Pékin

La 14e Conférence des Parties (COP) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui s’est achevée le 29 novembre dernier à Charm el-Cheikh (Égypte), était la dernière avant celle de 2020. La COP 15, qui se tiendra à Beijing (Chine), sera un jalon important dans l’histoire de la gouvernance internationale de la biodiversité. Elle devra permettre de prendre acte des réussites et des limites des processus internationaux sur la biodiversité, et surtout de poser les bases d’une nouvelle architecture permettant de mieux contribuer aux profondes transformations socioéconomiques nécessaires pour freiner l’érosion de la biodiversité. C’est une véritable course contre la montre qui s’ouvre à présent, car seulement deux ans séparent Charm el-Cheikh de Beijing, où un accord à 196 États devra être trouvé. Si la COP 14 a permis de poser des bases utiles pour avancer, il va maintenant falloir accélérer, et la mobilisation en dehors des négociations va être cruciale. Et ce d’autant plus que la COP 14 a aussi révélé, si besoin en était, que des tensions sont encore bel et bien présentes dans la gouvernance de la biodiversité.

Une ambition stratégique : renouveler le cadre de gouvernance de l’après-2020

Comme à l’accoutumée, l’agenda de la COP 14 était chargé. Se sont mêlés des sujets d’ordre thématique (par exemple le rapprochement des politiques climatiques et celles dédiées à la biodiversité, ou le lancement d’un plan d’action pour les pollinisateurs) et des sujets plus stratégiques pour le futur de la convention, en particulier l’ouverture des négociations du futur « cadre mondial post-2020 pour la biodiversité ». Celui-ci devra remplacer le plan stratégique actuel, adopté en 2010, qui prendra fin en 2020 et dont on sait déjà que le bilan sera très mitigé : ces deux dernières décennies, malgré des efforts certains partout dans le monde, la biodiversité a continué à fortement décliner dans toutes les régions du monde et pour tous les types d’écosystèmes (terrestres, aquatiques, marins).

« Faire mieux qu’avant », dans ce contexte, revient donc à trouver comment le cadre post-2020 pourrait permettre, à défaut de prétendre tout régler lui-même, de mieux contribuer aux transformations socioéconomiques nécessaires à la préservation de la biodiversité. La CDB a depuis longtemps reconnu l’importance de ces enjeux, mais les décisions associées sont prises ailleurs, dans des arènes sectorielles (commerce, haute mer, climat, politiques de développement, etc.). Les acteurs de la biodiversité doivent donc pouvoir interpeler ces arènes, y trouver des alliés, des points de convergences, des leviers de changement. C’est bien l’ambition que l’on retrouve, assez explicitement, dans les documents produits par le secrétariat de la CDB et décrivant l’ambition de la CDB à stimuler un « changement transformatif » en faveur de la biodiversité.

À cette ambition, la COP 14 a envoyé (au moins) deux avertissements ; mais elle a aussi permis des avancées, offrant quelques lueurs d’espoir.

Au cœur des crispations, la géopolitique de la biodiversité

Parmi les avertissements, la COP 14 a tout d’abord révélé les difficultés qu’il pouvait y avoir, pour la CDB, à aborder des sujets auxquels est attachée une forte dimension géopolitique. La discussion sur les « EBSA » (pour Ecologically or Biologically Significant Marine Areas), processus entamé en 2008 à la CDB et visant à dresser la liste des zones de l’océan les plus importantes du point de vue de la biodiversité, a en effet été fortement entravée : reconnaissance ou non de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM, ou UNCLOS en anglais) comme cadre légal principal, distinction ou non des EBSA situées en eaux territoriales ou en haute mer, ou encore modalités de désignation d’une EBSA (unilatérales versus multilatérales). En conséquence, c’est toute l’Annexe II du document dédié, qui devait fixer les modalités de désignation et modification des EBSA, qui reste entre crochets, et donc à valider. Cet exemple montre à quel point la discussion multilatérale à la CDB devient délicate dès que l’on s’approche effectivement des questions de souveraineté, d’accès aux ressources, voire de géostratégie.

