Un accord climatique historique a été conclu samedi 12 décembre 2015 à Paris. Après quatre années de discussions (depuis Durban en 2011) et deux semaines de négociations à Paris, cet accord renforce de façon décisive les fondements de la politique climatique internationale. Cet article analyse l'Accord de Paris et le processus de négociation qui a abouti à son adoption ; plus qu'une revue détaillée de ces différentes composantes, il porte un regard global et s'interroge sur les prochaines étapes.

Changement de paradigme : le passage d’une architecture fermée à une architecture ouverte

En informatique, une architecture est dite ouverte lorsqu’elle est conçue de façon à permettre facilement l’ajout, la mise à niveau et l’échange de composants. En revanche, une architecture fermée est difficile à modifier et incompatible avec un logiciel externe. L’Accord de Paris représente la réussite d’un changement de paradigme en préparation depuis plusieurs années, le passage d’une architecture fermée à une architecture ouverte. Dans le cas de la gouvernance climatique, l’architecture fermée était incarnée par le Protocole de Kyoto : des objectifs précis, des listes fixes de pays, des règles et des institutions juridiques fortes et une approche relevant uniquement de l’Etat. Le système s’est révélé trop lourd pour évoluer rapidement et inclure les pays émergents à croissance rapide.

Les contributions déterminées au niveau national (NDC) incarnent ce changement. Pour répondre à la diversité des pays et à la volonté d’avoir une participation universelle, il a fallu développer un instrument flexible permettant à chaque pays de proposer, mettre en œuvre et mettre à jour rapidement son propre plan climatique (dans le jargon de l’accord : NDC). De même, la question complexe de la différenciation entre pays « développés » et « en développement » ne pouvait pas, en fin de compte, être résolue par une redéfinition explicite et quantifiée des responsabilités ou des catégories. L’Accord de Paris établit plutôt un cadre souple, dans lequel tous les pays participent en fonction de leurs circonstances nationales ; les pays développés assument le rôle de leader, et les pays en développement prennent progressivement plus de responsabilités. Il en va de même pour l’objectif de limiter le réchauffement à 2 °C : l’allocation d’un « budget carbone » s’est avérée intellectuellement séduisante, mais pratiquement impossible. Au lieu de cela, l’Accord de Paris définit un objectif à long terme d’émissions anthropiques nettes nulles et propose un mécanisme de révisions quinquennales des NDC pour nous placer sur la trajectoire permettant d’y parvenir. Un dernier aspect de ce changement est la création de nombreuses initiatives multi-acteurs à géométrie variable sur l’innovation, le financement, la résilience, etc., qui complètent l’accord multilatéral formel.

Cette architecture ouverte est équilibrée par une série de règles communes, notamment des règles juridiquement contraignantes et universelles sur la transparence de l’action et le soutien financier, ainsi que des révisions quinquennales régulières et coordonnées des plans nationaux pour le climat à partir de 2020. Elle est aussi équilibrée par l’objectif global de limiter le réchauffement « nettement en dessous de 2 °C ... et d’opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle ». La formulation tient compte de la conclusion scientifique selon laquelle une limitation du réchauffement nettement en dessous de 2 °C nécessite un arrêt total des émissions anthropiques nettes de gaz à effet de serre. En outre, l’accord de Paris est juridiquement contraignant : il devra être ratifié par tous les pays participants et stipule que « les Parties [doivent prendre] des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs des contributions [à leurs réduction d’émissions] ». Cela favorisera considérablement le renforcement des mesures politiques nationales.

Le passage d’une architecture fermée à une architecture ouverte, équilibrée par un objectif commun à long terme et des règles communes, a été considéré par certains comme un pas dans la mauvaise direction. Toutefois, le changement climatique est un problème extrêmement complexe sur le long terme : il demandera innovation et apprentissage en termes de technologies, d’institutions, de politiques et de normes sociales. Par ailleurs, la lutte contre le changement climatique touche au cœur des politiques nationales fiscales et financières, économiques, énergétiques et d’aménagement du territoire. Il est donc impossible de préconiser des solutions ou des politiques spécifiques au niveau international, comme une taxe internationale sur le carbone ou une répartition du « budget carbone » mondial. L’architecture internationale doit plutôt créer les bonnes conditions pour que les politiques nationales puissent être mises en place et renforcées et que leur coordination soit progressivement approfondie.

Il est clair que l’Accord de Paris n’est pas en soi suffisant pour limiter le réchauffement nettement en dessous de 2 °C. Mais son objectif, en tant qu’architecture ouverte, est d’apporter les outils nécessaires pour développer rapidement l’action à travers les révisions quinquennales coordonnées des NDC et le renforcement de la coopération, notamment par des initiatives en dehors du cadre de la CCNUCC. L’Accord de Paris n’a pas été conçu pour être parfait dès le départ. La réussite de l’Accord de Paris dépendra de sa capacité à fonctionner, évoluer et s’améliorer. Nous reviendrons sur ce point plus tard.

