La COP 27 de Charm el-Cheikh sur le climat a vu deux résultats majeurs sur le front de la finance : la création d'un fonds pour les pertes et dommages et un appel à la réforme des institutions financières internationales. Les avancées en matière de réduction des émissions ont été moins nombreuses, voire inexistantes, et un appel mondial à la réduction progressive de la consommation de pétrole et de gaz a été manqué de peu, même si, comme l'a fait remarquer Frans Timmermans, l'atténuation et les pertes et dommages sont « les deux faces d'une même médaille ». Après avoir mis l'accent sur la réduction des émissions lors de la COP 26 à Glasgow l'année dernière et avoir reconnu que l'objectif de 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement n'avait pas été atteint, la balance a, comme attendu, penché vers une plus grande prise en compte du financement et des impacts du changement climatique. Depuis que le chapitre des négociations sur les règles de mise en œuvre de l'Accord de Paris s'est refermé à Glasgow, la présidence égyptienne avait pour objectif de tenir une « COP de la mise en œuvre », mais cette promesse ne s'est jamais concrétisée. Ce que nous avons obtenu à la place était peut-être ce dont nous avions besoin : des efforts surprenants pour rétablir la confiance entre le Nord et le Sud de la planète, et les germes d'une reconfiguration de ce clivage lui-même.

La COP 27 a vu l'adoption d'une série de décisions, sans signal particulier pour renforcer l'action en matière de réduction des émissions. Les progrès réalisés sur la question des pertes et dommages (L&D ci-après) sont en revanche étonnants. Les pays vulnérables et la société civile en particulier méritent d'être crédités du succès de leur campagne en faveur de la justice climatique : bien qu'ils aient intensifié la pression sur ce sujet au cours de l'année écoulée, il était difficile de prédire qu’un accord serait trouvé à Charm el-Cheikh sur le mécanisme de financement demandé de longue date. Ce résultat s'inscrit dans le prolongement de la décision prise l'année dernière de resserrer le débat sur le cœur du problème (à savoir le financement) ; toutefois, le « dialogue de Glasgow » sur le financement du développement durable avait initialement été renvoyé aux intersessions de Bonn et devait se terminer en juin 2024, sans obligation réelle de parvenir à un accord avant.

Que révèle cette percée ? D'abord, elle rappelle que, malgré tous ses défauts, l'intense pression politique et médiatique de ces conférences sur le climat peut encore servir de catalyseur pour l'action. Deuxièmement, la succession de crises (COVID, prix de l'énergie et des denrées alimentaires), les impacts du changement climatique (inondations au Pakistan) et la rupture de confiance entre pays développés et pays en développement ont rendu la question L&D trop légitime politiquement et trop importante pour être laissée de côté. L'absence de progrès sur cette question bloquait jusque-là les discussions sur tout le reste et entravait les alliances traditionnelles. Ce n'est qu'après l'appel de l'Union européenne (UE) à la création d'un fonds, l'avant-dernier jour de la COP 27, que la High Ambition Coalition (qui regroupe pays développés et pays en développement vulnérables) s'est remobilisée pour réclamer un résultat global ambitieux. Cela qui confirme la pertinence d’une ancienne équation sur l'action climatique dite universelle : l'ambition requiert la solidarité. Ce résultat peut également indiquer que les pertes et dommages sont en passe de devenir un quatrième pilier de l'action climatique, aux côtés de l'atténuation, l'adaptation et le financement ; et cette profonde restructuration témoigne également de notre échec collectif à traiter les trois premiers piliers de manière adéquate et en temps voulu. 

Il convient nénamoins de nuancer ce succès : bien que le délai d'opérationnalisation du fonds soit assez court (COP 28), des questions politiquement sensibles subsistent quant à savoir qui en bénéficie et qui paie. Ces questions mettent à mal le front uni présenté par l'alliance G77+Chine à Charm el-Cheikh, masquant en réalité des intérêts et des situations très divers. Définir les « pays en développement particulièrement vulnérables aux effets néfastes du changement climatique » constitue une question à la fois technique et politique : pourraient par exemple être inclus en priorité les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement (conformément à l'article 9.4 sur le financement de l'Accord de Paris), excluant ainsi le Pakistan ou le Bangladesh, défenseur de longue date du financement des pays les moins avancés, à partir de 20261  ; tandis qu’une lecture plus large de la « vulnérabilité » pourrait inclure beaucoup plus largement les pays ayant « des zones côtières de faible altitude, des zones arides et semi-arides ou des zones sujettes aux inondations, à la sécheresse et à la désertification », et les « pays en développement ayant des écosystèmes montagneux fragiles », conformément à la Convention de 1992 par exemple, ou s'appuyer sur des méthodologies émergentes2 .

