Le discours annuel de la présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen a été marqué par le maintien d’un agenda environnemental qui continue de faire figure de boussole pour l’Europe, crise après crise. Cette persistance est bienvenue et fondée, tant les transformations nécessaires sont à même de répondre aux multiples défis auxquels l’Union européenne est confrontée, notamment celui de son autonomie et de sa sécurité. La haute priorité politique donnée au Pacte vert peut cependant toujours être fragilisée dans un contexte politique très évolutif. Au-delà du paquet climat, du plan RepowerEU et des mesures de court terme pour assurer le passage de l’hiver tant sur le plan de la sécurité énergétique que de la cohésion sociale, l’UE ne doit ainsi pas retarder la mobilisation des moyens pour accélérer et installer dans la durée dès aujourd’hui les mesures structurelles que sont la réduction des consommations énergétiques et le déploiement des énergies renouvelables : ce sont elles qui sont les véritables solutions pour atteindre les objectifs européens à 2030, et en même temps assurer structurellement autonomie et sécurité. Enfin, absente du discours, la transition du système alimentaire portée par la stratégie « De la Ferme à la fourchette » gagnerait à être reconnue au même niveau comme un vecteur d’autonomie au service du projet européen.

Dans un discours marqué par le bouleversement géopolitique provoqué par la guerre en Ukraine et ses conséquences pour l’UE et visiblement inspiré par le concept d’écologie de guerre, la présidente la Commission européenne a présenté le Pacte vert comme un moyen de rendre l’Europe plus autonome dans la mise en œuvre de son projet basé sur la démocratie et la solidarité. Combiner ainsi recherche d’autonomie et lutte contre les crises environnementales a des fondements solides pour un continent encore bien trop dépendant aux importations d’énergies fossiles. Cette orientation marque en outre une prise de conscience renforcée des réalités physiques du continent et du besoin d’utiliser les ressources avec sobriété pour ne pas dépendre de régimes aux valeurs éloignés. Cette prise de conscience, illustrée par l’annonce d’une législation sur l’accès aux matières premières critiques, est salutaire alors que la porte s’est ouverte pour une rénovation du projet européen passant par une révision des traités appelée de ses vœux par la présidente de la Commissaire dans laquelle la montée des enjeux écologiques devra prendre toute sa place. 

À court terme, Ursula van der Leyen s’est félicitée, à juste titre, de la réaction rapide et solidaire de l’UE dans le domaine énergétique, qui a permis des pas importants dans la préparation de l’hiver en agissant sur le stockage d’énergie, et en proposant des plans coordonnés d’économie de gaz et maintenant d’électricité. Les effets distributifs délétères de la fixation du prix de l’électricité sur la cohésion sociale peuvent désormais être traités, en facilitant le prélèvement des profits exceptionnels et non anticipés des énergéticiens. Cette solidarité européenne devra continuer de faire ses preuves au cours de l’hiver, qui ne manquera pas d’apporter son lot d’enseignements sur ce qui a marché et ce qui peut être amélioré. Sortir par le haut de la crise énergétique suppose néanmoins de mettre l’action sur les solutions de long terme et de ne pas se tromper de priorité.

Tout d’abord, la crise actuelle a également permis de faire émerger la question de la sobriété dans le débat européen, dont la traduction concrète se limite aux plans d’économie de gaz et d’électricité à court terme. Une fois l’hiver passé, il serait utile de capitaliser sur l’expérience actuelle et de lancer une réflexion à l’échelle de l’Union pour inscrire ce concept dans la durée, autant dans une logique de réduction des dépendances stratégiques que de cohérence avec les objectifs environnementaux, et de mettre en œuvre des transformations plus structurantes pour engager les changements de modes de vie nécessaires à la transition écologique et à l’autonomie stratégique. 

La crise énergétique a mené les États membres à engager des dépenses massives pour limiter le prix de l’énergie. Or un enjeu majeur pour toute l’UE consiste à sortir progressivement de ces politiques peu ciblées et coûteuses pour les budgets publics afin de concentrer les moyens sur les solutions de long terme :  déploiement des énergies renouvelables, rénovation énergétiques, aides à la mobilité vers les ménages les plus vulnérables. Un premier signal positif vient du Parlement européen, qui a soutenu l’augmentation les objectifs à 2030 de 45 % d’énergies renouvelables et d’une réduction de la demande énergétique de 9 à 14,5 %. Mais doubler la part d’énergies renouvelables en huit ans suppose un changement de dimension et la mobilisation de ressources financières supplémentaires. Cela devrait justifier le lancement d’une discussion politique sur de nouveaux moyens communs au niveau européen au-delà du plan de relance, d’autant plus justifié dans un contexte macroéconomique plus difficile pour les finances des États membres avec la remontée des taux d’intérêt.

Il est aussi important de conserver une perspective systémique sur l’évolution de nos systèmes énergétiques et alimentaires. Le développement de l’hydrogène est utile pour la décarbonation de certains secteurs industriels et éventuellement dans le transport et à terme pour la production saisonnière d’électricité. Mais, contrairement aux propos de la présidente de la Commission, ce développement constituera certainement plus un changement pour certaines filières que la nouvelle donne annoncée pour le système énergétique européen ;s’il est légitime de soutenir son déploiement aujourd’hui, il ne sera pas utile partout et pour tout et ne doit pas être la seule priorité. Les défis de la décarbonation étant majeurs et nécessitant le développement de coopérations dans tous les secteurs de l’économie, il est également important de ne pas cantonner la diplomatie de l’UE à une recherche de volumes énergétiques à importer sous la forme de gaz ou d’hydrogène. Enfin, malgré le contexte marqué par la crise énergétique, la transition du système alimentaire est au cœur du Pacte vert, et aurait mérité d’être mentionnée au même niveau compte tenu des échéances importantes à venir. Pour résoudre les défis de la construction européenne, la transition écologique et ses transformations sur les systèmes alimentaire et énergétique ont toute leur place.