Le second avertissement est apparu dans les discussions tendues autour des digital sequence information (DSI), soit, pour schématiser, les bases de données contenant des séquences ADN. Au cœur du débat, la peur que la montée en puissance de ces bases de données et du « big data », ainsi que leur caractère « open access », ne constituent une menace sur les revenus espérés, par les pays en développement, provenant de l’accès et du partage des avantages (APA) tirés de l’exploitation des ressources génétiques, objet du protocole de Nagoya adopté en 2010. L’exigence d’avancées sur ce sujet des DSI a été utilisée comme menace tactique dans les négociations : plusieurs pays ont conditionné l’ambition du cadre post-2020 à ce que l'utilisation de l’information génétique génère elle aussi des revenus pour les pays en développement. L’argument étant que l’on ne peut pas demander aux pays d’être plus ambitieux après 2020 si l’on ne partage pas équitablement les revenus issus de la biodiversité. Ce qui semble, selon nous, se jouer derrière ces débats, est la tension entre pays développés et en développement. Les oppositions de fond sur la responsabilité des uns et des autres (en matière de dégradation comme de réparation) restent présentes, de façon larvée, et émergent là où elles peuvent se trouver une place. La question des DSI va faire l’objet d’un groupe de travail, dont le rapport alimentera le processus d’élaboration du cadre post-2020. Sans en attendre les conclusions, on peut présager que la question du financement international du développement (durable) viendra prendre une place importante dans les discussions sur le post-2020, sous l’avatar DSI/APA ou un autre, et qu’elle conditionnera, comme cela a été le cas pour l’Accord de Paris, le niveau d’ambition que l’on pourra espérer.

Des avancées à confirmer

Parmi les avancées, le « Sharm El-Sheikh to Beijing Action Agenda for Nature and People » vise à fédérer et galvaniser la myriades d’initiatives existantes sur la biodiversité, à lancer de nouvelles coalitions, à créer une dynamique politique et à faire monter la pression pour un accord ambitieux à Beijing en 2020. Un espace de ce type, lié au processus multilatéral de la CDB, manquait. À charge maintenant pour tous les acteurs (États, collectivités, entreprises, etc.) de se mobiliser et peupler cet espace avec leurs initiatives et engagements. Dans les discussions climatiques, l’Agenda de l’action a notamment permis de faire émerger, en parallèle des négociations formelles, des coalitions multi-acteurs autour de sujets qu’il est impossible de traiter de front dans la négociation multilatérale, comme la sortie du charbon par exemple. Autour de la CBD, des initiatives relatives à certains sujets sectoriels, comme la sortie des pesticides ou la pêche, pourraient émerger sans devoir affronter toutes les difficultés du multilatéralisme (cf. l’exemple des EBSA) tout en bénéficiant d’une attention politique accrue. Le succès de cet agenda va dépendre de la qualité des annonces qui vont y être faites ; mais il a déjà le mérite d’exister et d’avoir été lancé deux ans avant Beijing.

L’autre outil intéressant – mais aussi le pari risqué – qui a émergé de la COP 14 est l’appel à des engagements volontaires que les États sont invités à soumettre d’ici la COP 15, reflétant par là-même les efforts additionnels qu’ils sont prêts à faire. Avec une référence explicite à la dynamique ayant précédé l’Accord de Paris (autour des contributions climat, les NDCs), l’objectif est double : créer de l’émulation entre États et une course au leadership, stimuler les discussions et l’attention politique, et multiplier les effets d’annonce avec la soumission progressive des engagements d’ici 2020 ; donner un aperçu de ce sur quoi les États sont prêts à négocier, de l’ambition affichée et des sujets où des progrès pourraient être accomplis pendant la prochaine décennie. Un succès de cet appel à engagements pourrait aussi encourager l’idée, déjà omniprésente, de le formaliser plus avant et former un système de contributions nationales dans le régime post-2020. Si l’on peut effectivement souhaiter qu’une dynamique soit lancée, le pari est néanmoins risqué : se retrouver à Beijing avec à peine quelques dizaines d’engagements sur la table, dont tous pas forcément de très bonne qualité. Ce serait alors un échec, et qui aura peut-être détourné l’attention d’autres sujets d’importance. Par ailleurs, comme nous le soulignions avant la COP 14, il faudrait au plus vite commencer à clarifier la manière dont ces engagements nationaux s’articuleraient avec objectifs mondiaux, dont ils pourraient effectivement s’attaquer aux moteurs de l’érosion de la biodiversité, et sur la manière de mesurer les progrès et revoir les engagements. Par ailleurs, la manière de lier juridiquement ces engagements à la CDB, et donc de leur donner une existence légale dans le cadre de cette convention internationale, devrait aussi être envisagée rapidement. C’est un processus intense qui s’ouvre à présent, et la COP 14 a aussi acté la création d’un groupe de travail présidé par le Canadien Basile van Havre et l’Ougandais Francis Ogwal. Compte tenu du nombre de sujets qui restent ouvert, ce groupe va avoir fort à faire.

Le succès des outils actés par la COP 14 va dépendre de la mobilisation, notamment au plus haut niveau, dans les deux ans qui viennent. Comme l’a conclu Yasmine Fouad, ministre de l’Environnement égyptienne : « il faut qu’on monte la biodiversité d’un niveau. Si vous êtes au niveau de l’agence, faites monter la biodiversité au niveau ministériel. Si vous êtes au niveau ministériel, faites-la monter au niveau du chef d’État ». C’est aussi ce qu’attendent les autorités chinoises, qui veulent un résultat significatif à la COP 15, mais qui attendent de voir l’état des ambitions pour fixer la leur.