Les enjeux de la prochaine Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique (Cancun, Mexique, 4-17 décembre 2016).

La 13e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique (CdP 13) sera placée sous le signe de « l’intégration ». Au-delà de la validation des indicateurs de suivi du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 et des Objectifs d’Aichi, et des discussions sur la biodiversité marine et sur la mobilisation des ressources financières, ce sera la principale nouveauté des discussions. Et la partie la plus importante des propositions de résolutions mises sur la table pour négociation[1]. C’est aussi l’essentiel du message contenu dans le projet de déclaration des représentants « de haut niveau » des gouvernements.


L’intégration, c’est l’idée que la biodiversité, plutôt que d’être confinée aux politiques environnementales stricto sensu, doit être prise en compte dans l’ensemble des politiques, réglementations, incitations et dispositifs de suivi sectoriels : dans les politiques agricole, forestière, de la pêche, des industries extractives, du tourisme, etc. Mais aussi dans les politiques climatiques et les autres politiques intersectorielles (de pauvreté, de santé, etc.), et plus généralement, dans l’ensemble de l’agenda du développement durable.


Une telle intégration paraît nécessaire, tant il semble difficile d’endiguer l’érosion de la biodiversité. Les seuls progrès tangibles aujourd’hui enregistrés portent sur l’extension des aires protégées terrestres et marines. Ces dernières ont permis la conservation d’une partie des espèces emblématiques et rares, pour lesquelles la courbe de l’extinction annoncée a parfois pu être inversée, comme avec l’exemple célèbre du panda, de certaines baleines, ou plus près de nous, des vautours ou du bouquetin. Mais, au-delà de ces réussites circonscrites pour lesquelles la mobilisation s’est avérée possible, on constate plus généralement une simplification accélérée des écosystèmes, une érosion du patrimoine génétique, et même l’effondrement des populations de la biodiversité dite « ordinaire ».


Il est donc logique de plaider que la biodiversité sorte du domaine réservé des aires protégées et des espèces ciblées, qu’elle traverse toutes les politiques, qu’elle soit représentée dans toutes les institutions sociales et économiques. Les décisions qui seront discutées lors de la CdP 13 appelleront ainsi les États Parties à 1) intégrer les questions de biodiversité dans leurs engagements vis-à-vis d’autres processus internationaux, en particulier des Objectifs de développement durable, 2) renforcer les mécanismes de coordination intersectorielle, afin que la biodiversité soit prise en compte dans les agendas nationaux, et développer les outils de comptabilité verte et 3) mettre en œuvre un certain nombre d’actions sectorielles spécifiques dans l’agriculture, les forêts, la pêche et l’aquaculture, et le tourisme.


Néanmoins, si l’intégration plus large de la biodiversité paraît une nécessité, elle rencontrera en partie les mêmes difficultés que celles que rencontrent aujourd’hui les aires protégées et les politiques de conservation ciblées. Dans bien des cas, l’absence d’intégration de la biodiversité dans les autres politiques sectorielles n’est pas le fruit du hasard, ou d’une méconnaissance de l’importance de la biodiversité par les acteurs. La plupart des activités économiques se sont jusqu’à présent organisées sans intégrer la biodiversité, voire en la détruisant sciemment, parce que d’autres priorités nationales paraissaient le justifier, comme la balance commerciale, les ressources fiscales ou la lutte contre la pauvreté. Il est ainsi difficile de justifier le maintien d’espaces exploités de manière moins intensive, envisagés comme autant de gisements de croissance économique inexploités. Une meilleure intégration de la biodiversité dans l’ensemble des secteurs économiques ne peut donc passer uniquement par une démonstration de son importance.


