Après neuf mois de travail, les 150 citoyens de la Convention citoyenne pour le climat viennent de rendre leurs propositions à l’exécutif pour permettre à la France de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030 dans un esprit de justice sociale. Cette expérience inédite montre qu’il est possible d’amener des citoyens à s'approprier la complexité technique des sujets et à comprendre les controverses politiques sous-jacentes afin de se prononcer. Leur mobilisation et leur investissement sur toute la durée d’un processus pourtant marqué par de nombreux obstacles inattendus (grèves, crise de la  Covid-19…) montrent que ce type d’exercice participatif, très exigeant, peut fonctionner. La qualité d’écoute et de débat au sein de la Convention a également montré la capacité des citoyens à confirmer les espoirs placés dans leur délibération collective. Enfin, le travail et les résultats produits montrent qu’une fois formés et informés sur les défis climatiques, un groupe divers de citoyens peut aboutir à des propositions à la hauteur des enjeux.

Un exercice qui tient ses promesses

Et pourtant, leur mission était délicate. Le mandat qui leur était confié de travailler sur un scénario permettant d’atteindre -40% de gaz à effet de serre d’ici 2030 était très large et ambitieux, ils ont su l'interpréter tout en restant dans le cadre. On observe ainsi qu’ils ont intégré dans leur réflexion, par exigence de cohérence d’ensemble, une dimension internationale, qui donne sens à l’action de la France, ainsi que des sujets non climatiques comme la biodiversité.

La qualité du travail réalisé justifie ainsi d’examiner très sérieusement les perspectives ouvertes en termes de consolidation et d’enrichissement de nos systèmes démocratiques par un volet plus participatif, perspectives pleines de promesses pour les uns, vertigineuses voire inquiétantes pour les autres.

Un paquet cohérent et ambitieux de mesures pour la transition

Une critique consiste à relever que la Convention ne proposerait pas grand-chose de nouveau. L’enjeu principal n’était pourtant pas d’inventer des solutions nouvelles. Les citoyens ont commencé par auditionner des parties prenantes et des experts, afin d’identifier et comprendre les mesures qui étaient déjà en débat dans les différents secteurs. Lors ce travail, ils ont souvent demandé pourquoi les mesures les plus ambitieuses, les plus nécessaires, n’étaient pas mises en œuvre, alimentant ainsi le retard de la France sur ses objectifs de réduction. Sur cette base, leur travail s’est logiquement porté sur les moyens de mise en œuvre de cette ambition : quels éléments sont manquants et quelles conditions sont nécessaires ? Comment les combiner ?   

La valeur de leur travail réside donc ailleurs que dans la recherche d’innovation. D’une part, ils ont souligné que l’accélération de la transition bas-carbone dépasse la seule politique énergie-climat et exige des transformations profondes à l'échelle de notre société. Les citoyens témoignent ainsi de leur prise de conscience « de l’impérieuse nécessité d’un changement profond de l’organisation de notre société et de nos façons de vivre »1 pour faire face à la crise climatique (réflexion sur la question du travail, des modèles économiques et de consommation, de l’alimentation, des modes de vie…). D’autre part, il ressort de cette démarche expérimentale des mesures ambitieuses, et c’est important de le souligner, des arbitrages forts allant plus loin que les arbitrages politiques récents pour accélérer la transition écologique, remplissant une des attentes placées en eux. Les critiques et les réactions parfois virulentes montrent d’ailleurs bien que les citoyens ont réussi à aller au-delà d’un consensus mou, risque associé à ce type d’exercice.

Le recours fréquent au registre de la réglementation a déjà fait naitre un débat sur l’approche privilégiée par les citoyens et il est donc important d’examiner comment cet instrument est mobilisé. Dans le bâtiment, les citoyens proposent d’abord une approche systémique qui combine le renforcement de la formation des professionnels du secteur, l’information avec le déploiement d’un réseau harmonisé de guichets uniques, un soutien financier progressif avec un reste à charge réduit pour les ménages modestes, bien avant l’application de l’obligation de rénovation à terme. L’obligation est donc avant tout un horizon, afin de mettre en mouvement les acteurs, tout en proposant des mesures permettant de leur donner des marges de manœuvre et les moyens de l’action. De la même manière, les citoyens sont partis des débats liés aux États généraux de l’alimentation et à la réforme de la Politique agricole commune pour indiquer l’ensemble des mesures qui doivent être prises quant à l’information des consommateurs, les marchés publics, les négociations dans les filières ou la construction de filières comme les protéagineux, et les politiques visant directement l’accompagnement du changement pour les agriculteurs.