La question de savoir qui doit contribuer à un tel fonds est encore plus controversée : le bloc européen et les États-Unis sont clairement les plus grands émetteurs historiques, mais les États-Unis ont un bilan médiocre en matière de financement du climat.  D'autres pays à revenu élevé et à revenu moyen supérieur, tels que la Chine, la Russie et l'Arabie saoudite, se méfient de toute idée qu'ils pourraient être appelés à payer une partie de la facture. Bien conçue, la menace potentielle de contribuer au fonds pourrait-elle inciter les pays à accélérer leurs efforts d'atténuation ? Bien que cela puisse paraître naïf, John Kerry et Xie Zhenhua (représentant les deux plus grands pays pollueurs en termes actuels et historiques) n'ont repris leurs échanges diplomatiques lors d'une réunion à huis clos de trois heures que lorsque le fonds L&D est devenu une possibilité réelle, dans les dernières heures de la conférence.

Bien qu'il ne soit pas certain qu'un tel fonds, même au sein d'une mosaïque « d'arrangements financiers », puisse mobiliser à l'échelle et au rythme requis, sa création confère une nouvelle légitimité à deux anciennes idées (toutes deux récemment relancées, entre autres, par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley) :

  • la création d'une taxe internationale sur les transports maritimes, aériens ou les combustibles fossiles pour financer le fonds L&D, envisagée publiquement par Frans Timmermans de l'UE à Charm el-Cheikh, et qui permet de contourner la question de savoir quel pays paie, pour se concentrer sur les produits à forte intensité de carbone ;
  • une réforme globale du système financier afin de mieux prendre en compte la vulnérabilité des pays en développement aux impacts climatiques physiques et aux niveaux d'endettement insoutenables.

Le signal envoyé lors de la COP 27 pour réformer les institutions de Bretton Woods que sont le FMI et la Banque mondiale est important, et il fait écho à d'autres initiatives telles que l'agenda de Bridgetown, la revue du cadre d'adéquation des fonds propres des banques multilatérales de développement commandée par le G20, ou le communiqué ministériel IX du groupe des 20 pays vulnérables (V20). Les pays bénéficiaires ont également signalé qu'ils étaient prêts : quatre pays du V20, dont le Sri Lanka, ont discuté avec le FMI de leurs « plans de prospérité climatique ».

L'UE a été le premier grand bloc à céder sur les demandes des pays en développement concernant la création d'un fonds pour les pertes et dommages, probablement parce que cela ouvre la porte à la nécessité d'aligner tous les flux financiers publics et privés sur les objectifs de l'Accord de Paris (conformément à l'article 2.1c de l'accord) ; un sujet que l'UE avait essayé de mettre à l'ordre du jour, en vain. Bien que l'on ait souvent reproché à l'UE d'être invisible dans les discussions internationales, lors de la COP 27, les Européens ont pesé beaucoup plus lourd que, par exemple, les États-Unis ou le Royaume-Uni sur le résultat final. Dans un revirement de dernière minute, ils ont signalé à la fois leur volonté d'adopter un fonds sur le L&D et ont tenté de soutenir un texte ambitieux sur l'atténuation en relançant la High Ambition Coalition. L'UE est également l'un des blocs pays qui a le plus soutenu la proposition de l'Inde d'inclure un appel à la réduction progressive de tous les combustibles fossiles (y compris le pétrole et le gaz).

La COP 27 a commencé à exposer les lignes de faille qui traversent les catégories traditionnelles de pays développés et en développement, par la question du paiement des pertes et dommages, et en mettant au jour les intérêts particuliers des pays producteurs de pétrole et de gaz. Mais la méfiance règne toujours de part et d'autre : l'UE a été accusée de vouloir briser la coalition des pays en développement (G77+Chine) avec sa proposition de fonds L&D, tandis que l'Inde, deuxième utilisateur mondial de charbon derrière la Chine, a été soupçonnée de vouloir détourner l'attention de l'engagement pris l'année dernière de réduire progressivement l'utilisation du charbon. Malgré la victoire de la COP 27 sur la question des pertes et dommages, il reste encore beaucoup à faire pour dissiper cette méfiance.

