Dans son article 4.19, l’Accord de Paris sur le climat invite toutes les Parties à « s’employer à formuler et communiquer des stratégies à long terme de développement à faibles émissions de gaz à effet de serre » (LT-LEDS en anglais). À partir d’une évaluation des stratégies de long terme (LTS en anglais) déjà soumises depuis l’Accord de Paris et afin de guider le développement de celles qui sont en cours de préparation, ce billet cherche à identifier certaines caractéristiques clés définissant une « bonne » LTS, en reconnaissant les deux rôles interdépendants de cet instrument. D’une part, une telle stratégie peut contribuer au mécanisme de renforcement des ambitions de l’Accord de Paris en alimentant les contributions déterminées au niveau national (NDCs en anglais) en relation avec le Bilan mondial (Global Stocktake en anglais) qui se tiendra en 2023. D’autre part, elle peut offrir un certain nombre d’avantages concrets pour les processus décisionnels menés par les pays. Nous présentons ici six questions clés à poser en priorité lors de l’évaluation d’un document de stratégie à long terme de développement à faibles émissions.

La LTS explore-t-elle les défis et les opportunités de la neutralité carbone ?

La LTS est un instrument clé pour étudier les options au niveau national pour la mise en œuvre des transformations systémiques radicales indispensables à la réalisation des objectifs de développement dans un contexte de neutralité carbone. En tant qu’outil d’exploration, la LTS peut restituer clairement les défis et les opportunités découlant des transformations structurelles nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, analyser les conséquences des trajectoires alternatives vers cet objectif ultime et présenter les répercussions distinctes sur les différents acteurs, gagnants ou perdants. En tant que telle, elle peut éclairer la prise de décision en vue de la mise en œuvre des transformations au niveau national vers la neutralité carbone, en cohérence avec les grandes priorités socio-économiques.

La LTS relie-t-elle de manière explicite et transparente les objectifs à court et à long terme ?

L’ambition d’un pays est définie à la fois par son engagement à court terme (objectif d’émission de la NDC, date du pic des émissions de GES) et par son objectif à long terme (date d’atteinte de la neutralité carbone). Ces dimensions sont parfois considérées indépendamment malgré leurs liens indéniables. Cela crée un risque d’incohérence compte tenu des dépendances de sentier découlant des inerties et des verrouillages potentiels des décisions à court terme, les actions à court terme conditionnant fondamentalement les possibilités à plus long terme. L’un des rôles clés de la LTS consiste à relier ces dimensions entre elles et à définir une trajectoire claire et transparente expliquant comment les actions à court terme conduisent aux objectifs à long terme. À cette fin, la LTS doit inclure une évaluation détaillée de la séquence des actions entreprises à différents horizons temporels et dans différents secteurs, ainsi que des trajectoires socio-économiques et d’émissions qui en résultent, afin d’établir un lien explicite entre les niveaux d’émissions en 2030, la date du pic et la date de neutralité.

La LTS a-t-elle été élaborée en étroite consultation avec les acteurs nationaux ?

La LTS peut également s’avérer être un instrument pertinent pour renforcer l’appropriation nationale des transformations compatibles avec l’Accord de Paris, en ce qu’elle offre un espace permettant d’explorer les options de décarbonation et d’organiser les consultations des acteurs de manière plus ouverte que la NDC. En effet, la nature non contraignante de la LTS permet une organisation plus flexible du processus avec moins de pressions internationales. Par ailleurs, sa perspective à plus long terme permet d’envisager un éventail plus large de futurs possibles, proposant des déviations transformatrices, plutôt que marginales, par rapport aux tendances actuelles. La LTS peut donc offrir un espace de discussions axées sur l’exploration collective de futurs alternatifs et de leurs implications plutôt que sur la préservation à court terme d’intérêts acquis et profondément ancrés. L’élaboration d’une LTS doit s’accompagner de consultations approfondies avec les représentants des secteurs clés afin de garantir la pertinence du résultat dans le contexte national et de maximiser l’adhésion des principaux acteurs.

La LTS contribue-t-elle à identifier les besoins spécifiques en matière de coopération internationale qui faciliteront la transition du pays ?

L’ampleur des transformations nécessaires pour assurer la compatibilité avec l’Accord de Paris dépasse la capacité d’un pays individuel. C'est au contraire dans le contexte d’une tendance mondiale à la décarbonation profonde que les transformations nationales pourront se produire, notamment par le biais d’une coopération internationale ambitieuse et structurée capable d’orienter et d’accélérer les avancées concernant les principaux éléments qui devront être mis à disposition pour permettre les transitions nationales. L’un des rôles clés d’une LTS consiste à identifier clairement les principales exigences en matière de coopération internationale qui permettront de réaliser des transitions nationales ambitieuses. En tant que telle, la LTS devient un instrument capable de structurer les conversations internationales (par exemple dans le contexte du Bilan mondial) autour des besoins des pays, conformément au paradigme ascendant (bottom-up en anglais) introduit par l’Accord de Paris. Ces besoins peuvent prendre des formes très différentes, et concerner par exemple le coût et la disponibilité des technologies, les flux financiers, le renforcement des capacités, les règles commerciales, etc.

La SLT renseigne-t-elle de manière explicite sur les besoins d’investissements ? 

L’ampleur des transformations compatibles avec l’Accord de Paris exige d’orienter les investissements vers les options sobres en carbone et de les détourner des actifs à forte intensité de carbone. La LTS peut jouer un rôle essentiel pour guider ce processus, car elle apporte une vision détaillée des transformations sectorielles requises à long terme. Cet horizon, en fournissant un signal clair sur la direction à prendre à long terme, est une source d’information essentielle pour l’élaboration de plans d’investissements à différents horizons temporels. La LTS peut donc guider les décisions des investisseurs publics et privés et faciliter l’alignement de leurs portefeuilles sur les objectifs de l’Accord de Paris (Article 2.1(c)).

La LTS contient-elle une disposition claire concernant les révisions futures ?

Avec l’approche par cycles de cinq ans de l’Accord de Paris, les pays sont régulièrement invités à réviser leurs soumissions, ce qui permet notamment de refléter les meilleures données scientifiques disponibles, l’évolution des contextes internationaux ou nationaux et les conditions changeantes, ainsi que les améliorations possibles des compétences nationales permettant d’étudier plus en profondeur les aspects spécifiques des transformations. La LTS constitue l’instrument idéal pour saisir ces évolutions, étant donné notamment sa nature non contraignante, qui permet de la (re)soumettre à tout moment, et son rôle déterminant pour guider les futures révisions des NDCs. Cela signifie qu’il est essentiel que la LTS ne soit pas envisagée comme un exercice ponctuel, mais plutôt comme un document vivant dont la soumission actuelle n’est qu’une première ébauche. Une reconnaissance explicite de ce statut est indispensable pour assurer la continuité du travail sur les trajectoires à long terme du pays, grâce à la mise en place de mécanismes institutionnels et de gouvernance adéquats et stables, ainsi qu’à la mobilisation durable des acteurs nationaux.