La loi européenne sur le climat est le premier texte législatif important qui concrétise la vision du Pacte vert européen. Elle vise à entériner l’engagement à atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050, à renforcer l’objectif pour 2030 (réduction des émissions d’au moins 55 %) et à compléter les outils de gouvernance de l’UE en matière de climat. Au moment de la rédaction de ce billet, le train législatif continue son parcours un an après son départ dans le cadre des négociations dites de « trilogue » entre le Conseil « Environnement » représentant les États membres, le Parlement européen et la Commission. Parmi les principaux points en discussion figure la proposition du Parlement de créer un Conseil européen sur le changement climatique (CECC)1 d’ici juin 2022, un organe consultatif d’experts indépendants à l’échelle de l’UE.

  • 1Amendement 57 dans le cadre des amendements modifiant le règlement (UE) 2018/1999 adoptés par le PE le 8 octobre 2020

Définir et mettre en œuvre les politiques climatiques est une tâche complexe, tant sur le plan technique que politique. La politique climatique doit s’appuyer sur les meilleures données scientifiques disponibles, mais elle doit aussi s’articuler plus largement autour des objectifs et paysages politiques de nombreux secteurs, de l’énergie à l’industrie en passant par l’agriculture. Peut-être plus important encore, compte tenu de l’urgence de réduire efficacement les émissions2 , ces politiques ont besoin d’un système de suivi et d’évaluation solide et indépendant tout au long de leur mise en œuvre, afin de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Une interface science-politique doit exister au niveau de l’UE, de même qu’il existe une interface science-politique à l’échelle des États membres dans les pays dotés de conseils du climat (comme par exemple le Haut Conseil pour le climat en France et, en dehors de l’UE, le Climate Change Committee au Royaume-Uni). Le besoin d’une évaluation impartiale des politiques, fondée sur une compréhension experte des moteurs de l’action climatique, est au cœur du développement d’organes consultatifs d’experts indépendants sur le changement climatique. Présentés de plus en plus souvent dans la littérature comme un élément clé de cadres de gouvernance climatique « robustes »3 , ils constituent également une réalité croissante sur le terrain : 10 pays disposent déjà de conseils scientifiques indépendants sur le climat en Europe, et d’autres sont en cours de création4 .

Même s’il s’agit de conseils « scientifiques ou d’experts », leur but n’est ni de produire ni d’examiner les données scientifiques existantes concernant le changement climatique ; ils s’appuient plutôt sur différentes disciplines (par exemple la science de l’atmosphère, la biologie, l’économie ou la sociologie) pour appliquer les meilleures connaissances scientifiques au contexte régional et local afin de nourrir les politiques nationales et d’évaluer si elles répondent efficacement au défi climatique. Ces conseils rassemblent ainsi des experts aux parcours académiques et de recherche différents mais complémentaires, qui sont tous reconnus comme des autorités dans leurs domaines respectifs. La légitimité des conseils nationaux sur le climat dépend de la reconnaissance de cette expertise, mais aussi de l’indépendance de ses membres. L’indépendance institutionnelle est également importante : lorsque ces conseils sont créés en dehors des administrations dont ils doivent évaluer les politiques, au lieu d’être des organes internes, leurs membres sont moins susceptibles de se retrouver confrontés à des conflits d'intérêts et seront donc plus à même d'exprimer librement leurs avis d’experts. Pour devenir opérationnelle, cette indépendance par rapport aux institutions nécessite que des ressources suffisantes soient allouées à un secrétariat dédié.

Ces conseils scientifiques jouent un rôle de surveillance et de conseil dans le processus d’élaboration des politiques, en évaluant la cohérence entre les décisions prises à court terme et les engagements sur le long terme. Leur rôle est très éloigné de l’impulsion politique, souvent apportée par les élus, ou de la capacité d’une administration à mettre en œuvre une politique. Les pays européens ont également mis en place différents types d’organismes dans le domaine du climat, tels que des plateformes consacrées à l’engagement des différents acteurs en matière de changement climatique (par exemple les autorités locales, les entreprises, les organisations de jeunesse ou environnementales), ou à la coordination interministérielle5 . Ces organismes ont tous pour objectif de mettre en place une « meilleure » politique climatique, mais ils le font chacun différemment.

Au niveau européen, la Commission est déjà chargée d’évaluer les politiques actuelles et d’en proposer de nouvelles, mais un Conseil sur le changement climatique dédié et indépendant serait en mesure d’évaluer la cohérence et l'alignement des politiques développées par la Commission avec les objectifs de la loi sur le climat6 . Il fournirait également des éléments fiables pour alimenter les débats sur les questions relatives à la lutte contre le changement climatique qui ont lieu au Conseil de l’UE ou au Parlement européen. Un tel organisme pourrait donc accroître la responsabilité et la légitimité dans la mise en œuvre de politiques climatiques de plus en plus strictes en vue de la neutralité carbone, et soutenir le travail de la Commission. Aucune des institutions existantes (Commission, Agence européenne pour l’environnement [AEE]) ne dispose du cadre institutionnel approprié pour permettre une évaluation indépendante des politiques. Si l’AEE surveille les politiques des États membres en matière d’émissions et d’atténuation, et bien que la gouvernance de l’Union de l’énergie7 ait renforcé les règles de planification, de notification et de suivi de ces politiques, elle n’a pas de mandat pour évaluer les progrès ou faire des recommandations ciblées concernant des actions supplémentaires. 12 organismes consultatifs d'experts de 11 États membres de l'UE, membres du réseau des conseils consultatifs européens pour l'environnement et le développement durable (EEAC), ont publié une lettre adressée aux décideurs politiques de l'UE afin de soutenir un organisme au niveau européen. Si les conditions de réussite sont réunies (indépendance, mandat clair, ressources), le Conseil européen sur le changement climatique proposé compléterait efficacement les organismes nationaux existants et les travaux de l’AEE en se concentrant sur l’élaboration des politiques et les compétences au niveau de l’UE, et soutiendrait l’objectif de construire une Europe neutre pour le climat et résiliente.

  • 2Le Giec (2018) préconise une réduction globale de 45 % des émissions de CO2 d’ici 2030 (par rapport aux niveaux de 2010) pour limiter le changement climatique à 1,5°C.
  • 3Rüdinger et al. (2018). Vers des cadres de gouvernance climatique compatibles avec l’Accord de Paris, étude Iddri ; Averchenkova, A. (2019). Legislating for a low carbon and climate resilient transition: learning from international experiences, Document d'orientation du Real Instituto Elcano ; Menzies, N. et al. (2020). World Bank reference guide to climate legislation framework ; Duwe, M., Evans, N. (2020). Climate Laws in Europe: Good Practices in Net-Zero Management, Berlin, Den Haag.
  • 4Le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, le Luxembourg, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Slovaquie et le Portugal envisagent actuellement d’en établir un par voie législative. Voir rapport à venir.
  • 5Evans, N., Duwe, M. (à paraître). National Climate Change Advisory Bodies in Europe and their climate governance context. Ecologic Institute, Berlin/Iddri, Paris. Étude commandée par l'Agence européenne pour l’environnement.
  • 6Averchenkova, A., Lázaro-Touza, L. (2020). The design of an independent expert advisory mechanism under the European Climate Law: what are the options?
  • 7Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat