La COP 15 de la biodiversité va suivre à quelques semaines de distance le grand moment annuel de gouvernance mondiale de l’environnement de la COP 27 sur le climat. Événement de moindre retentissement médiatique en général, cette COP 15 est cependant un moment extrêmement critique où doit être trouvé l’accord sur le cadre d’action pour la prochaine décennie, qui soit enfin à même d’enrayer la perte de biodiversité. Dans le contexte actuel de rivalité géopolitique et de défiance entre pays du Sud et pays du Nord, on pourrait s’attendre à ce que les effets de la COP 27 se fassent sentir à la COP15 : quelles impulsions politiques ? Reconstruction de la confiance ou renforcement de la défiance ? Comment les synergies ou les antagonismes entre action climatique et action pour la biodiversité ont-ils été traités ? Ces effets cadreront plusieurs sujets âprement négociés à la COP 15. 

Pas d’impulsion politique formelle, mais des signaux pour un contexte favorable à la coopération

Un an après le Pacte de Glasgow de la COP 26 qui, pour la première fois dans l’histoire de la Convention Climat, a souligné avec force l’importance d’« assurer l'intégrité de tous les écosystèmes », la biodiversité a fait l’objet de nombreux événements parallèles et de discussions informelles à Charm el-Cheikh, et trouvé une place dans la décision de la COP 27, notamment par la mention explicite des solutions fondées sur la nature et de la forêt. Sans toutefois lancer d'impulsion politique formelle des Parties pour un accord ambitieux à la COP 15, ce qui n’est pas étonnant, de nombreux pays exprimant régulièrement un principe de non-interférence entre les mandats des différentes conventions internationales. Plusieurs personnalités architectes de l’Accord de Paris sur le climat (Laurence Tubiana, Laurent Fabius, Manuel Pulgar Vidal, Christiana Figueres) ont cependant profité de la COP 27 pour appeler à faire de la COP 15 sur la biodiversité un équivalent de l’Accord de Paris.

Les signaux politiques les plus déterminants sont ceux qui ont renoué les fils de la coopération, comme cela a été les cas entre les envoyés climat étatsunien et chinois à la COP 27 (et leurs présidents au G20), et un ensemble d’annonces clés montrant l’engagement des pays du Nord en matière de solidarité financière avec les pays du Sud. En effet, une des parties les plus critiques de la négociation de la COP 15 concerne la mobilisation des ressources, en particulier des ressources financières, pour l’action au service de la biodiversité dans les pays du Sud. De manière assez similaire à la discussion sur le climat, aux propositions d’engagements de transferts financiers des pays du Nord vers les pays du Sud, ceux-ci répondent dans la négociation sur la biodiversité sur les trois mêmes registres.

  • Comment s’assurer que les promesses de financement seront davantage tenues que précédemment, par référence au plancher de 100 milliards de dollars par an de transferts financiers du Nord vers le Sud pour le climat, promis en 2009 pour être effectif dès 2020, alors que ces flux plafonnent à un peu plus de 80 milliards depuis trois ans ?
  • Comment assurer que ces financements soient facilement accessibles et répondent rapidement aux besoins des pays du Sud ? C’est autour de cet argument que sont ancrées les propositions chinoise mais surtout brésilienne de création d’un fonds ad hoc pour la biodiversité, en plus du Fonds pour l’environnement mondial dont c’est déjà une des missions clés.
  • Quoi qu’il en soit, les besoins d’investissement pour la biodiversité sont en fait d’un ordre de grandeur supérieur à ces propositions d’engagements financiers : quand les pays du Nord promettent une dizaine de milliards de dollars par an, les pays du Sud évoquent des chiffres se comptant en centaines de milliards de dollars par an. 

Sur ces différents registres, la COP 27 a en partie permis de reconstruire la crédibilité des engagements de solidarité financière, même si des formes de défiance persistent. Les pays du Nord ont crédibilisé l’atteinte du plancher de 100 milliards de dollars par an à échéance 2024, ainsi que le doublement du financement pour l’adaptation. Les annonces ciblées de partenariats pour la transition énergétique juste (Just Energy Transition Partnerships – JETPs) consolident également la crédibilité des promesses et notamment la redevabilité des pays financeurs : le JETP avec l’Afrique du Sud est l’une des seules initiatives issues de la COP 26 à Glasgow qui soit aussi précise en termes de redevabilité sur la mise en place des montants promis, et le JETP avec l’Indonésie annoncé à la COP 27 indique lui aussi des montants conséquents à l’échelle d’un pays (10 milliards de dollars de financements publics et 10 milliards de financements privés) mis en face d’un plan de transition énergétique.

