi restaurer les milieux littoraux dans le but de les préserver et d’en faire bénéficier le public à des fins récréatives. À la fin des années 1990, un programme de recherche national était dédié à « recréer la nature ». Au début des années 2000, on a constaté une montée en force de projets pour restaurer l’écoulement naturel de rivières ou des zones humides qui avaient fait l’objet d’aménagements dans les années 1950-1960. Premier objectif : limiter les dégâts causés par les crues et inondations. La restauration de la qualité de l’eau, et donc des écosystèmes aquatiques, est également au cœur de l’objectif de la directive-cadre sur l’eau européenne, avec des résultats mitigés à ce jour1 . Premier objectif : assurer une eau potable de qualité à long terme. On trouve de même des initiatives en montagne pour lutter contre les chutes de pierre ou les glissements de terrain, via le statut de « forêts de protection » accordé à des forêts qui protègent directement des habitations. 

Au-delà de ces fonctions utilitaristes, la restauration sert également à rétablir les espèces et écosystèmes menacés, présentant souvent des avantages socio-économiques pour les territoires concernés : emplois pour mener à bien la restauration et gérer les sites (naturalistes, génie écologique par exemple) ou le tourisme (guides), y compris en complément d’activités agricoles (restauration et hébergement à la ferme, paiements pour services écosystémiques). Ces initiatives dépendent néanmoins de quelques bonnes volontés locales ou institutionnelles (agences de l’eau, Office national des forêts) et ne dépassent pas l’échelle du projet. La restauration n’étant pas une politique publique, elle ne fait pas l’objet de suivi. Il est ainsi difficile d’évaluer l’état général des initiatives en la matière, ce qui sera néanmoins nécessaire dans le cadre des engagements pris par les pays dont la France via le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. La cible 2 requiert en effet que les États veillent « à ce que, d'ici à 2030, au moins 30 % des zones d'écosystèmes terrestres, d'eaux intérieures et d'écosystèmes marins et côtiers dégradés fassent l'objet de mesures de remise en état efficaces ». 

La COP 15 de la Convention sur la diversité biologique avait constaté en décembre 2022 qu’il n’existe pas encore de méthodologie globalement acceptée pour mesurer les progrès réalisés en matière de restauration des écosystèmes. Le projet de règlement européen progresse sur ce point en identifiant des indicateurs par familles d’écosystèmes qui devront atteindre « un niveau satisfaisant » à la suite des opérations de restauration : écosystèmes marins2 , urbains, rivières et plaines d’inondation, écosystèmes agricoles3 et forêts. 

La restauration, une assurance-vie dans les espaces de production

Cette liste inclut donc des écosystèmes « naturels » mais aussi les milieux agricoles, qui ont perdu une importante biodiversité notamment d’insectes et d’oiseaux. On peut distinguer à ce titre deux types de mesures de restauration :

  • Certaines impliquant la recomposition d’une mosaïque d’habitats, avec par exemple la restauration de tourbières, landes ou pelouses qui viendront mailler les terres agricoles et les forêts exploitées. Comme souligné par l’Institut pour les politiques environnementales européennes, ces habitats correspondent en général à des terres peu ou pas productives. Dans le cas de la Politique agricole commune, la restauration de ces habitats peut permettre aux agriculteurs de bénéficier de revenus supplémentaires. 
  • Certaines impliquant d’intégrer sur les terres agricoles des « éléments paysagers à diversité élevée », décrites en annexe du projet de règlement européen et correspondant aux « infrastructures agroécologiques » : bandes enherbées fleuries, haies, bosquets, murets de pierre, mares, etc. 

Si les premières peuvent apporter des bénéfices à l’échelle du territoire notamment (zone d’expansion de crue par exemple), les secondes ont des impacts directs sur la productivité des parcelles à long terme. La littérature scientifique4 estime que ces infrastructures agroécologiques qui couvriraient 10 % à 20 % de la surface agricole auraient des bénéfices nets pour la biodiversité, et un effet neutre à positif sur la productivité alimentaire.

Un engagement politique pour la restauration impliquera nécessairement un soutien à l'activité des pratiques agricoles et forestières favorisant ces milieux, avec une mise à l’échelle importante en comparaison des initiatives existantes susmentionnées. Cela offre un soutien public fort, y compris financier, pour les pratiques de transition en agriculture et en foresterie, afin de les rendre plus résilientes au changement climatique. On peut signaler par exemple les différents types de prairies ciblées par le projet de règlement européen5 . La Stratégie européenne pour la biodiversité indique par exemple que 20 milliards d’euros par an seront dédiés à la protection de la nature. On peut avancer avec une bonne certitude qu’une grande partie de ces financements bénéficieront aux actions de restauration compte tenu de l’ampleur de cette priorité en Europe. Il y est également clairement indiqué qu’une partie importante du budget dédié au climat (soit 30 % du budget total de l’Union européenne) sera investie dans les solutions fondées sur la nature, desquelles la restauration fait partie.

