L’objectif de ce billet est de présenter de façon synthétique les éléments clés des négociations en cours en vue de l’Accord de Paris. Les points présentés ci-dessous sont encore en débat, et leur résolution pourrait aider à assurer la valeur de l’accord de Paris.

  1. Une participation universelle. La CCNUCC comme le Protocole de Kyoto sont des accords universels. Toutefois, ils ne prévoient pas d’obligations précises pour tous les pays, et ils reposent sur un système de deux annexes, l’une concernant les pays développés, l’autre les pays en développement. L’Accord de Paris a pour objectif d’être « applicable à tous les pays » (voir le point 3 pour plus de détails). À l’heure actuelle, 161 pays ont déjà soumis leurs contributions nationales à l’action climatique (les INDC), ces pays représentant 91 % des émissions mondiales de GES, ce qui traduit déjà une dynamique positive vers un accord fondée sur la volonté d’agir dans presque tous les pays. Il sera également important que l’adoption de l’Accord de Paris se fasse sans difficultés de procédure, qui pourraient être interprétées comme une absence de consensus autour de l’accord. Enfin, les conditions d’entrée en vigueur de l’accord doivent être définies de façon à ce qu’un seuil suffisamment élevé de participation (ratification) permette son entrée en vigueur.
  1. Un accord juridique, comprenant des éléments contraignants et des éléments non contraignants. Bien que de nature universelle, les différentes composantes de l’Accord de Copenhague en faisaient un accord juridiquement non contraignant. L’objectif à Paris est de négocier un accord juridique, c’est-à-dire un traité en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités (même si cet accord n’est pas appelé traité), complété par une série de décisions de la COP. Ce billet parle donc de l’« Accord de Paris » au sens large, à savoir l’accord juridiquement contraignant et les décisions de la COP associées. Ces dernières pourraient inclure des procédures contraignantes pour la participation à des mécanismes collectifs relatifs à : a) la préparation, la soumission et l’adoption de mesures visant à mettre en œuvre les contributions nationales ; b) leur révision régulière (voir point 5 ci-dessous) ; et c) la transparence pour ce qui concerne leur mise en œuvre et leur réalisation. Il semble probable que l’obligation légale vis-à-vis des contributions nationales sera une « obligation de moyens » plutôt que de résultat. Les pays pourraient être obligés de mettre en œuvre leur contribution nationale, plutôt que de la réaliser à la lettre. La vigueur et la portée de l’expression de cette obligation de mise en œuvre des NDC suscitent encore d’importants débats.
  1. Différenciation. L’Accord de Paris doit être applicable à tous. Cependant, les situations nationales restent très variées. Le défi est donc de créer un accord qui aille au-delà des annexes de la CCNUCC, prenant pleinement en compte le spectre des circonstances nationales, tout en offrant un espace suffisant pour la différenciation. Il n’y aura probablement pas de solution globale à la différenciation (comme la définition de nouvelles annexes). Au contraire, il semble que la différenciation recevra un traitement spécifique et peut-être différent dans chaque élément de l’accord (atténuation, adaptation, financement, etc.). Deuxièmement, le système de différenciation sera probablement davantage basé sur « l’auto-différenciation » dans un cadre commun mais souple. Des principes communs et un contrôle politique peuvent contribuer à garantir que, dans ce cadre souple, des pays comparables assument des responsabilités similaires. Les pays devront donc être en mesure d’examiner l’accord dans sa globalité et d’apprécier son équité.
  1. L’objectif de 2 °C. Les Accords de Cancún ont adopté l’objectif de limiter le réchauffement à moins de 2 °C. Cependant, une cible exprimée en température peut être moins concrète et percutante qu’une cible plus opérationnelle, exprimée par exemple en termes d’émissions globales. De nombreux appels ont ainsi été formulés pour que l’Accord de Paris « rende opérationnel » l’objectif de 2 °C. Cela pourrait inclure un niveau d’émissions à atteindre d’ici le milieu du siècle et/ou des objectifs à plus long terme tels que la transition vers des économies à faibles émissions et résilientes au cours de ce siècle. Le niveau de précision de l’objectif est un critère important. Certains pays craignent que la définition d’un objectif global conduise à terme à un système de répartition de l’effort plus clairement top-down. Pour cette raison, l’objectif global devrait probablement aller de pair avec une reconnaissance que les pays emprunteront des trajectoires nationales différentes pour atteindre cet objectif collectif, en fonction des différents contextes nationaux.
