Le plan de relance post-Covid-19 annoncé par le gouvernement français le 3 septembre dernier et ses différentes mesures sont sous-tendus par deux objectifs explicites : rendre l’économie française plus indépendante dans la production de biens essentiels, et investir dans les « filières du futur » et la transition écologique. Si l’ambition est importante, et le montant des investissements inédit, le contenu précis des aides et leurs modalités de mise en œuvre doivent faire l’objet d’un suivi attentif et régulier1 . C’est notamment le cas du secteur agricole, doté d’un milliard d’euros sur les 100 milliards du plan de relance dans son ensemble. Ce montant est-il suffisant ? Comment ces sommes pourraient-elles et devraient-elles être effectivement décaissées ? Ce billet de blog analyse les différentes enveloppes prévues par le plan de relance dans le secteur agricole, soulignant notamment l’enjeu de pouvoir mettre le système alimentaire français sur une trajectoire d’une décarbonation complète à l’horizon 2050.

Malgré les ambitions de rupture annoncées, les mesures du volet agricole du plan de relance français restent d’une ampleur limitée. Un milliard d’euros sont annoncés (1,2 milliard si on prend en compte la forêt), soit 1 % du budget total prévu pour revitaliser l’économie française, et à peine plus de 10 % de l’enveloppe Politique agricole commune annuelle pour la France (9,1 milliards d’euros). Des ordres de grandeur faibles lorsqu’on les met en regard de ce que le secteur représente en termes  environnementaux et sociaux : 20 % des émissions directes de GES2 ; près de 30 % des milieux remarquables protégés au titre de la Convention sur la diversité biologique dépendent des pratiques agricoles3 ; et 5,2 % de la population active française est directement employée dans les secteurs agricole et agro-alimentaire (sans compter les emplois indirects générés par les exploitations agricoles et les industries agroalimentaires)4 .

Par ailleurs, les modalités de gestion et de décaissement des montants annoncés demanderont à être précisées de manière fine. La relative « atomisation » du secteur entre filières et à l’échelle des exploitations agricoles implique des coûts de transaction élevés pour chaque dossier de financement – pour les récipiendaires comme pour les intermédiaires, qui doivent être considérés avec attention. Les organismes publics en charge de l’agriculture ont vu leurs effectifs significativement se réduire au cours des dernières années, rendant la gestion des affaires courantes parfois délicate, et il pourra être difficile d’ajouter à cela le pilotage des enveloppes du plan de relance. Pour ce qui est des agriculteurs, le fonctionnement prévu par « appel à projet » pourrait écarter les structures plus petites et moins en capacité de dégager du temps pour y répondre.

Dans le détail, une vaste partie des mesures risque de ne pas aller dans le sens déclaré d’une transition écologique. Deux enveloppes de 250 millions chacune, soit au total la moitié du montant dédié à l’agriculture, sont destinées l’une au développement de l’agroéquipement, l’autre à l’amélioration de la biosécurité et la compétitivité des filières animales. Dans les deux cas, la volonté de créer des économies d’échelle pour renforcer la compétitivité-prix des filières françaises prime sur les enjeux de transition agroécologique. Les actions qui seront soutenues pourraient ainsi se révéler défavorables à la biodiversité et à la préservation de l’emploi dans le secteur. Compte tenu de la nature des investissements qui seront soutenus, le risque est important que les grandes exploitations absorbent la totalité des aides, contribuant ainsi à une poursuite de la concentration de l’élevage ou à la simplification des systèmes de culture. Le plan de relance oriente plutôt vers un traitement technique de problèmes isolés (résidus de pesticides et de nitrates dans l’eau et dans les sols, émissions agricoles, zoonoses etc.), là où un changement plus systémique semble nécessaire (réduction radicale de la dépendance aux pesticides et aux engrais minéraux, déspécialisation régionale de l’élevage pour favoriser les transferts de fertilité, redéploiement des prairies…). Or, si la compétitivité des filières françaises est effectivement un sujet de préoccupation légitime, améliorer cette dernière doit être un moyen et non une fin en soi, dans le cadre d’une organisation de marché plus juste.

Un deuxième volet du plan de relance en agriculture est destiné à accélérer la transition agro-écologique. À cette fin, 400 millions d’euros sont prévus pour soutenir l’agriculture biologique, les filières locales, l’agriculture urbaine et les systèmes de restauration proposant une alimentation saine, sûre, durable et locale. La mise en place de ces aides est intéressante d’un point de vue théorique, mais le risque de dispersion des montants dans plusieurs petits projets sans impact significatif sur l’appareil productif est bien présent. Dans cette enveloppe, les montants destinés à chaque objectif ne sont pas précisés, ni les conditionnalités à l’obtention des aides.

Le dernier volet du plan de relance concerne la stratégie nationale sur les protéines végétales. Une enveloppe de 100 millions d’euros est prévue pour réduire la dépendance de l’élevage français au soja importé et accompagner la transition vers une assiette plus riche en protéines végétales et moins en protéines animales. L’objectif annoncé est de doubler les surfaces en légumineuses à l’horizon 2030. Si les différents éléments de ce volet sont pertinents, les montants en jeu restent probablement insuffisants pour garantir des transformations d’un système productif fortement consolidé depuis l’après-guerre. Le (re)développement des légumineuses à graines suppose en effet des transformations sur l’ensemble des maillons des filières végétales, de la sélection variétale à la conception des produits alimentaires en passant par le stockage et la transformation. Si l’on ne peut demander à la puissance publique de financer l’ensemble des investissements qui sont en jeu, une évaluation des coûts liés aux outils industriels (stockage, transformation), sans même parler de la partie recherche et développement, pointe vers des besoins de financement de l’ordre de 4 à 6 milliards d’euros par an, bien loin des 100 millions annoncés.

De manière générale, la réalisation et le pilotage du plan de relance concernant le secteur agricole ne pourront être déconnectés d’un chiffrage des investissements nécessaires et de l’impact sur l’emploi de ce que nous considérons être le pilier de la transformation agroécologique en France, c’est-à-dire la transition protéique. Identifier les actifs immobilisés et les niveaux d’emploi d’un secteur qui peine à se développer nous paraît un point d’étape fondamental pour dessiner une trajectoire crédible de transformation du système alimentaire français à l’horizon 2030, à la fois juste au niveau social et durable pour l’environnement.

  • 2MTES (2020). Stratégie nationale bas-carbone. Paris, Ministère de la Transition écologique et solidaire.
  • 3Halada L., Evans D., Romão C., et al. (2011). Which habitats of European importance depend on agricultural practices? Biodiversity and Conservation, 20 (11), 2365-2378.
  • 4INSEE, Comptes de la Nation.