EN RÉSUMÉ

Pertes et dommages (L&D)

  • Décision d'établir un fonds pour répondre aux pertes et dommages, parmi d'autres arrangements de financement ; un comité de transition (avec une majorité de représentants des pays en développement) doit être nommé d'ici au 15 décembre 2022, et fera des recommandations pour son opérationnalisation par la COP 28.
    • Les agences des Nations unies, les institutions financières bilatérales, multilatérales et internationales sont invitées à soumettre leurs propositions quant à la manière dont elles pourraient améliorer le financement des pertes et dommages [paragraphe 7d], et le Secrétaire général des Nations unies doit convoquer un sommet avec les dirigeants des institutions financières internationales [paragraphe 11].
  • Opérationnalisation du réseau de Santiago visant à catalyser l'assistance technique en matière de L&D.
  • Lancement du « bouclier mondial » (Global Shield) contre les risques climatiques par les pays du G7 sous présidence allemande et les pays du V20, afin de garantir un financement convenu au préalable aux pays vulnérables, notamment par le biais de mécanismes assurantiels.

Finance

  • Le plan de mise en œuvre du financement climatique Canada-Allemagne a permis d'examiner les progrès accomplis en vue d'atteindre les 100 milliards de dollars et de doubler le financement de l'adaptation à la veille de la COP 27.
  • Partenariat pour une transition énergétique juste (JET-P) de 20 milliards de dollars (dont 10 milliards de dollars de sources privées) entre l'Indonésie et les États-Unis, le Japon, le Canada, le Danemark, la France, l'Allemagne, l'Italie et la Norvège.
  • L'Afrique du Sud a lancé son plan d'investissement quinquennal pour la transition énergétique (JET IP en anglais) pour le JET-P de 8,5 milliards de dollars annoncé lors de la COP 26.
  • La décision chapeau de la CMA-4 appelle les actionnaires des banques multilatérales de développement et des institutions financières internationales à réformer leurs pratiques et leurs priorités [paragraphe 61].
    • La France, en partenariat avec la Barbade, cherche à établir un panel d'experts de haut niveau pour suggérer des moyens innovants de débloquer le financement climatique d'ici les prochaines réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale (avril 2023).

Atténuation

  • Éléments de langage similaires à ceux du Pacte de Glasgow pour le climat de l'année dernière sur la question des 1,5°C et de l'élimination progressive du charbon ; texte sur l'élimination progressive des combustibles fossiles soutenu par plus de 80 pays, mais non inclus dans le texte final.
  • Adoption d'un programme de travail sur l'atténuation prévoyant deux dialogues par an jusqu'en 2026 au moins, qui « n'imposera pas de nouvelles cibles ou de nouveaux objectifs ».
  • Quelques pays ont mis à jour ou étoffé leurs engagements : par exemple, l'Inde a présenté sa stratégie de développement à long terme à faible intensité de carbone, l'UE a mis à jour sa contribution déterminée au niveau national (NDC en anglais) pour atteindre une réduction de 57 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 en raison de l'adoption d'un règlement sur l'utilisation et le changement d'affectation des terres et la foresterie.

Adaptation

Redevabilité

  • Le rapport du groupe d'experts de haut niveau sur les engagements zéro émission nette des entreprises, des institutions financières, des villes et des régions, commandité par le Secrétaire général des Nations unies, formule 10 recommandations pour tracer une ligne rouge sur le greenwashing, notamment pour que les crédits carbone sur les marchés volontaires ne soient utilisés que pour l'atténuation au-delà de la chaîne de valeur, et non pour l'atteinte de réductions d'émissions interim.
  • La Carbon Neutrality Coalition a publié un cadre volontaire pour une action climatique zéro émission nette dans les pays.
  • L'Initiative pour les marchés carbone en Afrique, dirigée par les champions de l'ONU, et l'Accélérateur de transition énergétique, dirigé par les États-Unis, ont été lancés pour développer des marchés volontaires du carbone.