La réforme des institutions financières internationales en toile de fond

Plus largement, les pays du Sud font aussi entendre que leurs besoins d’investissement sont énormes pour rebondir face à la série de crises qui les affecte (conséquences socioéconomiques de la pandémie de Covid, de la guerre russe en Ukraine, mais aussi des catastrophes climatiques qui augmentent en fréquence et en intensité), mettant en danger leur trajectoire d’émergence économique, au moment même où ils sont pris à la gorge par la dette et où la croissance de leur population active nécessiterait des investissements majeurs pour une trajectoire d’industrialisation : le rapport de Nicholas Stern, Vera Songwe et Amar Bhattacharya sur ce sujet indique un besoin d’investissement de 2 000 milliards de dollars par an, dont au moins la moitié devra provenir de financements internationaux. Vu l’importance des secteurs reposant sur les écosystèmes et la biodiversité, et notamment l’agriculture et l’industrie agroalimentaire, dans la trajectoire d’émergence économique de nombreux pays les plus pauvres et les plus vulnérables, il n’est pas étonnant que ces pays expriment des besoins se montant en centaines de milliards de dollars par an.

C’est face à ces besoins légitimes que la dynamique de réforme de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international prend tout son sens, pour pouvoir dégager des montants d’une telle ampleur. Soutenue à la fois par les États-Unis lors des réunions semestrielles de ces institutions en octobre 2022, alimentée par l’Agenda de Bridgetown proposé par la Première ministre de la Barbade pour traiter la question des plus vulnérables, cette dynamique a reçu le soutien formel du président français dès le début de la COP 27, donnant rendez-vous à la fin du premier semestre 2023 pour avoir progressé rapidement à ce sujet, également celui du G20 de Bali pendant la seconde semaine de la COP 27. 

Les pays du Nord et les plus grandes économies de la planète ont donc démontré leur engagement pour répondre à ces besoins massifs d’investissements, ce qui devrait permettre d’engager les discussions sur le financement de la biodiversité de manière plus sereine.

Aligner la finance mondiale sur la biodiversité et le climat et répondre aux besoins des pays du Sud

Cela devrait aussi permettre, sur la biodiversité comme sur le climat, de mettre à l’agenda de manière plus centrale la question de l’alignement de l’ensemble de la finance mondiale, privée comme publique, sur les objectifs de climat et de biodiversité : comme le soulignent les pays du Nord, la question des transferts publics du Nord vers le Sud ne permettra pas seule d’atteindre les objectifs de transformation de l’économie mondiale pour qu’elle soit positive pour la nature et pour le climat ; c’est l’ensemble des flux financiers qu’il faut réorienter. Mais sans la dynamique de réforme de la Banque mondiale et du FMI, cette insistance sur la réorientation de l’ensemble de la finance aurait pu ressembler à une manœuvre dilatoire : il faut non seulement réorienter les milliers de milliards de dollars de la finance mondiale vers une économie décarbonée et positive pour la nature, mais aussi réussir à les orienter vers les pays les plus pauvres et les plus vulnérables, où ils viennent trop peu s’investir.

Enfin, les pays des grands bassins forestiers de la planète se sont aussi fait entendre fortement à la COP 27, avec la création d’une alliance surnommée « l’OPEP de la forêt » : la question du financement de la conservation de ces forêts dont la valeur pour la biodiversité et le climat est inestimable et irremplaçable a aussi été évoquée, notamment par le président français qui a annoncé un « Positive Conservation Partnership ». Ce type de partenariat vise à répondre aux besoins d’investissement spécifiques pour les communautés locales et les populations autochtones qui exercent une forme de gérance (stewardship) de ces grands écosystèmes, et éviter qu’elles ne se tournent vers des formes extractives ou qu’elles soient balayées par elles. Ces pays, et notamment le Gabon qui souhaite poursuivre la conversation sur les forêts au-delà de la COP 15 par un One Forest Summit à Libreville au premier semestre 2023, peuvent jouer un rôle pivot dans l’accord à la COP 15 à la croisée entre ambition de protection de la biodiversité et mobilisation des ressources pour les pays du Sud.

La décision de création d’un fonds ad hoc sur les pertes et préjudices liés au climat, entre confiance et défiance

Le fait le plus marquant de la COP 27 a été la main tendue par l’Union européenne aux pays du Sud, en acceptant la création d’un fonds ad hoc sur les pertes et préjudices, tout en indiquant que d’autres options lui paraissaient plus pertinentes et plus efficaces. En acceptant cette demande du G77, l’Union européenne a permis de débloquer un accord, suivie ensuite par les États-Unis. Cet acte symbolique d’une volonté de restaurer la confiance entre Sud et Nord fait aussi partie des signaux clés en matière de coopération, très positifs pour l’ambiance de négociation à la COP 15. Mais les derniers jours de la COP 27 ont aussi été empreints, malgré ce geste très fort, de signes importants de défiance : ce fonds sera-t-il vraiment abondé ? L’Europe cherche-t-elle à diviser le G77 et la Chine en évoquant de nouvelles répartitions des pays censés contribuer et des pays censés bénéficier de ce fonds ?

