Le 4 janvier 2018, les États-Unis annonçaient l’ouverture de près de 90 % des eaux américaines aux activités pétrolières et gazières, dans le cadre d’un programme quinquennal prévoyant également un assouplissement des régulations techniques imposées aux opérateurs. Le même jour, la justice norvégienne déboutait trois organisations non gouvernementales de leur demande de condamnation de l’État norvégien à la suite de la délivrance de permis d’exploration pétrolière en Arctique. Plus largement, la remontée des cours du baril de pétrole pourrait conduire à de nouveaux investissements pour l’exploration en eaux profondes et à l’exploitation de puits découverts ces dernières années et aujourd’hui rentables. Mais avons-nous besoin d’extraire le pétrole en mer pour répondre aux besoins énergétiques de la planète ?

Lors de la COP 21, la communauté internationale s’est engagée à limiter le réchauffement « nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et à poursuivre « l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C »[1]. Cet objectif impose notamment une redéfinition du mix énergétique mondial, une profonde décarbonation de l’économie et, partant, une réduction de l’utilisation des énergies fossiles. Le secteur pétrolier est au premier chef concerné par ces exigences et quelques signaux – encore faibles – montrent que l’industrie réfléchit aux moyens de s’inscrire dans une trajectoire de transition et d’adaptation de long terme telles que requises par l’Accord de Paris.

Néanmoins, le débat sur la sanctuarisation de certaines réserves d’énergies fossiles reste aujourd’hui cantonné à un cercle d’experts et n’a pas encore émergé comme un point clé de l’agenda politique international. Pourtant, la question se pose inévitablement et, si les chiffres varient, on estime globalement qu’un tiers des réserves pétrolières, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % du charbon devraient rester sous terre pour répondre aux objectifs climatiques. Certaines études indiquent même que les gisements actuellement exploités représentent un potentiel d’émissions de gaz à effet de serre qui conduirait à un dépassement de la limite des 2°C.

En supposant qu’on puisse encore ouvrir de nouveaux puits, de pétrole notamment, il apparaît aujourd’hui irréaliste d’envisager une répartition des réserves à exploiter par voie de négociation internationale. D’abord parce que les clés d’une telle répartition sont à ce jour beaucoup trop incertaines. Ensuite parce que l’agenda climatique aborde le sujet des énergies fossiles au prisme de la consommation, et non de la production. Enfin car l’exploitation des ressources énergétiques sur leur territoire, y compris marin, constitue un droit octroyé aux États par le droit international qu’on imagine difficilement être balayé d’un revers de la main.

Dans ce contexte, pourquoi ne pas s’appuyer sur la sensibilité environnementale d’un milieu pour limiter, voire interdire, l’extraction des énergies fossiles ? Le milieu marin, duquel est aujourd’hui extrait un tiers du pétrole et un quart du gaz naturel mondial, répond parfaitement à ce critère et pourrait ainsi être épargné de certains forages. Les récents accidents survenus sur des plateformes offshore ont démontré que les risques écologiques résultant de ces activités pouvaient concerner toutes les régions du monde et tous les acteurs de ce secteur, même les plus importants. Pollution routinière et marées noires ont des conséquences environnementales désastreuses pour les écosystèmes marins et des impacts considérables sur les activités économiques qui en dépendent. Grâce aux inventaires fournis par les scientifiques (inventaires nationaux, évaluation régionale dans le cadre des organisations compétentes, identification des zones d’importance écologique et biologique dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, etc.), nous savons également que certaines zones marines ont des caractéristiques qui les rendent plus vulnérables que d’autres (mers fermées ou semi-fermées, zones de nurserie, présence d’habitats remarquables, etc.).

Puisque nous n’avons pas besoin d’exploiter toutes ces réserves sous-marines, comment dès lors créer une dynamique pour interdire l’exploitation offshore, ou tout au moins l’exclure des zones les plus vulnérables ?

On peut certes espérer un engagement unilatéral d’États pionniers. C’est l’orientation retenue par la France qui, à travers une loi de décembre 2017, s’est engagée à mettre fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures, y compris en mer, d’ici 2040. Toutefois, on peut douter qu’un phénomène de contagion permette, à court terme, l’adoption d’initiatives similaires dans beaucoup d’autres pays.

Dès lors, puisque la multiplication d’initiatives unilatérales semble compromise, il est urgent de se tourner vers des instances collectives qui permettent de mettre la question à l’agenda politique, au premier rang desquelles les instances environnementales.

Des États riverains d’une même région marine (la Méditerranée, le golfe du Mexique, l’Afrique de l’Ouest, l’océan Indien occidental) pourraient ainsi débattre de l’opportunité, sinon d’une interdiction totale, du moins d’une limitation de l’exploitation offshore aux zones les moins vulnérables. Certaines organisations régionales ont adopté des accords visant à renforcer la sécurité de ces activités ; néanmoins, aucune d’entre elles n’a à ce jour explicitement exclu de tout forage certaines zones marines, alors que les inventaires scientifiques sont pourtant de plus en plus précis et relayés auprès des décideurs.

De même, les États parties à la Convention sur la diversité biologique, qui débattent actuellement du cadre stratégique post 2020, pourraient apporter leur pierre à l’édifice : l’établissement d’engagements précis visant le secteur de l’offshore ou le renforcement de la portée politique et juridique de certains instruments, parmi lesquels les « zones d’importance écologique et biologique », constituent des pistes de réflexion à creuser.

L’Union européenne a également un rôle à jouer. Dans une résolution du 16 janvier 2018, le Parlement européen note ainsi que l’« Union doit coopérer avec des partenaires internationaux pour parvenir à une transition juste permettant de se détourner du forage en mer et de participer ainsi à la réalisation de l’objectif d’une économie à faibles émissions de carbone ».

Ce débat, à la croisée des enjeux climatiques et environnementaux, doit donc être lancé.


[1] Convention-cadre sur les changements climatiques, Conférence des Parties, Vingt et unième session, Accord de Paris, Article 2-1a.