Une véritable négociation en vue d’un équilibre très ambitieux

L’économie a longtemps limité la notion d’« équilibres multiples ». Les négociations peuvent en comporter plusieurs, et passer brusquement de l’un à l’autre. Deux équilibres étaient possibles dans les négociations de Paris. L’un représentait le plus petit dénominateur commun, semblable au texte présenté en octobre par les coprésidents de l’ADP. Un accord aurait ici été possible car aucun pays ou groupe de pays n’était tenu de faire de concessions majeures, mais aucun ne bénéficiait non plus de concession majeure.

L’autre devait aboutir à un résultat d’une grande ambition. Un ensemble de facteurs réunis pour faire ressortir, grâce à l’alchimie de véritables négociations, un texte d’une ambition remarquable. Chaque pays ou groupe de pays a dû céder sur des positions essentielles. Les pays développés se sont engagés à soutenir financièrement les pays en développement de façon continue et progressivement croissante, notamment sur la base d’une comptabilité plus rigoureuse. Les pays émergents ont accepté de voir s’estomper véritablement la distinction historique entre pays développés et en développement. Tant les pays développés que les pays émergents ont accepté une expression très forte de l’objectif à long terme des négociations internationales sur le climat, à savoir une réduction à zéro des émissions nettes d’ici la deuxième moitié du siècle.

Plusieurs éléments ont été ici déterminants : l’impulsion donnée par les chefs d’Etat au début de la conférence ; deux années de diplomatie assidue et efficace de la part des Etats-Unis ; un engagement proactif et même courageux de l’Inde et de la Chine ; et une voix beaucoup plus audible et coordonnée des pays vulnérables. Il faut également rendre un hommage particulier à la présidence française, qui a fait preuve d’engagement politique et de connaissances techniques. Un équilibre très ambitieux se maintient grâce à la tension entre chacun de ses éléments et nécessite la connaissance la plus intime des enjeux et des positions de chaque pays. Les connaissances techniques de la présidence française ont ici joué un rôle déterminant. Enfin, le processus de négociation a été très transparent et inclusif, ce qui a créé un sentiment d’appropriation par tous du résultat final et a évité les hoquets procéduraux qui ont pu faire capoter les précédents accords.

Mais plus encore que ces facteurs, c’est la gravité du changement climatique qui a, au cours des dernières années, placé la question au plus haut niveau politique, dans les salles de réunion et dans la conscience publique. En cette période de décomposition apparente de l’ordre international, le changement climatique a favorisé l’émergence d’un accord juridique multilatéral remarquable, adopté par consensus par 196 Parties et comprenant les NDC de 185 pays.

Et maintenant ?

Les années de négociations préalables ont été nécessaires pour trouver l’architecture appropriée pour construire une action collective. En ce sens, l’Accord de Paris s’appuie sur l’expérimentation et l’apprentissage (parfois trop lents) des deux dernières décennies. Mais, comme indiqué plus haut, la réussite d’un accord à l’architecture ouverte dépend de sa capacité à fonctionner, évoluer et s’améliorer.

Les pays développés doivent répondre aux mesures prises par les pays en développement

Depuis 2005, l’objectif des négociations internationales sur le climat a été d’impliquer les pays émergents. A la COP21, la Chine et l’Inde ont en particulier fait un pas de géant vers une plus grande part de responsabilité en termes d’action climatique, notamment grâce au leadership du premier ministre Modi et du président Xi Jingping. Les pays en développement vulnérables ont également accepté le changement de paradigme d’un régime ouvert et universel. Ces négociations de Paris ont donc impliqué une évolution considérable de la part des pays en développement, leur permettant d’arriver à la table de négociation avec des INDCs et d’accepter ce qui est, en substance, une rupture fondamentale avec la différenciation binaire de la Convention et du Protocole de Kyoto.

Ce compromis n’est pas stable en soi : pour qu’il se maintienne, les pays développés doivent mettre en œuvre leurs contributions d’atténuation et leurs engagements financiers de façon sérieuse et immédiate. Pour être en mesure de répondre à l’objectif de financement à long terme, des innovations institutionnelles en matière de politique fiscale seront peut-être nécessaires dans les pays développés afin d’assurer une base financière prévisible. Ils devront également montrer des signes précoces de leur capacité à considérer des objectifs plus ambitieux pour 2030 et au-delà, en initiant les démarches nationales qui leur permettront de mettre en avant les contributions d’atténuation révisées d’ici 2020 au plus tard. C’est nécessaire à la fois pour envoyer le signal à tous les décideurs, investisseurs et innovateurs publics et privés que l’Accord de Paris représente un changement majeur dans la transition vers une nouvelle approche du développement et de la prospérité, et pour créer les conditions dans lesquelles les grands pays émergents envisageront également des mesures supplémentaires d’ici 2020.

