La deuxième semaine de la COP 26 de l'ONU sur le climat à Glasgow s'ouvrira par une journée consacrée à l'adaptation et aux pertes et dommages, avec des discussions susceptibles d'être centrées sur l'opérationnalisation de l'objectif mondial d'adaptation et les modalités d'examen des progrès globaux réalisés dans le cadre du Bilan mondial prévu en 2023. En 2022, les Parties entameront une première phase de collecte d'informations et de préparation de ce Bilan mondial, mais d'importants défis techniques, méthodologiques et politiques en matière d'adaptation pourraient entraver les efforts collectifs. L'approche de Suivi des progrès en matière d'adaptation au niveau global (GAP-Track) de l'Iddri vise à surmonter ces différents défis en s'éloignant d'une évaluation axée sur les pays et en s'appuyant sur l'identification de défis d'adaptation représentatifs considérés comme des indicateurs des priorités mondiales. Le rapport GAP-Track 2021 présente les premiers résultats d'une étude pilote et explore les prochaines étapes d'une application à l'échelle mondiale qui pourrait fournir des informations complémentaires sur les progrès et les besoins d'adaptation, et soutenir les cycles du Bilan mondial.

Comment mesurer l'adaptation : un défi scientifique et politique

Les contributions déterminées au niveau national (CDN) les plus récemment soumises ne sont pas compatibles avec un monde à 1,5 °C1 , ce qui place l'adaptation sous les feux de la rampe. Cependant, un nombre croissant de travaux ancrés dans la réalité montrent dans quelle mesure l'adaptation sociétale a le potentiel de limiter considérablement les risques climatiques à l'avenir, malgré les risques résiduels inévitables (par exemple, les pertes et les dommages).  

Figure 1 (en anglais). Le potentiel d'adaptation sociétale pour réduire le risque climatique d'ici la fin du siècle (inspiré de Magnan et al., 2021)2


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Mais comment savoir si nous sommes ou non sur la bonne voie pour réaliser des progrès en matière d'adaptation au niveau mondial ? Cette question sera abordée lors de la COP 26, avec des discussions essentielles relatives au Bilan mondial de 2023 (Global Stocktake, GST) pour évaluer les progrès accomplis dans la réalisation de l'objectif mondial en matière d'adaptation (cf. Accord de Paris) et les modalités d'évaluation pertinentes. 

Pour certaines parties à la CCNUCC, notamment les pays très vulnérables, le Bilan mondial pourrait aider à déterminer l'ampleur des besoins, y compris pour les pertes et dommages. L'insuffisance du financement climatique et l'incapacité à respecter l'engagement de 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 (COP 15 de Copenhague, 2009) ayant rallié la société civile et plusieurs pays pour demander un renforcement des mesures d'adaptation et du financement, le Royaume-Uni a fait pression sur tous les pays pour qu'ils soumettent des communications sur l'adaptation pour la COP 26 afin de fournir des informations sur les activités d'adaptation en cours et prévues. L'Alliance pour la recherche sur l'adaptation lancée lors de la COP 26 est un exemple de nouvelles coalitions (Nord-Sud, Sud-Sud, public-privé) ; pour sa part, Adaptation sans frontières (Adaptation Without Borders, AWB) présente les possibilités de coopération internationale et régionale en matière d'adaptation, notamment pour faire face aux risques climatiques en cascade transfrontaliers.

Toutefois, les idées manquent sur la manière d'évaluer les progrès accomplis dans la réalisation de l'objectif mondial en matière d'adaptation (améliorer la capacité d'adaptation, renforcer la résilience et réduire la vulnérabilité aux risques liés au changement climatique) et, plus précisément, sur la manière d'informer le GST. L'Afrique du Sud a présenté une vision des objectifs (augmenter la résilience climatique de la population mondiale de 50 % d'ici 2030 et d'au moins 90 % d'ici 20503 ), mais la manière de les atteindre n'est pas claire, compte tenu notamment des défis méthodologiques et des différentes circonstances nationales de vulnérabilité et d'exposition au climat.

Défis techniques et résultats émergents 

Le suivi de l'adaptation présente des défis méthodologiques bien connus, tels que le manque général d'informations structurées sur les niveaux de risque climatique et les politiques et actions d'adaptation (et les preuves de leurs effets sur la réduction des risques actuels et futurs). En outre, l'agrégation des informations aux niveaux local et national dans une perspective globale tout en veillant à ne pas perdre les spécificités du contexte est une question complexe.

Plusieurs initiatives ont été développées ces dernières années pour informer le suivi des progrès de l'adaptation5 . Le récent document technique du Comité d'adaptation de la CCNUCC fournit un examen complet des approches pour évaluer les progrès de l'adaptation à différentes échelles6 . En outre, des orientations supplémentaires sur les processus de rapportage7 ont commencé à être prises en compte dans la révision des communications sur l'adaptation et seront finalisées dans la seconde moitié de 2022, ce qui pourrait présenter une forme d'instruments de suivi pour les pays dans la perspective du GST. Toutefois, le texte de l'Accord de Paris donne lieu à certaines frictions sur l'interprétation des progrès en ce qui concerne l'adéquation et l'efficacité de l'adaptation. Il s'agit là d'une composante d'un différend beaucoup plus vaste sur la manière de saisir toutes les dimensions de l'adaptation (c'est-à-dire le défi conceptuel et technique). 

Il est donc de plus en plus reconnu que des approches multiples sont nécessaires pour assurer un processus inclusif et que le GST doit être flexible (apprentissage par la pratique) en termes de types d'informations à prendre en compte8 . Le GAP-Track s'appuie sur ces éléments pour compléter le paysage du suivi des progrès de l'adaptation mondiale.

L'approche GAP-Track 

Le projet GAP-Track initié par l'Iddri utilise une approche basée sur le jugement d'experts appliquée à une matrice de questions, un système de notation et des Défis d'adaptation représentatifs, définis ici comme des indicateurs des priorités d'adaptation au niveau mondial (voir le rapport méthodologique). L'adaptation est structurée par une matrice de questions - avec 6 questions générales et 19 sous-questions (voir Figure 2) qui visent à recueillir des informations ciblées sur des points spécifiques concernant les progrès de l'adaptation. Les experts sont invités à donner une note (0-4) pour chaque question, chaque note étant associée à des critères spécifiques qui doivent être étayés par des justifications approfondies. Le protocole de cadrage et de méthodologie du GAP-Track offre la souplesse nécessaire pour mobiliser différentes expertises et faire appel à différentes sources d'informations et de données, ce qui permet de surmonter les difficultés lorsque les données ne sont pas disponibles ou sont de types différents (par exemple, mesures quantitatives, littérature grise, expérience de recherche sur le terrain, connaissances traditionnelles, documents politiques). De cette façon, le GAP-Track développe un ensemble d'informations supplémentaires sur les progrès de l'adaptation qui pourrait compléter les approches existantes. 

Figure 2. Questions et notation permettant d'évaluer la contribution aux progrès de l'adaptation

GAP-Track Figure 2

Une étude pilote réalisée en 2021 a appliqué l'approche GAP-Track à un Défi d'adaptation représentatif (adaptation côtière) et à deux études de cas au niveau national (Maurice dans le sud-ouest de l'océan Indien et le Sénégal en Afrique de l'Ouest). Les leçons tirées de cette première application offrent la possibilité de développer une approche à plus grande échelle pour une perspective globale. Le rapport final du GAP-Track discute de certaines propositions et d'une architecture pour cette application mondiale, et appelle à aborder trois questions clés à l'interface science-politique.

Défis à venir

Comment organiser une évaluation de l'adaptation au niveau mondial ? Le GAP-Track recommande de se concentrer sur les Défis d'adaptation représentatifs, ce qui amène à se demander comment les identifier. L'objectif serait de déterminer les défis d'adaptation mondiaux qui peuvent être identifiés à travers les échelles et les circonstances nationales, par exemple les systèmes côtiers, les systèmes urbains, l'eau et la sécurité alimentaire, la paix et la mobilité, etc. Certains travaux scientifiques, notamment ceux du GIEC sur les risques clés représentatifs (dans l'AR5 et l'AR6 à venir) pourraient aider à identifier les Défis d'adaptation représentatifs, ce qui nécessiterait des discussions politiques supplémentaires pour assurer une représentation et une sélection équitables.

Passer d'un cadrage national à une perspective mondiale : vers la définition de priorités mondiales. La phase pilote du GAP-Track s'est concentrée sur deux cas nationaux pour tester rapidement l'approche et mobiliser des groupes d'experts en un temps limité. Cependant, l'application d'une évaluation à 196 pays et pour plusieurs Défis d'adaptation représentatifs ne serait pas réalisable à l'approche du GST en 2023. Il pourrait être utile d'adopter un point d'entrée différent, par exemple par grandes régions, secteurs critiques ou systèmes socio-géographiques (côtes, villes, régions arides, etc.). Une évaluation par pays ou par grandes régions risque de se heurter à des tensions politiques sur le financement de l'adaptation, sans compter que certains pays pourraient être sous-représentés. En même temps, l'approche sectorielle a été largement étudiée (voir Global Center on Adaptation ; rapport 2020). Nous soutenons ici que l'approche socio-géographique pourrait offrir des opportunités pour aller au-delà des questions territoriales et rassembler une diversité de circonstances nationales autour d'une série de défis d'adaptation à plusieurs échelles : côtière, urbaine, etc. 

Opérationnalisation d'un GAP-Track à l'échelle mondiale : qui pour prendre le leadership ? Une application du GAP-Track au niveau mondial impliquerait la mobilisation d'une coalition multi-partenaires et d'experts mondiaux pour traiter l'ensemble des Défis d'adaptation représentatifs, quel que soit le périmètre d'analyse retenu (grandes régions, systèmes socio-géographiques, etc.). L'objectif est d'assurer la préparation de résultats - même partiels - avant le GST en 2023, et de résultats complets pour le cycle suivant en 2028. Cela nécessite des discussions entre les communautés scientifiques et politiques afin d'identifier les voies à suivre pour rendre opérationnel un GAP-Track à l'échelle mondiale.