Dans un rapport produit en collaboration avec le think tank allemand Agora Agriculture et les contributions de neufs autres partenaires à travers l’Europe (Iddri-Agora Agriculture, 2025)1, l’Iddri propose une analyse et un panorama des politiques de l’alimentation en Europe. Notre analyse met notamment en avant une série de mesures prometteuses ainsi que les facteurs de succès pour leur mise en œuvre. Alors que la France finalise sa stratégie en matière d’alimentation à 2030, et qu’elle procédera bientôt à la revue des programmes nationaux en matière de nutrition santé et d’alimentation, ce billet de blog présente les points clés de cette étude et les enseignements des cas danois, finlandais, néerlandais, polonais et suédois (voir rapport contenant l’ensemble des études de cas : Iddri-Agora Agriculture, 2025), particulièrement pertinents pour le contexte français actuel.
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Danemark, Espagne, Finlande, Pays-Bas, Pologne, Portugal et Suède pour l’Union européenne, ainsi que le Royaume-Uni et la Suisse.
Quels changements pour une politique de l’alimentation plus efficace ?
Les politiques de l’alimentation, qui cherchent à faire évoluer les comportements alimentaires et à réduire les pertes et gaspillages, sont essentielles pour répondre aux nombreux défis auquel fait face notre système alimentaire. Qu’il s’agisse d’enjeux de santé publique, d’environnement, d’autonomie stratégique pour l’Europe ou de faire face aux conséquences de l’inflation récente sur les prix alimentaires, ces politiques ont un rôle crucial à jouer. Toutefois, en France comme ailleurs en Europe, elles peuvent manquer d’ambition, de moyens, et de cohérence2.
Pour surmonter ces limites, un véritable changement de paradigme doit être opéré dans la politique de l’alimentation. Les outils existants d’information et d’éducation doivent être complétés par des mesures permettant de construire des environnements alimentaires justes (Iddri, 2023). Il s’agit à la fois d’enrichir la gamme des actions menées dans le cadre de la politique de l’alimentation et de mettre l’accent sur celles qui ciblent les acteurs intermédiaires pour être plus efficaces. Et une plus grande cohérence entre les secteurs de l’action publique et entre les échelles (du niveau européen au niveau local) est nécessaire. Notre analyse de la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC) mise en consultation en avril 2025 (Iddri, 2025) montre plusieurs avancées sur ces points, malgré des limites importantes.
Afin de contribuer à la discussion sur la manière dont les politiques de l’alimentation devraient évoluer, nous avons analysé des politiques publiques et processus dans 11 pays à travers l’Europe. Nous avons ainsi identifié une série de mesures prometteuses et inspirantes dans les différents champs de la politique de l’alimentation (du social à la santé en passant par l’environnement). Portant sur les quatre dimensions (physique, économique, socio-culturelle, cognitive) des environnements alimentaires, ces politiques montrent qu’il est possible d’agir pour une alimentation durable, saine et accessible.
Chaque étude de cas « pays » propose une analyse d’une ou plusieurs politiques publiques, et/ou des processus qui président à leur élaboration. Nous choisissons ici de mettre en avant cinq cas particulièrement pertinents pour le contexte français actuel.
Pologne et Suède : des idées pour enrichir un « service public de l’alimentation »
Les enjeux sociaux sont indissociables de toute politique de transition, et l’alimentation ne fait pas exception. Il s’agit ainsi de trouver les moyens de a) renforcer l’accès à une alimentation choisie pour tous, et de b) rendre l’alimentation saine et durable plus accessible.
La Suède3 offre un cas d’étude intéressant en ce qui concerne la restauration collective. Depuis 1997, les enfants y bénéficient du droit à un repas gratuit à la cantine. De plus, les repas doivent suivre les recommandations nutritionnelles nordiques qui, depuis 2023, intègrent une dimension environnementale forte invitant à privilégier les produits végétaux, consommer des produits laitiers en quantité modérée et limiter la viande rouge comme la volaille. Dans le cadre d’une politique de promotion de l’agriculture biologique « de la fourche à la fourchette », le gouvernement a par ailleurs fixé en 2019 une cible de 60 % de bio à la cantine d’ici à 2030 alors que la consommation en valeur atteignait déjà 39 % (l’objectif en France est de 20 % de bio d’ici 2022). Le rôle d’une agence publique4, ainsi que le soutien politique constant à ces mesures, sont identifiés comme facteurs de succès dans l’étude Iddri-Agora Agriculture.