La préparation de la prochaine révision des NDC sera cruciale pour la réussite de l’Accord de Paris. Au niveau national, des mesures intérieures immédiates sont nécessaires pour commencer à faire évoluer les systèmes économiques et énergétiques pour qu’une contribution plus importante puisse être soumise sur le plan international. Au niveau international, une coopération en matière de financement et de technologie est nécessaire pour créer un contexte dans lequel les grands pays émergents pourront aller plus loin en 2020. Enfin, le prochain cycle de contributions doit être documenté par une compréhension plus systématique et sur le long terme des transformations des systèmes économiques et énergétiques nécessaires pour atteindre l’objectif, convenu au niveau mondial, d’émissions très faibles en 2050 et de zéro émissions nettes dans la deuxième moitié du siècle. Pour cette raison, le développement des trajectoires nationales de transformation et leur discussion au niveau national représenteront un tremplin important pour le prochain cycle de contributions.

Une gestion plus efficace de la résilience climatique

L’accord présente également un changement radical pour la reconnaissance de l’importance de l’adaptation et de la résilience. Il adopte des outils permettant d’assurer une présentation régulière des plans d’adaptation, un renforcement de la solidarité face aux impacts climatiques, et une augmentation du financement pour les mesures d’adaptation. Mais une adaptation et une résilience réussies nécessiteront en outre un renforcement accru des mécanismes de gouvernance internationale, et bien sûr des cadres politiques nationaux. Dans ce domaine, le processus d’élaboration des politiques internationales en est encore à ses balbutiements. Il faut qu’il y ait un suivi beaucoup plus solide, plus systémique et plus scientifique des vulnérabilités liées au changement climatique au niveau mondial. Cela peut constituer la base d’une réponse politique nationale et internationale aux impacts climatiques qui soit plus cohérente, coordonnée et intense.

Mise en œuvre immédiate et complément de l’Accord de Paris en dehors de la CCNUCC

Enfin, le véritable défi sera la mise en œuvre. Les pays ne peuvent pas attendre que l’Accord de Paris entre en vigueur : la préparation du terrain pour élever l’ambition en 2020, prévue dans l’accord, nécessite une mise en œuvre immédiate.

En outre, l’Accord de Paris est un accord fondateur, et non pas spécifique. Il jette les bases de la coopération entre Etats, définit les objectifs à long terme, et contient les outils de base : NDC, transparence et soutien financier. Il donne une orientation et un but à la coopération internationale sur le climat, et une capacité à évaluer collectivement les progrès réalisés. Cependant, la décarbonation profonde et la résilience climatique exigent une coopération politique plus forte que ce que permet ce genre de cadre multilatéral fondateur. Le travail du cadre multilatéral est de créer la demande et la légitimité de ces initiatives. Un certain nombre d’outils plus spécifiques de ce type a commencé à émerger sous l’impulsion de l’attention politique portée à la COP, notamment la Mission Innovation, l’Alliance solaire, et le groupe de travail du Conseil de stabilité financière sur la divulgation des risques liés au changement climatique. Mais ceux-ci devront être mis en place et renforcés, et d’autres devront être mis au point. L’Accord de Paris offre un fondement universel, sur lequel doivent être construits des piliers plus solides pour la coopération.

Un événement de 2016 pourrait être particulièrement important pour assurer la continuité de l’élan créé par les négociations de Paris, à savoir le G20 qui sera accueilli par la Chine. L’ordre du jour du G20 chinois montre déjà de multiples points d’entrée possibles pour le développement durable et l’atténuation du changement climatique. Le programme chinois a souligné l’importance d’une réponse coordonnée des banques multilatérales de développement pour accroître les investissements dans les infrastructures et pour la négociation d’un cadre d’investissement international permettant d’augmenter les investissements inter-sectoriels. C’est là une excellente occasion de s’assurer de l’intégration des préoccupations climatiques. De même, le programme du G20 chinois souligne l’importance d’élaborer des plans nationaux pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030, notamment en matière de développement durable, d’énergie et de climat.

C’est le moment de faire le bilan et de définir le prochain ordre du jour

En 2015, trois accords de développement durable majeurs ont été négociés : les Objectifs de développement durable, le Programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement, et l’Accord de Paris. Cela marque la fin d’un cycle de décisions politiques importantes. Il est maintenant temps de faire le bilan de ce qui a été accompli et de ce qui reste à faire, notamment pour passer des objectifs à l’action. C’est la raison pour laquelle l’Iddri organisera en 2016 une conférence internationale, afin de faire le point et de participer à la définition de l’agenda du développement durable pour les années à venir.

 

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