  1. Cycles d’action pour que l’objectif de 2 °C reste à portée de main. Comme indiqué plus haut, 161 pays ont présenté leur INDC, ce qui représente déjà une grande réussite. Les INDC accélèrent et consolident la lutte contre le changement climatique ; toutefois, elles ne sont pas suffisantes pour maintenir le réchauffement en dessous de 2 °C. Pour cette raison, nombreux sont ceux qui appellent l’Accord de Paris à établir un mécanisme permettant aux pays d’augmenter régulièrement leurs ambitions nationales de façon coordonnée. Cela implique un certain nombre d’éléments clés. L’Accord de Paris pourrait définir la date de la première révision de ce type (c’est-à-dire 2020, afin d’assurer que les ambitions ne soient pas verrouillées). L’Accord de Paris pourrait également préciser la périodicité des révisions (idéalement, tous les cinq ans), et établir un mécanisme de bilan régulier au niveau mondial, au cours duquel les pays évalueraient collectivement les progrès réalisés en termes d’atténuation, d’adaptation, de technologie et de financement, avant de préparer leur contribution suivante. Il serait également important de lier clairement ce mécanisme de cycles à l’objectif mondial de limitation du réchauffement à 2 °C. Les futures contributions pourraient aussi reposer sur une invitation à ce que chaque pays élabore une stratégie de décarbonation d’ici le milieu du siècle, plaçant leur contribution dans le contexte de la transition profonde à long terme de chaque pays vers une économie bas carbone.
  1. Adaptation. L’adaptation prend de plus en plus d’importance, à mesure que les impacts du changement climatique deviennent plus apparents. Traditionnellement, la CCNUCC s’est avéré être un régime plutôt centré sur l’atténuation. Beaucoup appellent ainsi à ce que l’adaptation soit placée sur un pied d’égalité avec l’atténuation. Concrètement, cela pourrait se traduire par la définition d’un objectif mondial d’adaptation, qui pourrait consister en ce que toutes les sociétés fassent la transition vers des économies résilientes, étant donné le niveau de réchauffement pouvant être attendu dans les décennies à venir, avec l’objectif de limiter le réchauffement à 2 °C. Tous les pays pourraient également être invités à élaborer des stratégies nationales d’adaptation et à les soumettre à la communauté internationale. Enfin, l’Accord de Paris pourrait renforcer considérablement le système de partage d’informations et le suivi des progrès réalisés en termes d’adaptation. Bien qu’il s’agisse là d’une entreprise à long terme, l’Accord de Paris pourrait fixer le cap vers une plus grande transparence et une meilleure compréhension de l’état de l’adaptation dans le monde entier, et un travail technique pourrait s’en suivre afin d’élaborer les modalités concrètes.
  1. Pertes et dommages. Même avec des mesures fermes de réduction des émissions et d’adaptation au changement climatique, il est probable que certaines sociétés seront confrontées à d’importants impacts du changement climatique, potentiellement au-delà de leur capacité d’adaptation. Cela avait soulevé des appels au développement d’un mécanisme de « pertes et dommages ». Aucune consistance n’a vraiment été donnée à ce concept. Les questions de « responsabilité » sont très complexes d’un point de vue scientifique, juridique et politique. Toutefois, l’Accord de Paris pourrait inclure une reconnaissance de la réalité de ces « pertes et dommages » si les mesures prises en matière d’adaptation et d’atténuation sont insuffisantes et, en conséquence, du besoin de renforcer la solidarité internationale face aux impacts climatiques. Cette solidarité peut être envisagée en termes de réponse aux catastrophes, de mise en place de systèmes d’alerte précoce, de régimes de gestion des migrations, etc.
