On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles le projet de Pacte mondial pour l’environnement (PME) n’a pas connu le succès escompté par ses promoteurs lors des travaux du groupe de travail mis en place par l'Assemblée générale des Nations unies et dont la troisième et dernière session de négociation s’est achevée le 23 mai 2019 à Nairobi (Kenya). Plusieurs facteurs liés d’une part à la géopolitique actuelle de la gouvernance mondiale de l’environnement, d’autre part au contenu même du projet de Pacte, peuvent expliquer cet échec. Quelles leçons en tirer, à la fois en termes de coopération internationale et de mise en œuvre plus efficace des politiques environnementales ?

La géopolitique du projet de Pacte : une issue jouée d’avance ?

En premier lieu, le mode de négociation qui a cours aux Nations unies peut être interrogé : caractérisé par la recherche du consensus, il favoriserait les États à orientation nationaliste, ainsi mis en position de faire échec à une majorité virtuelle – une extension en quelque sorte du conflit nationalistes versus progressistes. Pourtant, la recherche du consensus a bien des vertus politiques et elle n’aboutit pas nécessairement à la paralysie. On l’a vu avec l’Accord de Paris sur le climat, et on le voit dans l’actuelle négociation sur la haute mer. La recherche du consensus a en effet l’avantage de créer une atmosphère politique positive : elle évite les syndromes de « passager clandestin », si néfastes à la construction en commun des politiques de gestion durable de la planète.

Cependant, en réalité, ce n'est pas qu'une poignée minoritaire d'opposants au Pacte qui a mis en échec celui-ci. Le Pacte avait quelques sympathisants, mais au final très peu de défenseurs capables d’adopter une ligne plus dure pour défendre l’idée d’un instrument contraignant. Bien des pays habituellement en faveur de la protection de l’environnement (dits environmentally friendly), tels que la Suisse, la Norvège ou le Canada, ont formulé des réserves et manqué au soutien. En outre, pour beaucoup de pays – notamment africains – sympathisants de l'initiative, le souci qui s'est exprimé portait bien plus sur la nécessité d'accroître les moyens d'appliquer effectivement les accords internationaux en termes de capacités administratives et financières que sur la création d'un nouvel outil juridique.

Certains pays ont également regretté le déficit de co-construction dès le lancement de l'idée du Pacte et au-delà d’un groupe d’experts, certes international lui-même. Depuis son lancement en septembre 2017, le processus onusien en faveur du Pacte avait été extrêmement rapide. Pour aller aussi vite, la résolution votée recelait des ambiguïtés quant au contenu même de la négociation. Si cela peut avoir certaines vertus, le résultat montre aussi que les États ont besoin de temps pour s’approprier une telle négociation ; par ailleurs, les ambiguïtés initiales n’ont jamais été complétement levées. Les conséquences de ce ressenti en ont été palpables. Du côté de l'Union européenne d'abord, dont les États membres se sont divisés, notamment entre la position française et celle de l’Allemagne beaucoup moins convaincue par la pertinence d’un instrument contraignant. Cela a considérablement affaibli la capacité diplomatique de l'UE et son influence sur les débats, d’autant que ses États membres soutenant le Pacte ne pouvaient s’exprimer en plénière – l’UE parlant d’une seule voix. Or on sait l'importance d'une posture unie et active de l'Union dans ce genre de négociation. Du côté de plusieurs pays latino-américains ensuite, ayant joué un rôle pivot dans ces négociations : le Mexique ou le Costa Rica, notamment, se sont montrés plutôt favorables aux idées du projet de Pacte sans forcément soutenir son caractère contraignant, et ont regretté le manque de temps pour un échange d’idées plus approfondi.

On peut également s’interroger sur la quasi absence des grandes ONG environnementales, dont la voix est pourtant si importante lors de la négociation des accords multilatéraux sur l'environnement (AME), et qui ne se sont guère manifestées, encore moins mobilisées, faute d’avoir été convaincues de la valeur ajoutée de ce projet pour leurs combats.

