Le gouvernement chinois joue actuellement un rôle clé pour soutenir l’ambition internationale en matière de climat et de biodiversité, et présente les Nouvelles Routes de la soie (Belt and Road Initiative , BRI) comme un projet global permettant de réaliser l’Agenda 2030 pour le développement durable. Réussir à faire de la BRI un levier de transformation vers le développement durable constitue donc un enjeu stratégique pour la Chine autant que pour le reste du monde. Il faut pour cela engager rapidement un apprentissage collectif pour le « verdissement » de la BRI, son alignement avec les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et les Objectifs de développement durable (ODD). Le deuxième forum de la BRI qui s’est tenu en avril 2019 à l’invitation du gouvernement chinois avait conduit à compléter les plans déjà existants pour le verdissement de la BRI par le lancement de plusieurs initiatives internationales dans le cadre de la BRI International Green Development Coalition et des Principes pour les investissements verts. Mais pour s’assurer que ces initiatives nouvelles fassent vraiment une différence par rapport aux plans préexistants, il manquait une évaluation du défi en matière d’impact environnemental des projets de la BRI, après une première période de 5 ans de mise en œuvre, qui aurait dû conduire à une identification des principaux obstacles rencontrés pour réduire cet impact, et des leviers d’action. Plusieurs travaux récents publiés par des experts et institutions chinoises commencent à combler ce manque.

Un petit nombre d’études soulignait déjà l’intensité en énergies fossiles des investissements chinois à l’étranger

La transparence sur l’impact environnemental de la BRI, et notamment en matière de décarbonation de l’économie des pays récipiendaires, reposait jusqu’à récemment sur un petit nombre de centres de recherche américains1 . Une étude du World Resources Institute (WRI) publiée en 2018 a permis de confirmer que la part des énergies fossiles dans la première vague d’investissements ayant eu lieu sous l’égide de la BRI (2014-2017) était encore très importante (entre 60 et 90 % des investissements dans le domaine de l’énergie, selon les instruments de financement considérés), sans baisse notable par rapport à la période précédant le lancement de la BRI (66 % d’investissements dans le charbon contre 24 % dans les énergies renouvelables pour la période 2007-2014)2 . Le net accroissement des financements dans les pays de la BRI entre ces deux périodes a donc conduit, pour le secteur de l’énergie, dans une large majorité, à financer des investissements dans les énergies fossiles, alors que les Contributions déterminées à l’échelle nationale (NDCs) des pays considérés dans le cadre de l’Accord de Paris indiquent un besoin d’investissement très fort dans les énergies renouvelables.

Réaffirmation des principes du verdissement, mais faiblesse des évaluations des obstacles à la mise en œuvre

Ce problème majeur, et par conséquent l’ampleur du défi à relever pour aligner la BRI avec l’Accord de Paris et les ODD, n’a pas été mentionné lors du lancement des initiatives de verdissement de la BRI en avril 2019. Ces initiatives ont essentiellement renouvelé des engagements à mettre en œuvre les principes de verdissement souvent préexistants, mais sans évaluer précisément les difficultés de mise en œuvre qui expliquent un tel écart après la première vague.

Les grandes catégories d’explications du fort impact environnemental de la première vague d’investissements étaient déjà soulignées dans une étude du China Council on International Cooperation for Environment and Development (CCICED, un conseil d’experts internationaux placé auprès du gouvernement chinois) en 20183 (faible demande d’environnement par les gouvernements des pays récipiendaires, complexité des projets et leur caractère transnational, rendant complexes les procédures d’évaluation environnementale, mais aussi tout effort de transparence en raison de la dispersion des données, cadres d’évaluation du risque défavorables aux investissements verts) ; mais les solutions permettant de mettre en œuvre les principes du verdissement n’y étaient pas développées.

L’étude suivante du CCICED sur le même sujet était donc très attendue, d’autant qu’elle devait comporter trois analyses de cas de terrain (Pakistan, Malaisie, Sri Lanka). Publiée en mai 2019, cette étude4 récapitule surtout les engagements déjà pris précédemment, indique l’importance que devront avoir à l’avenir les principes de finance verte et la responsabilité sociale et environnementale des entreprises chinoises opérant à l’étranger, et appelle à mieux connaître les impacts environnementaux des futurs projets de la BRI. Seules deux des trois études de cas sont présentées : elles illustrent les processus permettant de réduire l’impact environnemental local par la planification territoriale des infrastructures concernées. Il est cependant frappant de constater que le rapport s’en tient à rendre compte des processus de RSE et l’impact pour le développement local de l’usine de charbon de Thar, sans questionner la contradiction entre l’usage de cette énergie fossile et les objectifs de l’Accord de Paris.

Plusieurs études récentes d’institutions chinoises offrent une transparence inédite sur le défi environnemental pour la BRI

Dans un tel contexte, le rapport publié en septembre 2019 notamment par le Centre de l’Université Tsinghua pour la finance et le développement5 , et signé par M. Ma Jun, président du Comité chinois pour la finance verte, constitue une avancée très intéressante. Ce rapport souligne que le scénario tendanciel pour la mise en œuvre de la BRI conduirait dans les 126 pays concernés, représentant en 2015 28 % des émissions de CO2 et 23 % du PIB mondial, à un accroissement très important des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, jusqu’à deux fois le niveau nécessaire pour rester sous la barre des 2°C d’accroissement de la température moyenne mondiale d’ici à la fin du siècle. Face à l’ampleur de ce défi, les auteurs soulignent qu’une approche incitative jouant sur l’anticipation par les investisseurs d’un risque de transition sera insuffisante, en raison de trois types d’obstacles concrets : renforcer les régulations climatiques dans les pays hôtes et leurs institutions de mise en œuvre constitue un chantier de longue haleine ; une large part des investissements considérés ne feront pas l’objet d’évaluation des risques financiers, parce qu’ils n’apparaissent que sur les comptes publics ; de nombreux projets sont « dé-risqués » par des institutions publiques. En conséquence, les auteurs proposent un ensemble de conditions nécessaires pour dépasser ces obstacles : transparence des impacts carbone des investissements BRI, adoption des principes d’investissements verts par l’ensemble des investisseurs mondiaux, consolidation des capacités des pays hôtes en matière de finance verte et de régulation environnementale, alignement des investissements chinois à l’étranger non pas sur les standards environnementaux du pays hôte mais sur les standards environnementaux chinois lorsque ceux-ci sont plus ambitieux.

D’autres publications récentes liées à des institutions chinoises comme l’Académie chinoise des sciences6 soulignent pour leur part les impacts potentiellement très fort du programme d’infrastructures que constitue la BRI sur la biodiversité, compte tenu de la présence de zones majeures pour la biodiversité à proximité de ces infrastructures. Elles recommandent non seulement d’en réduire l’impact autant que possible, mais également, le cas échéant, de remettre en question l’opportunité même de ces infrastructures.

Ces exemples récents témoignent à la fois de l’existence d’un débat interne entre experts chinois sur les opportunités et les risques de la BRI, notamment en matière environnementale, et d’une ouverture récente de ce débat vers l’ensemble de la communauté internationale sur des bases empiriques et quantifiées, permettant enfin l’enclenchement d’un processus d’apprentissage collectif.