L’Inde a été au centre de l’attention à l’ouverture de la COP21. Le premier Ministre Modi a envoyé les premiers éléments de son discours d’ouverture au Financial Times, publiés dans une tribune le matin du premier jour d’ouverture de la conférence de Paris.

Puis, s’adressant au cours de la plénière aux 151 autres chefs d’Etats, il a évoqué deux concepts qui ont suscité un certain malaise chez beaucoup : un « espace carbone » et le droit au développement à partir des combustibles fossiles. La notion d’espace carbone risque de nous ramener au jeu à somme nulle et paralysant où chacun essaie d’obtenir une meilleure position que les autres. Un tel espace ne prévoit pas de mesures efficaces et, compte tenu de la taille de l’Inde, ne permettrait pas d’éviter à l’Inde de devoir prendre des mesures. Personne ne remet en question le droit au développement, mais il faut rompre le lien entre l’utilisation de combustibles fossiles et le développement, et non pas insister sur ce point.

On voit mal pourquoi le premier ministre Modi a adopté cette approche.

Le PIB de l’Inde est de 56 % inférieur à celui de la Chine. En Inde, 68,9 % de la population vit sous le seuil international de pauvreté, par rapport à 28,9 % en Chine. L’Inde est aussi extrêmement vulnérables au changement climatique, comme en témoignent les récentes inondations à Chennai. Des études ont montré qu’en Inde, le marché des actions et l’agriculture, par exemple, dépendaient fortement de la mousson. Avec ses besoins de développement élevés, des études prévoient une croissance significative de la demande en énergie en Inde jusqu’en 2030 dans le cadre de son INDC.

L’Inde présente donc d’énormes besoins, défis et opportunités en matière de développement. Toute la question est de savoir ce que l’accord international sur le climat pourrait faire pour permettre ce développement durable ; plutôt que de savoir comment s’assurer que l’accord ne le contraigne pas. Plus qu’un espace carbone, l’accord peut garantir un espace de solutions pour le développement durable.

Il est donc clair que les besoins de l’Inde en matière de développement et de prospérité sont énormes, que l’accès à l’énergie sera essentielle et, comme indiqué dans son propre INDC, l’Inde est prête à lancer une alliance solaire potentiellement révolutionnaire pour faire baisser le coût de cette technologie et développer le solaire dans les pays ensoleillés les plus pauvres.

Plus encore, l’Inde a également obtenu dans le passé que l’équité et le droit au développement soient reconnus comme des éléments de base essentiels de l’accord climatique.

Nous pourrions donc imaginer un discours très fort s’articulant autour des efforts nationaux, un plaidoyer légitime en faveur du développement et le besoin de soutien du pays pour réussir à concilier climat et besoins de développement.

L’Inde dispose d’un fort potentiel d’atténuation, dont une grande partie peut être exploitée par un « développement intelligent » grâce à des mesures en matière d’urbanisation efficace, de pollution, d’éducation et d’innovation. L’Inde doit encore construire plus de 70 % de l’infrastructure qui sera en place en 2030. Dans ce contexte, les choix de développement du pays détermineront sa trajectoire d’émissions. D’importants bénéfices connexes pourraient également découler d’un développement intelligent. Il est difficile d’imaginer les effets sur la pollution de l’air local si l’Inde suit une trajectoire de développement intensive en carbone : la densité de population de l’Inde est trois fois plus grande que celle de la Chine !

Faisons une parenthèse pour prendre l’exemple de l’énergie solaire. Entre 2005 et 2011, l’Allemagne était à l’origine d’environ 41 % des capacités solaires photovoltaïques installées dans le monde. Ce chiffre est ensuite tombé à 22 % en 2014, tandis que d’autres pays, dont l’Inde, augmentaient leur utilisation d’énergie solaire photovoltaïque. Cela s’explique notamment par une forte réduction des coûts liés à l’apprentissage technologique – dont le moteur était à l’origine l’Allemagne –, plaçant les prix de cette technologie à la portée des pays en développement. L’objectif de l’Inde est désormais de 100 GW de solaire d’ici 2022, par rapport à la capacité mondiale actuelle de 172 GW. C’est là un résumé de la dynamique que l’accord et les initiatives connexes telles que Mission Innovation et l’Alliance solaire peuvent générer en articulant technologie, investissement, et politique.

Il est donc un peu déplacé de critiquer la position de l’Inde. L’Accord de Paris peut fournir un cadre dans lequel l’action collective peut contribuer à promouvoir des solutions de développement durable. Mais rien ne doit être tenu pour acquis avant l’heure. Lorsqu’il est question de positions de négociation, les arguments et les approches intelligentes peuvent modifier l’atmosphère dans la salle et les probabilités de réussite. Cela n’a pas de sens d’accorder un droit à brûler du charbon ; un droit à la prospérité et à une voie de coopération internationale intelligente est une base beaucoup plus solide. Pour qu’il en soit ainsi, l’Accord de Paris a besoin de comporter un cadre adapté à la coopération financière, technologique et d’adaptation.