Pistes pour l’après-Pacte : la perspective Stockholm+50 en 2022

Au final, le projet de Pacte est implicitement écarté, ainsi que tout autre instrument juridique, mais la préparation de la conférence de Stockholm+50 pourrait bénéficier des orientations adoptées à Nairobi si l'Assemblée générale des Nations unies les retenait. Formellement, le texte final1 adopté a minima ne fait que confirmer une mission déjà confiée à l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement (ANUE), celle de préparer le 50e anniversaire de la conférence de Stockholm qui se tiendrait en 2022 ; il précise une partie de son agenda et l'invite à préparer un projet de déclaration dans ce contexte. Pour le droit international de l’environnement (DIE) et la gouvernance mondiale de l’environnement au sens institutionnel, cela renvoie donc les discussions à cette échéance de 3 ans, dont il faudra faire bon usage pour préparer un résultat ambitieux de cette conférence.

Outre ce résultat évidemment décevant, comment interpréter ce moment de négociations très intense ? Sommes-nous en présence d’une occasion manquée ou d’un risque évité, et quelles perspectives peut-on esquisser pour la suite ? Deux interprétations sont possibles.

Pour que l’affaire du Pacte puisse être considérée une occasion perdue, il faudrait qu’il s’agisse d’une initiative positive qui aurait pu connaître une suite effective, mais qui aurait été manquée pour des raisons seulement anecdotiques ou de circonstances. Ce n'est pas le cas. En réalité, les négociations à Nairobi ont révélé un important défaut de consensus sur la justification même du Pacte, à savoir : consolider un ensemble de principes encore à l'état de soft law (« droit mou ») pour les rendre juridiquement contraignants et donc invocables devant les juridictions nationales et remédier parallèlement à la fragmentation du DIE2 .

De nombreux pays et experts ne partagent pas cette approche, la fragmentation du DIE semblant à beaucoup inhérente à la gouvernance de l’environnement. On pourrait alors y remédier par des moyens empiriques, mais pratiques, tel que le rapprochement des conventions chimiques ou le rapportage (reporting) commun. Quant à l'application effective du DIE au niveau national, elle relèverait plus de la mise en place de moyens concrets et de politiques actives que d'un « super accord global » qui chapeauterait les AME.

On peut aussi voir dans le non aboutissement du projet de Pacte un risque évité ainsi que l’amorce d’une perspective positive.

Risque évité, car on peut raisonnablement penser que si le projet de négociation d’un nouveau traité avait été adopté à la courte majorité qu'on pouvait peut-être envisager, bien des pays, et parmi les plus importants, n'auraient pas signé le futur Pacte tout en contribuant pendant la négociation à affaiblir son contenu, notamment la portée des principes déjà acquis. D'autres auraient signé, mais pas ratifié comme on le voit souvent. Et, enfin, bien des pays n'auraient pas permis à leurs citoyens ou à leurs ONG d'invoquer le droit international devant les juridictions nationales. Autrement dit, un accord de façade aurait pu dans les circonstances actuelles conduire à une fragmentation aggravée du DIE et à son affaiblissement. C’est ce que redoutaient de nombreux pays attachés à la cause de l’environnement.

Cette perspective écartée, et sur la base des recommandations du groupe de travail, la voie est peut-être ouverte et le temps donné d’ici 2022 à un travail concerté sur la mise en œuvre du DIE. L'approche par les droits pourrait en être un élément. L'extension des accords régionaux de type Aarhus pour l'Europe ou Escazú3 pour l'Amérique latine en sont de bons exemples.

Si cette perspective s’ouvre, et tous les acteurs intéressés devraient s’y investir, le temps consacré, l’argent dépensé et le CO2 émis à l’occasion des trois sessions de négociation de Nairobi ne l’auront pas été en vain.


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