Le scénario TYFA (Ten Years For Agroecology in Europe), publié par l’Iddri fin 2018, pointe les nécessaires évolutions concrètes des systèmes agricoles pour qu’une généralisation de l’agroécologie soit atteinte au niveau européen et souligne la nécessité d’opérer une restructuration majeure des systèmes alimentaires existants. La transformation des systèmes de production céréalier et laitier occupe un rôle central dans les hypothèses qui sous-tendent ce scénario. Une analyse en profondeur de ces deux secteurs, dans les cas particuliers du département du Finistère, en Bretagne (pour le secteur laitier) et de la région Île-de-France (pour la filière céréalière), réalisée dans le cadre du projet européen H2020 Sustainable Finance for Sustainable Agriculture (SUFISA), met en lumière les principaux obstacles à surmonter ainsi que les opportunités qui pourraient être saisies afin de diriger ces systèmes de production vers un horizon agroécologique.

Quel horizon agroécologique pour les systèmes de production céréalier et laitier dans le scénario TYFA ?

Le traitement conjoint de la plupart des questions sociales et environnementales auxquelles est confronté le système alimentaire européen, notamment la dégradation de la biodiversité, les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique, ainsi que des problèmes de santé touchant les populations en raison d’une alimentation trop riche et déséquilibrée, constitue l’objectif central du scénario TYFA. Les buts qu’il poursuit se traduisent par des hypothèses spécifiques concernant les pratiques agricoles et l’organisation des exploitations agricoles, au nombre desquelles figurent l’abandon progressif des pesticides et des engrais minéraux, ainsi que le redéploiement de prairies naturelles et le développement des infrastructures agroécologiques. Pour ce qui concerne la production céréalière, ceci implique en particulier la nécessité de rallonger et de complexifier les rotations de cultures. Le besoin d’intégrer davantage de légumineuses, afin d’entretenir la fertilité des sols et d’être en mesure de répondre à l’évolution nécessaire de l’alimentation humaine en faveur d’une proportion plus importante de protéines végétales (vs une diminution de la consommation de produits d’origine animale – viande, produits laitiers et œufs) est un point qui revêt une importance toute particulière. Pour ce qui concerne les systèmes de production laitiers, le scénario TYFA se concentre sur la nécessité de développer l’élevage extensif dans le but de réduire la consommation de céréales qu'induit l'élevage intensif, d'assurer les transferts de fertilité des prairies aux cultures par le biais des ruminants et de favoriser la conservation des prairies permanentes abritant des habitats clés pour la biodiversité.

La manière de parvenir à telles transformations demeure une question essentielle. Si les changements de comportements alimentaires jouent un rôle prédominant dans la plausibilité globale du scénario TYFA, il est également nécessaire d’examiner de quelle manière les stratégies des agriculteurs pourraient évoluer dans la direction précédemment mentionnée. Le projet SUFISA met précisément l’accent sur les stratégies actuellement mises en place par les agriculteurs confrontés à une instabilité environnementale et des marchés croissante. Il fournit des indications sur les principales évolutions/difficultés et opportunités susceptibles de favoriser ou d’entraver ce processus de changement.

La production céréalière en Île-de-France provient principalement d’exploitations de taille relativement importante et hautement spécialisées qui ont récemment été touchées par des événements climatiques et des conditions de marché défavorables. Parallèlement, le blé meunier est soumis à une rude concurrence de la part de la production russe, tandis que le colza se voit fortement concurrencer par l’huile de palme. Dans un tel contexte, les producteurs ont du mal à intégrer les légumineuses dans la rotation de leurs cultures et à complexifier et rallonger ces rotations, malgré les bénéfices qui pourraient être retirés d’un point de vue environnemental et économique. Les cultures de légumineuses sont en effet confrontées à une forte concurrence mondiale et à de faibles barrières tarifaires et peuvent par conséquent difficilement être valorisées sur le marché actuel sur lequel la demande est relativement réduite, que ce soit pour l’alimentation animale (l’élevage n’a plus cours dans la région concernée) ou pour l’alimentation humaine. Bien que la segmentation du marché fondée sur les « labels éthiques » soit parfois considérée comme une partie de la solution, dans la mesure où elle offrirait une meilleure rémunération aux agriculteurs, ces labels n’ont eu pour l’heure qu’un impact limité sur la valorisation des prix du blé et ils ne parviennent pas totalement à sortir le blé de son statut de « commodité ».