Le Conseil de l’Union européenne s’est mis d’accord sur un texte de compromis qui a été examiné par le Parlement européen le 12 juillet, ainsi que d'autres amendements. Il donne une flexibilité importante pour que les États élaborent leur propre approche de la restauration, que nous recommandons fondée sur la concertation à l’échelle territoriale, afin que les populations riveraines et les acteurs économiques, tous deux bénéficiaires et acteurs de la restauration, puissent identifier ensemble leurs priorités et possibilités. Les schémas de cohérence territoriale sont sous les feux des projecteurs à l’occasion de la clarification de la loi climat et résilience sur l’objectif zéro artificialisation nette. Alors que les documents d’aménagement seront revus à cet effet, une opportunité s’ouvre ici pour que chaque territoire identifie les zones importantes pour la biodiversité à conserver, mais également à restaurer et qui ne seront donc pas artificialisées dans le futur. 

Le projet de règlement prévoit que chaque État élabore un plan national de restauration. Dans le cas où les États ne souhaitent pas utiliser la restauration comme levier pour accompagner la transition agricole ou forestière, ils n’en auront pas l’obligation et pourront choisir de restaurer d’autres écosystèmes, hors des espaces de production.

L’articulation avec les politiques sur les aires protégées

Bien que l’ambition de restaurer 15 % des écosystèmes dégradés figure dans les Objectifs d’Aichi pour la biodiversité qui couvraient la période 2010-2020, elle n’avait pas été atteinte6 . Bien moins mise en avant que la création et la bonne gestion des aires protégées, la restauration s’est cependant imposée comme une action incontournable pour la biodiversité dans le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, où elle est désormais mentionnée dans l’objectif précédent celui sur les aires protégées.

Cet objectif, tout comme celui fixé par le projet de règlement européen, se calcule au niveau des territoires nationaux dans leur ensemble. Une partie des écosystèmes à restaurer se trouve dans les aires protégées, qui occupent déjà en France 30 % du territoire et où les activités humaines sont limitées7 . Pour certains écosystèmes, et notamment ceux des mosaïques de paysages ouverts et fermés, comme par exemple les pelouses calcaires, la restauration passe par une association avec des agriculteurs, des éleveurs ou des forestiers. La restauration s’applique aussi dans les 70 % du territoire hors des aires protégées, afin d’assurer les continuités écologiques et de fournir des services écosystémiques (cf. point 2 ci-dessus).

Le projet de règlement européen constitue ainsi un levier pour atteindre d’autres objectifs de protection, comme l’application des directives européennes Habitats et Oiseaux qui constituent le socle du réseau d’aires protégées Natura 2000. Un rapport réalisé par quatre associations environnementales européennes indiquait en 2018 que ces sites manquent globalement de plans de gestion, de mise en œuvre et de financements. Donner un cadre légal à la restauration bénéficierait  directement aux aires protégées en leur sein, mais renforcerait également leur efficacité en tant que réseau, en améliorant l’état des écosystèmes faisant le lien d’une aire protégée à une autre. Ces écosystèmes hors des aires protégées représentent un relai indispensable8 pour l’habitat et l’alimentation de nombreuses espèces hors des zones Natura 20009 .
 

  • 1 Rapport de 2021 de la Commission au Conseil et au Parlement européens sur la mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021DC0970
  • 2 Ces objectifs viennent préciser ceux de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin.
  • 3Avec un sous-objectif dédié aux tourbières et un aux pollinisateurs.
  • 4Poux, X., Aubert, P.-M. (2018). An agroecological Europe in 2050: multifunctional agriculture for healthy eating. Findings from the Ten Years For Agroecology (TYFA) modelling exercise, Iddri-AScA, Study N°09/18, Paris, France, 74 p. Garibaldi, LA, Oddi, FJ, Miguez, FE et al. (2021). Working landscapes need at least 20% native habitat. Conservation Letters. https://doi.org/10.1111/conl.12773 Albrecht et al. (2020). The effectiveness of flower strips and hedgerows on pest control, pollination services and crop yield: a quantitative synthesis. Ecology Letters No 23 (10), 1488-1498. https://doi.org/10.1111/ele.13576
  • 5 Voir l’annexe I du projet de règlement.
  • 6 Voir l’évaluation de l’Objectif 15 dans la 5e édition des Perspectives mondiales de la diversité biologique : https://www.cbd.int/gbo/gbo5/publication/gbo-5-spm-fr.pdf.
  • 7 Le cadre mondial de Kunming à Montréal demande que tous les pays atteignent l’objectif de 30% des terres et 30% des mers conservés et gérés par la mise en place d’aires protégées.
  • 8 Amos, R. 2021. Assessing the Impact of the Habitats Directive: A Case Study of Europe’s Plants, Journal of Environmental Law, Volume 33, Issue 2, March 2021, Pages 365–393, https://doi.org/10.1093/jel/eqab006
  • 9 Ce serait le cas par exemple pour le hamster d’Alsace, concerné par un Plan national d’action reposant notamment sur la restauration de l’habitat du hamster et la désignation de sites Natura 2000.