Avec l’arrivée à échéance du Plan stratégique 2011-2020 et de ses Objectifs d’Aichi, les négociations internationales doivent aboutir à l’adoption d’un cadre mondial post-2020 sur la biodiversité lors de la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) qui se tiendra à l’automne 2020 à Kunming (Chine). Depuis le début de l’année 2019, un processus d’élaboration du cadre post-2020 est en cours. Alors qu’une première phase intense de consultations s’achève, et avant la tenue fin août d’une réunion importante à Nairobi (Kenya), cet entretien avec Basile van Havre, co-président du groupe intersession de la CDB dédié au développement du cadre post-2020, permet de faire le point sur l’état des discussions et d’en décrypter les principaux enjeux.

Pour situer les choses, pourquoi le résultat de la COP 15 sera-t-il important ? Quels en sont les enjeux ?

Basile van Havre (BvH) : Il y a une période d’engagements qui s’achève, un cadre international qui arrive à sa fin, et il faut donc le renouveler pour organiser la coopération internationale sur la biodiversité. Pour la plupart des questions de biodiversité, contrairement à ce que l’on peut croire parfois, les États ne peuvent résoudre seuls les problèmes. Par exemple, l’aire de répartition des espèces couvre souvent plusieurs pays, et il faut une action concertée pour les protéger. Sur d’autres sujets, comme sur la déforestation liée à l’agriculture, il faut un travail entre les pays producteurs et importateurs pour avoir une chance de résoudre le problème. L’Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystèmiques, produite par l’IPBES, montre clairement l’étendue du problème et que la biodiversité se dégrade partout dans le monde, pour des raisons que l’on connaît bien maintenant, et on a besoin d’un cadre d’action multilatéral renforcé pour agir sur ces causes. (2) 

Par ailleurs, la gouvernance de la biodiversité ne mobilise pas encore suffisamment les « acteurs non-étatiques », or leur implication est cruciale, pour faire monter l’ambition mais surtout car ce sont des acteurs majeurs de la mise en œuvre. Il y a, aussi, un travail de coordination à entreprendre avec les autres conventions s’occupant de biodiversité, et les autres outils de gouvernance s’occupant d’environnement plus généralement, et avec les autres arènes où se discutent les transformations nécessaires, dans l’agriculture par exemple, pour freiner la perte de biodiversité. La COP 15 devra donc permettre de renforcer le cadre de coopération entre les États et sa mise en œuvre, mais aussi de favoriser l’implication des autres acteurs et la coordination avec les autres arènes de gouvernance.

Après la COP 14 en fin d’année dernière, le début de l’année 2019 a vu la tenue de nombreuses consultations, à l’occasion desquelles les États ont échangé sur leurs attentes pour le cadre post-2020. Qu’en retenir ?

BvH : Dans l’ensemble, il faut d’abord souligner qu’on perçoit une vraie sensibilisation au besoin d’avancer sur ce sujet, et de faire plus. Avec mon co-président Francis Ogwal, nous avons vraiment ressenti une attitude générale positive, les gens ne venaient pas aux discussions à reculons. Au contraire, il y a même un certain désir de rentrer dans les détails concrets au plus vite. Il y a relativement peu de temps d’ici la COP 15, les gens en sont conscients, et nous avons une communauté de négociateurs qui pour la plupart ont envie d’avancer. 

On peut relever plusieurs tendances de fond. Tout d’abord, l’importance d’une réelle évolution du cadre a été souvent soulignée, mais avec la nécessité de néanmoins bâtir sur l’existant. L’envie, également, de développer un cadre visant des résultats à 2030, mais qui reste valable dans sa logique jusque 2050, pour assurer une continuité et ne pas devoir tout recommencer tous les dix ans. Il y a aussi un souci de réalisme, car l’on sait bien que les modes de développement économique actuels restent difficilement compatibles avec les actions favorisant la biodiversité : il y a donc une tension entre l’envie d’être très ambitieux et la définition d’objectifs réalisables, et il n’est pas évident de trouver où placer le curseur. Sur un sujet connexe, la question des financements est bien entendu majeure.

Sur la substance, on voit qu’il y a deux dossiers importants, le renouvellement des objectifs et le cadre de mise en œuvre qui va les accompagner, et qui a manqué jusqu’à présent. Pour les objectifs, cela passe notamment par un travail sur leur organisation, leur structure, pour favoriser leur communication mais aussi le suivi de leur mise en œuvre. Plusieurs modèles alternatifs sont considérés, nous en avons un par exemple qui met des objectifs de haut niveau sur l’état des écosystèmes, et en dessous des objectifs visant à diminuer les pressions sur les écosystèmes (par exemple, la diminution de l’usage des pesticides), puis un troisième niveau visant des changements plus profonds et généraux dans les sociétés (éducation, subventions, modes de consommation...). C’est un exemple, pour illustrer le type de discussions en cours sur l’organisation des futurs objectifs. Pour la mise en œuvre, il y a un vrai travail à faire sur la redevabilité, sur la manière dont la mise en œuvre est suivie et dont les États rendent des comptes sur leurs actions, aux autres États mais aussi aux autres acteurs. Cela supposerait, notamment, de repartir des outils existants, comme les stratégies et plans d’actions nationaux sur la biodiversité, et les renforcer, avec plus de rigueur, de rapports sur les progrès et problèmes, plus d’imputabilité. 

