Le déclenchement de la guerre en Ukraine est un moment de vérité pour la sécurité de l’Union européenne. Les vulnérabilités de son système énergétique, encore trop dépendant des énergies fossiles importées, en particulier de Russie, sont particulièrement mises en évidence. Dans ce contexte, la pertinence et l'opportunité de son agenda de décarbonation, dont la boussole est l’engagement pour la neutralité climat en 2050, sont confirmées. Diminuer les énergies fossiles signifie pour l’UE à la fois faire sa part pour lutter contre le changement climatique et s’affranchir de dépendances délétères en période de crise, tant sur le plan économique avec la montée des prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises européennes que sur le plan éthique, quand la facture énergétique contribue directement au financement de la guerre.

Dans ce contexte, il faut se féliciter de la réaction de l’Union européenne, qui a rapidement mis en haut de l’agenda politique la question d’une sortie des importations des énergies fossiles russes. Dans un Document de propositions publié cette semaine, l’Iddri propose quelques principes pour accélérer la fin des importations de gaz naturel en provenance de Russie en France et en Europe. Pour y parvenir, les États membres devraient accélérer la mise en œuvre de leurs politiques de décarbonation, en particulier les stratégies de réduction de la demande énergétique. Cela signifie en particulier redoubler d’ambition dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments, qui peut avoir des effets dès le court terme. À cela s’ajoutent des mesures dont l’effet se limite au court terme comme le rationnement volontaire ou réglementé des consommations énergétiques et la diversification des approvisionnements, à condition de ne pas engendrer de verrouillages dans des consommations d’énergie fossiles. L’hydrogène, au cœur des débats énergétiques depuis 2020, constitue certes une solution importante pour l’atteinte de la neutralité climat, mais n’est pas une solution déterminante pour sortir du gaz fossile d’ici 2030. Non seulement la substitution du gaz naturel par l’hydrogène n’est pertinente que pour une part limitée des usages actuels (principalement dans l’industrie), mais les volumes disponibles d’hydrogène, produit domestiquement ou importé, seront relativement faibles à horizon 2030.

Enfin, dans le contexte actuel, l’accompagnement des ménages et des entreprises face à l’augmentation des prix des énergies sera crucial pour atténuer les impacts économiques et sociaux de la guerre et préparer la poursuite des politiques de transition sur un consensus politique solide. Pour cela, les aides doivent être ciblées vers les acteurs les plus vulnérables, efficaces sur le plan économique en exposant les acteurs qui le peuvent (ménages aisés ou à la facture énergétique limitée ou entreprises qui peuvent passer le coût de l’énergie à leurs clients) à l’augmentation du coût des énergies et réversibles pour ne pas aboutir (en baissant les taxes sur le carburant par exemple) à subventionner les énergies fossiles de manière durable. Dans une Étude également publiée cette semaine1 , l’Iddri évalue l’impact distributif pour les ménages français et européens de deux mesures proposées par le paquet Fit for 55 sur le prix des énergies : la réforme de la directive sur la taxation de l’énergie (DTE)et la création d’un système d’échange de quotas d’émissions sur le transport routier et le bâtiment (SEQE-2). Les résultats montrent que si l’impact de ces mesures est réel sur le portefeuille des ménages, la redistribution des recettes contribue à atténuer cet effet de façon significative. En outre, l’impact demeure hétérogène en fonction d’autres critères que le revenu des ménages ; dans le cas de la France, les ménages ruraux plus fortement consommateurs de carburants fossiles sont plus fortement affectés, ce qui plaide pour compléter ces mesures par des politiques d’investissement ciblés pour les ménages modestes et ruraux. Dans le contexte actuel de forte hausse des prix de l’énergie, il convient en outre de réfléchir à la temporalité des mesures importantes proposées dans le cadre du du paquet Fit for 55, plus particulièrement la prévisibilité de leur impact sur le prix des énergies. Il est ainsi essentiel de préparer l’après-crise, et de maintenir l’incitation à investir dans la transition par le signal-prix lorsque les prix des énergies fossiles retomberont tout en assurant une justice distributive adaptée pour les ménages et les entreprises.

Les débats sur l’ajustement de la stratégie énergétique de l’UE à cette nouvelle donne géopolitique ne font que commencer. L’Iddri et l’ensemble de ses partenaires continueront d’y contribuer pour l’avenir de l’Union européenne et la lutte contre le changement climatique.