A mi-parcours, où en sont les négociations à la COP21 ? Se dirige-t-on vers un résultat positif ? Ce billet analyse d’abord trois signaux positifs à l’œuvre depuis l’arrivée des ministres dans les négociations, et s’intéresse ensuite aux questions de fond.

Tout d’abord, en ce qui concerne le mode de travail, il faut souligner la réussite de la transition du technique au politique, d’une manière transparente et consensuelle. Cette étape est souvent difficile car les négociations politiques doivent être soigneusement préparées. Le niveau technique doit « défricher le terrain » pour que le niveau politique puisse aborder les questions fondamentales sans se perdre dans trop de détails. Cette transition a été réalisée, avec la clôture de l’ADP dans les délais prévus comme convenu.

Deuxièmement, le mode de travail devant être adopté pendant cette dernière semaine de travail politique a été approuvé et semble bien fonctionner. La présidence française a réuni le Comité de Paris, groupe ouvert unique pour diriger les phases finales des négociations. Dans le même temps, un certain nombre de facilitateurs ministériels ont été désignés pour aborder les questions politiques importantes restant à traiter. Ces facilitateurs ont commencé à travailler lundi, et ont déjà signalé certaines avancées. Leur objectif est de revenir mardi avec un document d’orientation sur la façon dont les questions cruciales peuvent être réglées, en se basant sur leurs nombreuses consultations. Ce mode de travail a été largement accepté, même si certains pays se sont montrés quelque peu réticents, souhaitant que les négociations dirigées directement par les pays aient lieu immédiatement (de telles négociations n’ayant pas, jusqu’à présent, montré leur capacité à régler les questions politiques).

Le troisième signal positif est le niveau de capital et de confiance accumulé par la présidence française. Sa capacité à clôturer avec succès l’ADP et à lancer la phase politique a été largement saluée ; tout comme la perspicacité avec laquelle elle a nommé différents facilitateurs ministériels ; de même que la transparence du processus mis en place et la facilité avec laquelle le ministre Laurent Fabius et son équipe ont présidé.

Où en sommes-nous donc sur les questions épineuses ? Les thèmes choisis pour la facilitation ministérielle montrent où sont les écueils. Il s’agit de l’ambition (objectif à long terme et mécanisme de révision), des moyens de mise en œuvre (notamment financiers), de la différenciation, et de l’ambition pré-2020. Analysons ces trois premiers thèmes séparément.

En ce qui concerne l’ambition, on distingue essentiellement trois questions critiques. Tout d’abord, comment tenir compte de l’objectif de température de 1,5 °C et le situer par rapport à la cible de 2 °C ? Deuxièmement, comment traduire l’objectif de température à long terme en trajectoire d’émissions mondiales ? Enfin, comment créer un mécanisme permettant aux pays d’augmenter progressivement leur ambition de façon coordonnée ? En ce qui concerne l’objectif de 1,5 °C, de nombreux pays ont tenu à souligner l’importance des risques climatiques supplémentaires auxquels les pays vulnérables seront confrontés au-delà de 1,5 °C, rappelant donc qu’il était souhaitable de limiter le réchauffement le plus possible en dessous de 2 °C. D’autre part, il semble qu’un accord sur la trajectoire d’émissions soit l’un des enjeux les plus difficiles, les points de vue étant toujours divergents. L’idéal serait de se référer à une étape à mi-parcours (2050), et parallèlement à une transition sobre en carbone mondiale à long terme et à des trajectoires nationales différenciées vers cet objectif commun. Si les discussions restent difficiles ici, des progrès semblent toutefois avoir été réalisés concernant le mécanisme de révision progressive à la hausse des ambitions des pays. Les pays semblent converger autour des concepts suivants : des bilans réguliers tous les 5 ans ; une invitation des pays à resoumettre des contributions tous les 5 ans, sans préjuger du calendrier de ces contributions ; et le principe de détermination nationale pour guider les futurs cycles d’action collective.

En termes de moyens de mise en œuvre, le principal enjeu est clairement le financement. Ici aussi, des avancées semblent être lentement réalisées. L’Union européenne a fait un geste important la semaine dernière, en déclarant qu’elle pouvait envisager que l’engagement de 100 milliards de dollars pris par les pays développés se prolonge après 2020, et augmente au-delà de 100 milliards de dollars avec l’élargissement de la base des donateurs. Cela permettrait de répondre à deux préoccupations, à savoir la nécessité de garantir qu’il n’y aura pas de retour en arrière sur les engagements financiers des pays développés, et d’autre part que les contributions financières commenceront également à venir des pays en développement les plus riches, probablement sur une base volontaire. Une convergence croissante apparaît également sur la nécessité de donner la priorité au financement de l’adaptation, même s’il reste à déterminer si cela s’exprimera en termes quantitatifs.

La différenciation est bien sûr le problème majeur qu’on évite d’aborder. Et pourtant même ici, un certain consensus semble apparaître. Les facilitateurs ministériels ont fait état hier soir de quelques uns des principes fondamentaux ressortant de leurs consultations, qui pourraient être utilisés pour orienter la rédaction concrète. Il s’agit essentiellement d’une approche similaire à celle adoptée pour les contributions prévues au niveau national (les INDCs), à savoir : la participation universelle et l’auto-différenciation guidée par des principes et des structures convenus. Ces principes sont notamment l’absence de régression par rapport aux engagements précédents, le rôle moteur des pays développés, la progression dans le temps et l’orientation collective, ainsi que la flexibilité pour les pays en développement. Ces principes peuvent paraître un peu abstraits, mais pour les négociateurs et les observateurs chevronnés, il n’est pas difficile de voir comment ils pourraient être traduits en propositions de textes concrètes susceptibles de faire avancer les choses.

Il faut aussi mentionner les domaines où des progrès ont été réalisés. Un article sur l’adaptation est presque terminé, et permet d’ancrer de nombreux aspects réclamés par les pays, notamment un objectif d’adaptation mondial, la solidarité en matière d’adaptation en tant que préoccupation mondiale, ou encore plus de transparence et un meilleur partage de l’informations sur les mesures d’adaptation. De réels progrès ont également été réalisés en matière de transparence des mesures d’atténuation et du soutien, mis à part sur la question de la différenciation.

Ainsi, dans l’ensemble, les choses se profilent raisonnablement bien pour la deuxième semaine. Ne soyons pas naïfs : des négociations très difficiles restent à mener. Toutefois, la présidence a été très claire sur la nécessité de disposer d’un texte d’ici jeudi matin pour laisser du temps à sa traduction et sa validation juridique. Il ne faut pas non plus oublier que trois années de négociations ont précédé la Conférence de Paris. Si elles ont pu paraître à certains comme trois années de gesticulations abstraites, elles ont permis aux pays de bien connaître la position de chacun et de s’accorder politiquement sinon textuellement. La ligne d’arrivée est en vue.