Cette nécessité d’apporter une réponse systémique explique pourquoi le nombre de mesures proposées est si important, seule façon selon les citoyens de concilier l’ambition du mandat et la nécessité de trouver des voies concrètes de mise en œuvre, tout en donnant une intention, une direction. Comment faire pour que celles-ci ne se perdent pas dans le passage vers les suites politiques ?

Quelles suites pour les propositions des citoyens ?

Pour valoriser au mieux ces propositions et éviter que certaines mesures emblématiques vivement débattues ne focalisent l’attention au risque d’occulter la richesse des travaux, il est impératif d’organiser l’après, de sorte à enclencher les changements réglementaires, législatifs ou constitutionnels proposés par la Convention, et cela engage nécessairement le Gouvernement, le Parlement et la société civile.

Sur la forme, la Convention recommande des suites complémentaires les unes des autres. Le point qui cristallise l’attention est bien entendu le référendum : les citoyens ont fait le choix d’un référendum limité qui peut servir à mobiliser l’ensemble de la société et à engager un débat symbolique sur la modification de la Constitution et l’introduction du crime d’écocide. S’être limité à ce choix, ce qui d’ailleurs a donné lieu à des échanges très intéressants d’arguments contradictoires entre citoyens au moment du vote, peut être interprété comme une forme de prudence et la volonté d’éviter les écueils qu’un référendum plus large pourrait occasionner. Si les citoyens avaient, à l’inverse, sélectionné les idées les plus controversées pour être soumises au référendum (ex. l’obligation de rénovation ou la régulation de la publicité), la cohérence d’ensemble aurait été perdue de vue et la société aurait été privée d’un débat plus nuancé sur l’ensemble des travaux. Par ailleurs, les questions posées par le référendum auraient pu être détournées par le contexte politique ou en raison de la simplification inéluctable du débat, alors même que les citoyens ont apprivoisé la complexité des enjeux.

En conséquence, la Convention laisse une large place au Gouvernement et au Parlement pour engager un travail législatif et répondre à leurs recommandations. Il serait logique qu’une grande partie des mesures arrive devant le Parlement. C’est un passage obligé pour les mesures structurantes ayant des impacts sur le droit existant, comme l’obligation de rénovation, ou pour préciser la mise en œuvre de certaines pistes dont l’intention est clairement énoncée mais qui parfois nécessitent des précisions. Cela répond aussi à une volonté plusieurs fois exprimée par les citoyens dans leurs débats, de montrer que la Convention est une initiative complémentaire aux processus démocratiques existants et qu’elle ne vise en pas à s’y substituer. Transmettre les mesures aux parlementaires est aussi une manière de passer le relais aux citoyens pour en débattre plus largement. Déjà de nombreux acteurs en appellent à un débat national, nourri du travail des citoyens, en parallèle à l’examen de leurs propositions par le législateur. Les 150 citoyens eux-mêmes l'appellent de leurs vœux et se sont formés en association pour continuer à porter leurs propositions. Ce travail de suivi pourrait se poursuivre par la mobilisation des institutions récemment mises en place, en premier lieu par le biais de bilans réguliers en Conseil de défense écologique, afin que la transition soit étayée par les curseurs de l’ambition proposée par les citoyens. Quant au Haut Conseil pour le Climat, il reste à voir comment il va s’en emparer, mais il est clair que cette instance d’experts ne peut ignorer les travaux de la Convention. Il pourrait par exemple, de même que d’autres instances ou la société civile, se saisir des questions d’évaluation environnementale et économique des mesures.

Enfin, la reprise et les relais dans l’ensemble de la société, par le monde politique, le monde économique et la société civile organisée sera aussi nécessaire. En proposant des choix forts, la Convention a réussi à relancer un débat de société nécessaire sur la transition écologique, et ce en plein cœur des plans de relance et de la sortie de crise. En cela, la Convention citoyenne remplit aussi une partie de ses objectifs.