Récemment remis au Comité pour le changement climatique (Climate Change Committee, CCC) britannique, un rapport sur les changements de comportements pour atteindre la neutralité carbone1 se fait l’écho d’une proposition originale pour maitriser la demande de déplacement en avion. À l’heure où la France organise sa Convention citoyenne sur le climat, que peut-on en retenir en termes d’approches possibles pour réduire l’empreinte carbone du secteur de l’aviation civile ?

La neutralité carbone, objectif commun de la France et du Royaume-Uni à l’horizon 2050, suppose une transformation d’ampleur des sociétés, interrogeant par là-même les systèmes techniques et l’économie dans son ensemble. Elle implique que chaque secteur réduise ses émissions, et interroge également les modes de vie et comportements ; ces dimensions souvent moins explorées sont l’objet de ce rapport, complément de la vision de la neutralité publiée au printemps 2019 par le CCC. Plusieurs secteurs sont analysés (logement, transports, alimentation) afin d’identifier les changements possibles et les leviers à mobiliser. Ce billet s’intéresse à la question de l’aviation, à la fois objet de débat (discussions autour de l’exemption de taxe sur le kérosène en France au moment de la crise des gilets jaunes, retentissement du mouvement « flygskam » en Suède) et secteur à la fois très difficile à décarboner et fortement relié aux modes de vie.

Constat, situation et proposition au Royaume Uni

Croissance du nombre de passagers, des distances parcourues, du nombre de vols, des aéroports planifiant de s’agrandir : de nombreux indicateurs témoignent d’un secteur de l’aviation en croissance (Carmichael, 2019). Si l’avion représente aujourd’hui 12 % des émissions d’un ménage britannique, il pourrait en représenter 22 % en 2030. Et si le CCC, dans son scénario neutralité, permet une hausse de 25 % de la demande par rapport à aujourd’hui, cette augmentation pourrait être plus élevée (Carmichael, 2019), affaiblissant ainsi la capacité à atteindre les objectifs de réduction d’émissions. Comment agir et éviter ce risque ?

La proposition contenue dans le rapport remis au CCC, issu de l’initiative « A Free Ride », repose sur ce constat : 70 % des vols britanniques sont réalisés par 15 % de la population du Royaume-Uni, et la moitié de la population ne vole pas. Par ailleurs, les vols dans le cadre du travail sont en déclin sur le long terme et représentent uniquement 12 % des vols vers l’étranger. L’enjeu n’est donc pas de réduire les déplacements en avion de tous les Britanniques, mais d’une minorité qui vole beaucoup, et d’ainsi rétablir une forme d’équité.

Aujourd’hui, il existe au Royaume-Uni une taxe sur chaque billet : respectivement 13 et 78£ pour un court/moyen-courrier (<2 000 miles) et un long courrier en classe économique ; 26 et 172£ pour une classe supérieure. En comparaison, la taxe française de solidarité sur les billets d’avion est beaucoup moins élevée, même avec l’augmentation votée récemment2 , de même que la taxe allemande3 .
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Considérant qu’il est injuste de taxer au même niveau le seul vol de l’année d’une personne et le 10e d’une autre, la proposition est qu’un voyage par an ne serait pas taxé, et qu’ensuite le niveau de taxe appliqué augmenterait fortement avec le nombre de vols4 . Une partie des recettes serait fléchée vers l’investissement en R&D pour décarboner l’aviation.

Cette proposition a le mérite de placer au centre de la discussion les enjeux d’équité et de cohérence de l’action publique en cherchant à délivrer un message convaincant sur le partage des efforts entre citoyens. Ces éléments sont identifiés comme centraux par le rapport dans un objectif « d’embarquer » les citoyens dans l’action.

Des approches complémentaires

Rappelons qu’à ce jour, il n’existe pas de perspectives claires en termes solutions technologiques5 : l’électrification n’est pour l’heure pas viable pour l’aviation, l’usage (marginal aujourd’hui) de biocarburants de première génération est critiqué pour son impact environnemental, et la production de carburant synthétique à partir d’électricité nécessiterait des quantités gigantesques d’ENR, potentiellement au-delà de la portée du continent européen6 .

D’autres exemples permettent d’élargir le champ des actions possibles pour réduire les émissions de l’aviation. Au-delà de la taxe iniciative, le mouvement « flygskam » en Suède, pris au sérieux par les compagnies aériennes, montre que des ressorts sociaux et moraux peuvent être mobilisés par certains citoyens ayant décidé de ne plus prendre l’avion7 afin de modifier l’attractivité de ce mode de transport. Par ailleurs, en Allemagne et en Autriche, une compagnie ferroviaire montre que l’on peut faire renaître le train de nuit et assurer sa viabilité ; dans le même temps, nombre de lignes de train de nuit ont disparu ces dernières années en Europe, notamment en France. Cela contribue à reposer la question de la place des trains de nuit dans le futur de la mobilité transnationale, et donc des alternatives à l’avion, dans un contexte où, à l’échelle de l’UE, ni la Commission ni la plupart des États membres ne voient leur préservation comme un objectif8 et où l’exemple de l’Eurostar tend à montrer que le fait d’avoir une liaison ferroviaire Paris-Londres efficace n’a pas permis d’éviter la croissance du trafic aérien entre la France et le Royaume-Uni9 , car il se fait aussi de région à région.

Retenons pour les discussions futures que c’est certainement en combinant ces approches – mouvements citoyens, politique d’offre, fiscalité incitative, R&D – que l’on pourra progresser et nourrir un engagement collectif au service de la neutralité.