Maintenant que ces consultations sont passées, quelles sont les prochaines étapes ?

BvH : Après la conférence de Trondheim de début juillet, la prochaine étape sera la première réunion du groupe de travail intersession sur le cadre post-2020, qui se tiendra fin août à Nairobi (Kenya). Nous en attendons trois choses. Premièrement, faire le bilan de toutes les consultations régionales qui se sont tenues dans l’année. Deuxièmement, s’entendre sur la structure du cadre, et notamment l’organisation des objectifs. Troisièmement, s’entendre sur le plan de travail pour la suite. Plus précisément, nous savons qu’il y a, pour certains sujets, encore beaucoup de travail. Il faut identifier collectivement ces thèmes à Nairobi, et ceux-ci feront l’objet de « consultations thématiques » à partir de l’automne, qui seront des ateliers de travail au cours desquels les États intéressés pourront échanger leurs vues et, on l’espère, aboutir à des propositions les plus abouties possibles.

L’étape suivante sera fin février 2020, lors de la deuxième réunion du groupe intersession à Kunming, en Chine, là où se tiendra la COP 15 plus tard dans l’année. L’objectif est d’arriver à cette étape en ayant fait le plus de progrès possibles sur des éléments principaux, notamment sur le contenu des objectifs. Les autres éléments devront être finalisés dans les mois suivants, pour la troisième réunion du groupe intersession qui se tiendra en juillet 2020 en Colombie, et pour laquelle l’objectif est d’avoir une première version complète du cadre post-2020.

Il faudra aussi maximiser, bien entendu, l’utilisation des réunions intermédiaires de la CDB, et les autres rendez-vous marquants de la gouvernance internationale de l’environnement sur la période. Le sommet pour l’action climatique du secrétaire général des Nations unies, en septembre 2019, comportera un segment sur les solutions fondées sur la nature (SFN), qui concernent la biodiversité de premier chef. La pré-COP climat au Costa Rica et la COP 25 au Chili mettront aussi les SFN à l’honneur. Le Congrès mondial de l’UICN, en juin 2020 à Marseille, sera aussi une étape importante, tant pour la mobilisation des acteurs non-étatiques que pour la mobilisation potentielle de leaders politiques de haut niveau, moins de six mois avant la COP 15.

Quelles difficultés, mais aussi opportunités, voyez-vous sur la route vers la COP 15 ?

BvH : Une première difficulté est que l’on continue de voir ces discussions comme ne concernant que la nature, et comme des enjeux qui viennent s’opposer au confort de notre développement économique. Les sciences nous répètent que l’on ne peut de toute façon pas continuer avec le même modèle de consommation de ressources par habitant, et ce que l’on essaie de faire fondamentalement, c’est trouver d’autres manières de concilier augmentation du bien-être humain et respect des limites de la biosphère. Il faudrait réussir à mettre la discussion à ce niveau. Je suis convaincu que nous pouvons faire les changements qui s’imposent à notre mode de développement tout en fournissant un mode de vie meilleur à tous. Le défi, c’est d’accompagner la transition. Une difficulté liée est que le niveau de sensibilisation du public est trop faible, même comparé au changement climatique. Par ailleurs, tous les gouvernements n’ont pas encore un mandat fort sur ces sujets, et il faut avouer que l’ambiance générale, chez plusieurs grandes puissances, n’est pas trop à l’environnementalisme.

Plus positivement, on parle néanmoins d’un sujet concret pour les gens : la nature touche à leur expérience sensible, à des souvenirs, des émotions. C’est différent de l’expérience plus statistique du changement climatique. On ne voit pas encore très bien, probablement, les liens entre nos actions quotidiennes et la biodiversité, tant du point de vue des liens de dépendance que dans la responsabilité dans les impacts. Mais cela bouge. Les dégâts, notamment, sont de plus en plus visibles, et sont perçus de manière croissante par les acteurs économiques comme des risques pour leurs activités, comme l’a montré le rapport 2019 sur les risques mondiaux du Forum économique mondial. Il y a par ailleurs une dimension locale, régionale, qui est forte sur ces sujets : un État qui prend des actions ambitieuses peut rapidement faire une différence, visible pour les populations. Enfin, je crois que l’on perçoit de mieux en mieux les fortes synergies avec l’action climatique, et cela ouvre l’opportunité de mieux faire, et plus souvent, front commun. Enfin, on voit tout de même une mobilisation se créer, chez les collectivités (villes notamment) et les entreprises. On a besoin que tous ces acteurs fassent le point sur leurs priorités dans l’année et demi qui vient : l’engagement pour un succès de la COP 15, ça ne peut pas être demain, ça doit être dès aujourd’hui.


(1) Dans le cadre de son initiative Gouvernance internationale de la biodiversité post-2020, l’Iddri mène notamment des activités de décryptage du processus international, via des publications comme celle-ci ou des événements multi-acteurs. Voir : https://www.iddri.org/fr/initiative/gouvernance-internationale-de-la-biodiversite-post-2020

(2) Lire le Décryptage de l’Iddri sur l’Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystèmiques : https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/decryptage/comment-enrayer-lerosion-continue-de-la-biodiversite

(3) https://fr.weforum.org/reports/the-global-risks-report-2019


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