Dans ses plans pour 2023 adressés au Parlement européen, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n’a pas mentionné la proposition de cadre législatif pour des systèmes alimentaires durables (Sustainable Food System legislative framework – SFSF). Cela a donné lieu à des spéculations sur le calendrier de cette proposition clé qui a été présentée comme pierre angulaire du Pacte vert de l’UE pour le secteur agroalimentaire. Ce billet, cosigné par les membres du réseau Think Sustainable Europe, souligne l’importance du SFSF qui doit être proposé l’année prochaine pour favoriser une transition durable du système alimentaire européen, compte tenu de l’urgence d’une telle transition.

Les sécheresses, vagues de chaleur, inondations et incendies de forêt que nous avons connus cette année et au cours des dernières années ne peuvent que s’intensifier avec le réchauffement de la planète, tandis que la disparition des pollinisateurs, des prédateurs naturels des insectes et l’érosion des sols menacent déjà gravement la production alimentaire. Pour assurer la disponibilité alimentaire dans l’UE sur le long terme, il faut donc renforcer la résilience et la capacité d’adaptation de nos systèmes de production. Il est particulièrement important de réduire la dépendance à l’égard de l’alimentation animale importée et des engrais d’origine fossile, et d’opter pour des régimes alimentaires plus sains et plus durables. Ces changements sont nécessaires pour que l’UE devienne un exportateur net de calories, alors qu’elle en est actuellement un importateur net. Le SFSF est l’occasion de définir un plan cohérent pour une telle transformation, et ainsi atteindre les objectifs du Pacte vert européen. Il ne fait aucun doute que cette transition prendra du temps, mais c’est une raison de plus pour se mettre d’accord et mettre en œuvre un SFSF ambitieux le plus tôt possible.

Certains se sont néanmoins opposés aux aspects agroalimentaires du Pacte vert de l’UE, avant l’invasion russe de l’Ukraine, en invoquant des impacts négatifs sur la sécurité alimentaire mondiale et sur la souveraineté alimentaire de l’UE (définie comme une autonomie stratégique pour un ensemble de produits alimentaires). Il semble toutefois que le véritable enjeu derrière ces arguments soit la question de la compétitivité des acteurs agroalimentaires de l’UE, qui a diminué au cours des deux dernières décennies.

Parlons donc compétitivité et place sur les marchés mondiaux. Très souvent, cette discussion met l’accent sur la concurrence en termes de volumes de production agricole, plutôt que sur la valeur. Ce point est problématique dans la mesure où l’une des principales raisons d’être du Pacte vert est d’être une stratégie de croissance durable, offrant aux secteurs économiques de l’UE des opportunités et une voie à suivre grâce à la transformation écologique. Ils peuvent trouver un nouvel espace et un nouveau rôle dans un monde globalisé, en relevant les normes en matière de climat, de biodiversité, de santé publique et de bien-être animal au sein du marché commun de l’UE, mais aussi en jouant un rôle de pionniers et de normalisateurs sur les marchés mondiaux sur ces questions. Il est donc essentiel de créer davantage de valeur et de respecter des normes plus strictes. Entre autres choses, un SFSF constituerait le fondement pour définir des normes tout au long des chaînes alimentaires qui permettraient également de définir l’avantage concurrentiel des acteurs européens.
Pourquoi est-ce d’autant plus important dans le contexte actuel ? Trois éléments clés doivent être pris en compte :

  1. La concurrence pour devenir la référence en matière de normalisation est acharnée. De nombreux acteurs très actifs dans la diplomatie des systèmes alimentaires interviennent dans divers forums, allant du Comité des Nations unies sur la sécurité alimentaire mondiale à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, en passant par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Ils préconisent une approche fondée sur l’intensification durable et l’agriculture intelligente face au climat, compatible avec des ajustements marginaux des systèmes de production alimentaire déjà déployés à grande échelle et hautement spécialisés (par exemple, l’élevage industriel et les monocultures végétales). Si les acteurs de l’UE ne parviennent pas à cristalliser et à codifier leurs propres normes, ils risquent de laisser passer l’occasion de garantir que les systèmes agricoles européens plus durables et diversifiés soient représentés. Dans un tel contexte, il convient de défendre le choix du Pacte vert de miser sur une transformation visant à préserver non seulement les cycles du carbone, mais aussi la biodiversité, et à diversifier les systèmes de production et les régimes alimentaires. Cela doit se faire au plus haut niveau de la diplomatie alimentaire dans toutes les instances, en commençant par une définition rapide et précise de l’alimentation durable dans le cadre législatif pour des systèmes alimentaires durables prévu en 2023.
     
  2. Opter pour la diversification, c’est aussi opter pour la résilience aux chocs climatiques, aux épidémies de ravageurs et autres chocs biologiques comme les zoonoses, ainsi qu’aux chocs économiques. C’est pourquoi la voie de la diversification a été choisie dans la stratégie « De la fourche à la fourchette », et non pas une stratégie risquée d’ajustements marginaux aux tendances de concentration et de spécialisation existantes. De nombreux acteurs des secteurs agroalimentaires de l’UE sont déjà convaincus qu’il s’agit de la meilleure stratégie de résilience et de compétitivité et ont investi de manière substantielle dans cette trajectoire de transformation. Ces acteurs peuvent devenir le moteur de la transformation du système alimentaire de l’UE si les marchés et les chaînes d’approvisionnement dans lesquels ils ont investi deviennent le courant dominant et si le secteur financier considère également que leurs investissements représentent l’avenir. Pour ce faire, un environnement politique favorable est nécessaire pour relever les défis systémiques, notamment en créant les conditions permettant aux consommateurs de jouer un rôle actif et de faire des choix en faveur d’une alimentation saine provenant de sources durables.
     
  3. La proposition du SFSF est essentielle pour la cohérence interne et externe de l’ensemble du projet de Pacte vert européen. Sans une stratégie capable d’aborder conjointement la consommation et la production alimentaires, il sera extrêmement difficile d’atteindre les objectifs de durabilité de l’UE en matière d’alimentation, d’agriculture, de climat, de biodiversité, de zéro pollution et de bien-être animal. En outre, compte tenu de l’emprunte carbone des importations européennes de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux, une transformation durable du système alimentaire est fondamentale pour garantir la cohérence avec une série d’autres engagements internationaux, notamment en matière de climat et de limitation de la contribution de l’UE à la déforestation. Un SFSF ambitieux permettra à l’UE de rester crédible sur la scène internationale dans son rôle de précurseur en matière d’ambition environnementale et, plus important encore, de démontrer ce qui est possible et d’utiliser le marché unique comme levier pour relever les normes mondiales.

La transition vers des systèmes alimentaires durables, tant en termes de production que de consommation, est essentielle pour atteindre les objectifs de l’UE en matière de climat et de biodiversité et garantir la compétitivité à long terme de son système alimentaire. Il est donc urgent d’adopter une législation ambitieuse en matière de SFSF pour favoriser cette transformation et mettre en œuvre le Pacte vert de l’UE.