Enfin, l’ombre portée par cette décision pèsera aussi sur le détail des négociations sur la mobilisation des ressources à la COP 15 où l’un des arguments clés contre la création d’un fonds ad hoc pour la biodiversité consiste à dire que la durée de création et de mise en place est trop longue face à l’urgence des besoins : la COP 27 a abouti à promettre un processus accéléré de création d’un nouveau fonds, capable d’intervenir très rapidement. Les discussions à la COP 15 seront inévitablement affectées par ce précédent, même s’il reste important qu’elles se focalisent sur les enjeux d’efficacité, d’accès et de justice, pour lesquels l’option de réforme des fonds existants mérite d’être considérée autant que celle de la création d’un nouveau fonds (Iddri, 2022).

Recours croissants aux compensations par des crédits carbone : quels risques pour la biodiversité ?

L’un des points les plus risqués pour la biodiversité dans la discussion sur le climat provient du fait que de nombreux acteurs (entreprises, collectivités) ayant pris des engagements pour la neutralité carbone font appel de manière croissante à des crédits carbone volontaires pour compenser les difficultés qu’elles voient à une décarbonation profonde de leur activité économique. Le secteur des terres et les écosystèmes sont ainsi vus comme des puits de carbone auxquels on pourrait recourir : cela pourrait être une aubaine pour des projets de protection de la biodiversité ou de transition pro-nature dans les territoires agricoles et forestiers. Cette dynamique est cependant porteuse de risques, si les secteurs agricoles et forestiers sont par cette opportunité tirés vers des modèles qui stockent du carbone mais qui ont des effets délétères pour la biodiversité (Iddri, 2019 ; Iddri, 2021). 

Sur ce sujet, le rapport du groupe d’experts auprès du secrétaire général des Nations unies sur les engagements zéro émission nette des acteurs non étatiques précise bien que ces crédits carbone devront faire l’objet d’une comptabilité spécifique et ne viendront pas compenser l’insuffisance des efforts de décarbonation : ils viendront en plus, comme une action positive de la part de ces acteurs non étatiques pour aider d’autres territoires à aller vers la neutralité. Surtout, ce rapport indique que ces crédits carbone devront non seulement avoir une haute intégrité en matière de carbone (interdire les doubles comptes, assurer la crédibilité, l’additionnalité et éviter le risque de non permanence), mais ils devront aussi s’assurer de ne pas avoir d’effets négatifs sur la biodiversité et les communautés locales, et autant que possible d’avoir des effets positifs, dans une logique de bénéfices multiples (biodiversité, social) dont le carbone ne constitue qu’une des composantes. Les discussions sur l’Article 6 de l’Accord de Paris à ce sujet, mais aussi celles sur le programme de travail des organes scientifique et technique et de mise en œuvre de la Convention Climat sur l’agriculture (dit de Koronivia et dorénavant de Charm el-Cheikh), ne paraissent pas aussi décisives, mais elles doivent aussi être regardées de près afin qu’elles définissent des garde-fous pour que les transformations des secteurs agricoles et forestiers vers la résilience et la décarbonation soient aussi positives pour la biodiversité.

Par ailleurs, il est extrêmement important que les stratégies nationales biodiversité et climat, répondant aux deux cadres de la CCNUCC et de la CDB, fassent l’objet de calendriers de rapportage synchronisés (Iddri, 2022), pour renforcer les chances que les plans et stratégies nationales sur la biodiversité aient un poids politique plus fort dans les arbitrages politiques nationaux, et que les enjeux de synergies et d’antagonismes entre action climatique et action pour la biodiversité soient bien traités ensemble à ce niveau-là.

Équilibre entre justice et efficacité dans les processus et dans les résultats espérés

In fine, la COP 27 a été essentielle parce qu’elle a mis l’accent très fortement sur un sentiment de déséquilibre dans l’attention politique qui était donnée depuis l’Accord de Paris et à la COP 26 surtout sur la question de l’ambition d’atténuation, et trop peu sur les autres dimensions essentielles pour les pays du Sud : l’adaptation et la solidarité Nord/Sud devant être comprises comme faisant partie au même degré de priorité de l’ambition de l’Accord de Paris. C’est essentiel que l’ambiance et le cadrage des négociations de la COP 15 fassent droit de manière équilibrée à la définition d’une ambition qui recouvre non seulement la préservation de la biodiversité mais aussi les enjeux d’utilisation durable (Iddri, 2022) et d’accès et de partage des avantages issus de l’usage des ressources génétiques. La manière de négocier, l’écoute des besoins des pays du Sud, l’appui pour les aider à les exprimer ou tout simplement les définir (notamment leurs besoins de financement pour la biodiversité), l’attention donnée à l’inclusivité des différentes visions (par exemple, la vision africaine de la protection de la biodiversité exprimée par David Obura et ses coauteurs1 , ou celle des peuples autochtones et des communautés locales) sont des leitmotivs habituels à la CBD, mais ils constitueront des ingrédients absolument essentiels dans un contexte géopolitique où la confiance entre Sud et Nord n’est que partiellement rétablie par les signaux donnée à la COP 27, et où la COP 15 constitue une nouvelle occasion de renforcer la confiance mutuelle.