En Pologne5, la politique des « milk bars » est un maillon essentiel de la politique sociale. Les « milk bars » sont des restaurants commerciaux subventionnés par le gouvernement pour proposer des plats à bas prix. Ils sont en cela comparables aux cantines solidaires qui existent en France. Les « milk bars » acceptent également les bons ou chèques sociaux, et promeuvent la mixité sociale. Leur particularité tient en l’ampleur de cette politique en Pologne : les « milk bars » sont soutenus directement par le gouvernement (pour un budget de 2,5 millions d’euros en 2024) et non pas principalement par des collectivités ; ils forment un réseau plus dense qu’en France (une quarantaine à Varsovie) ; et ont acquis un statut culturel bien plus important.
Dans le contexte français, ces politiques sont intéressantes non pas uniquement en elles-mêmes, mais aussi pour la philosophie qu’elles portent : celles de la constitution d’un service public de l’alimentation visant à multiplier les espaces où une alimentation saine et durable est rendue disponible pour tous à peu de frais. Il s’agit donc non seulement de penser à une amélioration de l’aide alimentaire existante (diversifier ses modalités, améliorer son offre), mais aussi de renforcer les services publics existants (cantines, aides en nature, épiceries sociales et solidaires, etc.) sur le plan financier (dans la poursuite du plan Mieux manger pour tous) et opérationnel (e.g. ouvrir les cantines scolaires à tous les publics le soir). Dans ce cadre, les titres-restaurants, qui ne bénéficient aujourd’hui qu’aux seuls salariés, sans valeur ajoutée nutritionnelle ou environnementale, pourraient aussi être repensés, comme proposé par la SNANC6.
Finlande : changer l’offre et s’appuyer sur les acteurs d’un territoire pour changer la demande
Le projet de la Carélie du Nord7 fait figure de modèle de promotion d’une alimentation saine. Face à de hauts taux de mortalité par maladie coronarienne, liés notamment à une trop forte consommation de gras et une trop faible consommation de fruits et légumes, le gouvernement finlandais a lancé un projet pilote pour transformer les habitudes alimentaires des habitants de la région avec des résultats probants. La clé du succès : des actions combinées sur les environnements cognitif, physique et socio-culturel au niveau régional et national, facilitées par une mobilisation politique locale puis nationale.
Le projet a tout d’abord formé les communautés locales (associations de femmes, leaders d’opinion locaux – ex. membres d’associations ou de syndicats –, acteurs de la santé, entreprises du territoire) aux bonnes pratiques. Une collaboration avec le maillon industriel (boulangerie, lait, charcuterie, huiles végétales) a également été mise en place pour inciter à la reformulation des recettes des produits déjà sur le marché et en développer de nouveaux ; ainsi qu’avec le maillon agricole pour promouvoir certaines cultures. Enfin, le projet a organisé des campagnes de prévention publiques et assuré une forte présence dans les médias.
Dans le contexte français, cet exemple montre l’intérêt d’une action coordonnée sur plusieurs dimensions de l’environnement alimentaire, ainsi que des actions pilotes menées à l’échelle d’une région, lorsqu’elles sont aussi soutenues par des mesures nationales. Le renforcement de la politique des projets alimentaires territoriaux (PAT), et les mesures de reformulation des produits industriels (pour des objectifs de santé, et d’environnement), déjà présents dans la SNANC, vont dans le bon sens. La prochaine étape semble ici consister à choisir une priorité à-même de fédérer les acteurs pour porter une politique cohérente via ces différents canaux, et d’y adjoindre une action sur l’environnement socio-culturel. Faire de l’alimentation la prochaine grande cause nationale, comme le suggère le CESE ?
Danemark et Pays-Bas : une stratégie « de la fourche à la fourchette » pour le végétal
La promotion d’une alimentation plus végétale est un levier essentiel pour atteindre différents objectifs collectifs (santé, environnement, autonomie stratégique, etc.). En la matière, les Pays-Bas et le Danemark sont à l’avant-garde.