  1. Financement. Le financement est traditionnellement un élément central des négociations et, de fait, un levier essentiel de la transition vers des économies à faibles émissions et résilientes. L’Accord de Paris se doit de répondre à un certain nombre de questions. Tout d’abord, les pays développés vont devoir faire preuve de clarté et démontrer que des progrès suffisants ont été réalisés en vue d’atteindre l’objectif de réunir 100 milliards de dollars d’ici 2020. Un ensemble de facteurs, notamment l’amélioration du suivi et de la responsabilité effective des acteurs, des engagements nationaux plus importants pour le financement climatique, et les contributions des banques multilatérales de développement, devront pouvoir être jugés suffisants et crédibles. Deuxièmement, l’Accord de Paris pourrait définir le cadre du financement climatique de l’après-2020. Cela inclut des questions fondamentales comme la mise en place, ou non, d’un objectif collectif quantifié pour l’après-2020 qui incomberait à un groupe de pays. L’expression « groupe de pays » masque une deuxième question importante, à savoir celle de la responsabilité : qui doit assurer le financement climatique de l’après-2020 ? Il semble probable que les pays développés resteront ici au premier plan, d’autres pays en mesure de le faire pouvant éventuellement être invités à participer. Enfin, il est de plus en plus évident que le financement de l’adaptation est négligé par rapport au financement de l’atténuation. De nombreux pays en développement demandent donc qu’un objectif spécifique d’adaptation soit fixé dans l’Accord de Paris. Enfin l’Accord de Paris pourrait reconnaître que l’objet stratégique du financement climatique doit être d’initier une vaste transition au sein du secteur financier, qui doit s’éloigner des investissements à forte teneur en carbone au profit d’investissements sobres en carbone. Cela pourrait prendre la forme d’un objectif global pour le financement du climat, par exemple un objectif progressivement plus « verts » tous les flux d’investissement pertinents.
  1. Transparence et responsabilisation. Un des rôles essentiels du régime climatique international est d’instaurer la confiance dans l’action collective, en veillant à ce que les pays respectent leurs promesses et en présentant l’ampleur des avancées au niveau mondial (d’où l’intérêt du bilan à l’échelle mondiale développé dans le point 5). Un axe important de la négociation de l’Accord de Paris est donc la question de la « transparence et de la responsabilisation ». Les Accords de Cancún ont développé un nouveau système de transparence consolidé, qui présente néanmoins quelques faiblesses. Une question clé dans la négociation est de savoir si le système actuel, divisé entre pays développés et en développement, doit être fusionné en un seul système. Si les avis semblent de plus en plus converger vers cette option, la négociation reste difficile et parfois politisée. L’Accord de Paris pourrait établir comme principe général l’obligation pour tous les pays de rendre compte de la mise en œuvre et de la réalisation de leur contribution, et entériner le besoin de développer par la suite des méthodologies pour assurer un système souple et agréé permettant de comptabiliser les différents types de contributions soumises par les pays. Enfin, ce système resterait de type facilitateur et non punitif, soit un système d’alerte précoce permettant à la communauté internationale de suivre de manière prospective les avancées réalisées par les pays par rapport à leurs contributions.
  1. Les acteurs non étatiques. À la veille de la conférence de Paris, une série d’acteurs non étatiques, notamment les entreprises et les gouvernements locaux, mettent au point leurs propres initiatives pour lutter contre le changement climatique. Cette évolution positive reflète l’ampleur du problème, et les différents niveaux auxquels il faut agir. Ce serait une erreur de penser que les actions de l’État et des acteurs non-étatiques peuvent se substituer les unes aux autres : elles sont toutes deux nécessaires et peuvent se renforcer mutuellement. L’Accord de Paris pourrait reconnaître les actions qui ont été réalisées et annoncées, et jeter les bases d’un système permettant de garantir que les efforts de mobilisation de l’action non-étatique soient poursuivis après Paris, notamment en améliorant la transparence et la responsabilisation. Il est important de reconnaître qu’on ne peut attendre de la CCNUCC qu’elle lutte seule contre le changement climatique, et qu’une contribution d’autres instances et coalitions compétentes est nécessaire, afin de faciliter la mise en œuvre du large éventail de mesures devant être prises après Paris. Dans ce contexte, la CCNUCC resterait au centre de l’action des États, et donnerait une orientation et une cohérence générale à la multitude de mesures prises dans d’autres contextes.

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Négociations internationales pour le climat : à quoi ça sert ?