De fait, cette intégration supposera de questionner de nombreuses aspirations sociales et leur traduction pratique. Dès lors, derrière la question en apparence idéale et consensuelle de l’intégration, pointe celle de de la recomposition de l’action, des arbitrages à réaliser, des sacrifices à consentir : que faudrait-il modifier et répartir différemment pour placer la biodiversité au centre des préoccupations dans les institutions, dans les politiques et dans les entreprises ? La CdP 13 renvoie donc cette année à la manière de traduire cet objectif en termes de réorganisation des politiques pour une prise en compte de la biodiversité par la société et l'économie. Or, ce sont des domaines sur lesquels la Convention sur la diversité biologique des Nations-Unies a peu d'influence directe. Il existe peut-être une voie complémentaire. Pour que la biodiversité soit effectivement intégrée, il faut obtenir des acteurs utilisant les sols ou les océans qu’ils réduisent leurs pratiques lorsqu’elles sont dommageables pour la biodiversité, et au contraire encourager les pratiques favorables. Or, initier ces changements n’est pas une prérogative exclusive des gouvernements. Les entreprises, par leurs politiques d’approvisionnement notamment, les institutions financières, qui soutiennent le développement des filières, mais aussi les ONG et les consommateurs, par les pressions qu’ils exercent, jouent un rôle déterminant. La transformation des chaînes d’approvisionnement (ou chaînes de valeur) est une voie possible pour modifier les comportements des acteurs et mieux intégrer la biodiversité dans l’ensemble de l’économie et de la société. C’est en effet l’organisation des chaînes de valeur - qui détermine les types de producteurs encouragés, la rémunération des pratiques, durables ou non - qui permet d’assurer aux populations rurales un certain niveau de vie sans obérer la biodiversité. Cibler et coordonner le rôle, l’influence et l’action des acteurs sur les marchés locaux, mais surtout globaux, est essentiel. Des solutions gagnant-gagnant sont possibles : des modèles d’affaires peuvent être articulés pour des synergies entreprises-biodiversité. Pour cela, des transformations profondes restent à opérer tout au long de la chaîne des acteurs économiques impliqués. Régulations et incitations doivent ainsi être fondamentalement repensées.

Les décisions sur ce sujet risquent néanmoins de rester des vœux pieux à l’issue de la CdP 13. Certes, les Parties seront encouragées à réformer les subventions néfastes à la biodiversité dans l’agriculture et à promouvoir la consommation et la production durables. Mais aucun calendrier opérationnel n’a encore été mis en place. La question des chaînes de valeur, et donc des acteurs et de leur influence dans des marchés de plus en plus globalisés, ne fait l’objet d’aucune attention particulière. Les initiatives des entreprises en vue de chaînes d’approvisionnement « zéro déforestation » sont mentionnées et les gouvernements appelés à supporter ces initiatives. Mais, au-delà de la nécessité soulignée de l’accès à des informations fournies par les entreprises sur leurs chaînes d’approvisionnement, les approches réglementaires et les liens avec le commerce international et sa régulation ne sont pas abordés. Au lieu de se centrer sur les acteurs économiques, les décisions à venir restent cantonnées au niveau institutionnel des politiques sectorielles et de leur coordination.

La marche à franchir est de taille. L’enjeu d’« intégration » de la CBD ne devra pas être envisagé uniquement comme une question d’organisation des institutions et des politiques sectorielles, qui est l’affaire de chaque gouvernement. C’est tout autant, voire davantage, un sujet pour les politiques du développement économique et surtout d’aide au développement, pour les marchés internationaux, les chaînes de valeur et les firmes multinationales. Pour ne pas se cantonner à la formulation de vœux pieux, il faudra reconnaître qu’une telle intégration suppose des arbitrages difficiles entre différentes activités économiques et, plus largement, entre différents projets de société.

C’est à cette formulation adéquate des enjeux de l’intégration qu’il faudra veiller pendant la CdP 13, et c’est un des critères à l’aune desquels on pourra apprécier la portée des travaux qui y seront réalisés.

Dans le cadre de cette 13e CdP, Renaud Lapeyre et Yann Laurans (Iddri) présenteront les résultats de leur étude sur les instruments innovants pour la conservation de la biodiversité dans le cadre de deux événements le 14 décembre :



[1] Draft decisions for the thirtheenth meeting of the conference of the parties to the convention on biological diversity, III.-item 10 pp. 17-48.