Les Pays-Bas8 ont publié en 2020 une Stratégie nationale pour les protéines qui a fixé l’objectif d’atteindre 50 % de protéines d’origine végétale dans l’alimentation des Néerlandais d’ici à 2030 (contre 43 % en 2023) et proposé des mesures pour ce faire. Du côté du gouvernement, cela s’est traduit en un soutien fort pour les protéines alternatives sur le plan de la recherche, de l’environnement réglementaire et de l’investissement. De plus, l’annonce de cet objectif a permis le ralliement d’acteurs privés comme les distributeurs9, dont la plupart ont fixé l’objectif de 60 % de ventes végétales parmi les protéines vendues. Le ministère de l’Agriculture néerlandais a soutenu publiquement cette déclaration et indiqué qu’il suivrait la mise en œuvre des actions, tout comme les ONG auprès desquelles les distributeurs se sont engagés. Si les mesures demeurent pour l’instant préliminaires, elles vont dans le bon sens en tirant parti des différents leviers à disposition des enseignes (placement, promotion, prix, produits).
Au Danemark10, un accord politique large conclu en 2021 a fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur agricole et forestier, ouvrant la porte à des mesures permettant la transition du secteur de la production à la consommation. Parmi celles-ci, le Danemark a lancé en 2023 un Fonds d’innovation pour le végétal doté d’un budget de 140 millions d’euros sur la période 2025-2030. La même année, un Plan d’action pour le végétal et une Stratégie pour les protéines vertes en alimentation humaine et animale étaient adoptés pour renforcer les mesures gouvernementales à destination des différents acteurs de la chaîne alimentaire.
Dans le contexte français, ces exemples montrent qu’il est possible de développer les filières de protéines végétales et de susciter l’engagement des acteurs sur ce sujet. Les mesures qui concernent la grande distribution et la restauration dans la SNANC, qui portent uniquement sur la promotion des produits durables, pourraient être l’espace pour développer ces orientations.
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Ce constat est convergent avec celui posé par d’autres institutions dans des rapports récents comme le Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC), l’Agence européenne de l’environnement (EEA) ou encore le Groupes des conseillers scientifiques principaux de la Commission européenne (SAM). Les politiques de l’alimentation sont globalement : a) fragmentées et parfois contradictoires, ce qui réduit leur efficacité ; b) concentrées sur les deux extrémités de la chaîne alimentaire, mobilisant insuffisamment les industriels, distributeurs et restaurateurs ; c) trop peu outillées pour promouvoir des changements dans la consommation alimentaire car elles reposent principalement sur des mesures sous-efficaces comme l’information et l’éducation des consommateurs ; d) insuffisamment cohérentes entre les échelles.
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Wiklund, J., Virgin, I., Fogde, M. (2025). Case study Sweden in Towards food policies that support healthy and sustainable consumption. Case studies from 11 European countries highlighting good practices for demand-side policies.
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Le Swedish Competence Centre for Public Meals.
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Wrona, A. (2025). Case study Poland in Towards food policies that support healthy and sustainable consumption. Case studies from 11 European countries highlighting good practices for demand-side policies
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Voir à ce sujet les travaux que nous avions conduit sur le « chèque alimentaire » (Iddri, 2022), ou la proposition de loi récente du député B. Tavernier.
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Institut national de santé publique du Québec (2012). Le projet de la Carélie du Nord en Finlande : un mouvement de société en faveur des saines habitudes de vie. TOPO. http://www.phac-aspc.gc.ca/cd-mc/cvd-mcv/index-fra.php ; Sillanaukee, O., Minkkilä, R., Lähteenoja, S. (2024). Case study Poland in Towards food policies that support healthy and sustainable consumption. Case studies from 11 European countries highlighting good practices for demand-side policies.
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Bos-Brouwers, H., Stroosnijder, S. (2025). Case study The Netherlands in Towards food policies that support healthy and sustainable consumption. Case studies from 11 European countries highlighting good practices for demand-side policies.
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L’analyse de l’engagement de la grande distribution sur le sujet du végétal est fournie par Dagevos, H. (2025). It does take more than the power of the supermarket. Wageningen University and Research: Periodic Nature Policy Review. (Traduction automatique du néerlandais).
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Minter, M., Bach Johansen, A., Højte, S. (2025). Case study Denmark in Towards food policies that support healthy and sustainable consumption. Case studies from 11 European countries highlighting good practices for demand-side policies.