Dans ce contexte, les stratégies des producteurs céréaliers se concentrent encore principalement sur la réduction des coûts de production et de mécanisation et sur l’augmentation du recours à des outils de gestion des risques (tels que les assurances récolte). Mais ces stratégies ne répondent pas aux enjeux environnementaux et, tant que des incitations fortes en faveur de l’agroécologie n’ont pas été mises en place et que le rôle même des céréales dans le système alimentaire global n’a pas été questionné d'un point de vue agroécologique, les mesures touchant au domaine environnemental sont essentiellement ressenties comme une charge administrative. Des mesures devraient par conséquent être prises à différents niveaux des chaînes alimentaires (de l’exploitation à l’assiette) par un ensemble varié d’acteurs (autorités locales, acteurs privés et coopératives, échelon national, etc.) s’il est attendu des agriculteurs qu’ils évoluent vers des pratiques agroécologiques par le biais notamment de la réintroduction des légumineuses dans la rotation de leurs cultures.

Plus d’informations sur les filières céréalières

Résumé de l’étude de cas sur les filières céréalières

Concernant l’élevage laitier dans le Finistère, deux systèmes de production coexistent et, dans une certaine mesure, sont en concurrence : l’un, relativement intensif, qui représente plus de 70 % des exploitations et dans lequel les stratégies se fondent essentiellement sur le maïs et le tourteau de soja ; le second, appelé système « économe/autonome », qui représente près de 15 à 20 % des exploitations, et dans lequel les stratégies en matière d’alimentation animale reposent principalement sur les prairies. Pour le moment, la durabilité du second (notamment en termes de rentabilité économique) est au moins systématiquement égale à celle du premier, et supérieure dans de nombreux cas. Discuter d’un avenir plus durable pour la production laitière dans le Finistère revient par conséquent à étudier dans quelle mesure le système de production économe pourrait prendre davantage d’importance à l’échelle du département. Parallèlement, l'instabilité croissante du marché du lait après la fin des quotas laitiers n'a été que partiellement contrebalancée par les accords conclus à la faveur du « paquet lait » (milk package), qui renforce les organisations de producteurs et la négociation collective des clauses des contrats liant producteurs et collecteurs de lait depuis 2012 au niveau de l’UE.

La segmentation du secteur laitier (par le biais d’initiatives telles que la production de lait de pâturage) et la formalisation de négociations au moyen du regroupement des organisations de producteurs n’ont pas encore réussi à stabiliser la situation des producteurs laitiers et à traiter pleinement les questions de durabilité environnementale. Répondre à ces deux problématiques impliquerait de travailler à des stratégies territoriales plus fortes visant à renforcer l'accès des agriculteurs aux pâtures et à développer la segmentation de la production en amont afin de réduire la pression exercée sur les agriculteurs par les acteurs de l'aval, en faisant preuve d’une ambition renforcée concernant les systèmes de production qui sont encouragés. En effet, cette segmentation ne parvient pas toujours à générer une distinction entre la production venant du Finistère et celle avec laquelle elle est en concurrence, et elle échoue dans certains cas à faire évoluer les modèles agricoles vers des formes totalement extensives. Les agriculteurs biologiques ignorent dans quelle mesure leur production peut supplanter le lait produit de manière conventionnelle tandis que la production de lait de pâturage s’articule à l’heure actuelle sur la base de faibles critères de différentiation (afin d’inclure le plus grand nombre d’agriculteurs), si bien qu'elle rencontrera des difficultés à se différencier de la production de lait conventionnel ou à être concurrentiel sur le marché européen (où ils ont à affronter les systèmes de production plus compétitifs de l’Europe du Nord).

Plus d’informations sur la production laitière

Résumé de l’étude de cas sur l’élevage laitier

Version intégrale des deux études de cas 

Plus d'informations sur TYFA : https://www.iddri.org/fr/projet/reussir-la-transition-agro-ecologique-en-europe

Plus d'informations sur SUFISA: https://www.sufisa.eu (& blog: https://sufisa.wordpress.com)


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