Depuis l’été 2020, l’hydrogène est sous les feux de l’actualité dans l’Union européenne : huit États membres ainsi que la Commission européenne ont publié une stratégie de déploiement de l’hydrogène à 2030 et 2050, avec la mobilisation d’investissements importants – dont près de 9 milliards d’euros côté français –, en partie dans le cadre du plan de relance européen post-Covid-19. Si le déploiement de l’hydrogène peut contribuer à décarboner des secteurs clés de l’économie dans l’objectif de la neutralité climat, notamment dans l’industrie et le transport, son déploiement doit respecter des critères stricts en termes d’usages, de modes de production et d’approvisionnement, et d’infrastructures. Ces critères sont en cours de discussion au niveau européen dans le cadre du paquet « Fit for 55 », y compris à l’occasion de la révision sur les énergies renouvelables, et du paquet gaz, mais aussi à l’échelle française dans le processus de révision de la Stratégie nationale bas-carbone, qui sera adoptée par le Parlement à l’été 2023.

Un vecteur clé pour la décarbonation, mais un vecteur de « niche »

Aujourd’hui, l’hydrogène est produit à partir de gaz naturel (méthane fossile) et utilisé dans l’industrie, où il sert presque exclusivement de réactif chimique, essentiellement dans les raffineries et dans l’industrie chimique, notamment pour la production d’ammoniac. C’est aussi le cas en France, où la production d’hydrogène représente 3 % des émissions nationales. Dans quelle mesure et à quelles conditions l’hydrogène peut-il aider à atteindre la neutralité climat pour respecter l’Accord de Paris ?

L’hydrogène pourrait avoir un rôle important en tant que réactif chimique ou vecteur énergétique dans la décarbonation des secteurs dits « difficiles à décarboner », à savoir l’industrie et le transport lourd ou de longue distance. L’intérêt de l’hydrogène par rapport à d’autres vecteurs tient dans le fait qu’il est relativement facile à stocker sur de longues durées, notamment par rapport à l’électricité, et qu’il est « facilement » transportable en raison de sa densité énergétique en termes de masse assez élevée. L’hydrogène peut être utilisé tel quel ou combiné à du CO2 pour former des carburants ou des combustibles synthétiques (ammoniac, méthane, kérosène), qui peuvent présenter l’avantage de se substituer à leurs équivalents fossiles sans nécessiter de grandes adaptations des équipements. Néanmoins, pour beaucoup d’usages, l’hydrogène et ses dérivés sont des vecteurs énergétiques relativement moins efficaces énergétiquement et plus coûteux comparés aux alternatives (notamment l’usage direct de l’électricité). Il convient donc de distinguer les usages de l’hydrogène qui seraient pertinents pour atteindre la neutralité climat. 

  • Usages pour lesquels il n’y pas d’alternative à l’hydrogène ou dérivés. Cela correspond aux usages existants de l’hydrogène dans l’industrie qui doivent être décarbonés (raffineries, industrie chimique), bien que ces usages doivent être en grande partie éliminés dans une perspective de neutralité carbone, mais aussi de nouveaux usages industriels (notamment l’acier). Dans le transport de longue distance (aérien et maritime), l’hydrogène jouerait un rôle sous forme de kérosène synthétique ou d’ammoniac par exemple.
     
  • Usages pour lesquels il existe des alternatives, mais où l’hydrogène pourrait avoir une place, sa performance technique et économique étant similaire à celle des alternatives : chaleur haute température dans l’industrie, transport de poids lourds et stockage dans le système électrique. La contribution de l’hydrogène à ces secteurs dépend de choix stratégiques de long terme, d’évolution de filières industrielles et de progrès technologiques de l’hydrogène et de ses alternatives.

A contrario, de nombreux usages où l’hydrogène peut théoriquement être utilisé ne sont pas pertinents (ou à la marge) dans un contexte de décarbonation, car bien moins efficaces que des alternatives, notamment dans le transport de courte distance, la chaleur dans les bâtiments et mélangé au méthane.

Enfin, l’hydrogène utilisé comme combustible dans les centrales thermiques de production d’électricité et pour stocker l’électricité renouvelable variable en période de surplus peut devenir à long terme une solution de flexibilité utile pour le système électrique, en particulier dans les systèmes à forte pénétration d’électricité renouvelable variable. Le besoin de mobiliser l’hydrogène à cette fin dépendra de l’évolution de la consommation électrique et du développement d’autres solutions de flexibilité dans le système. Les pertes énergétiques importantes induites si l’on convertit l’électricité à l’hydrogène puis de nouveau à l’électricité imposera de ne recourir à cet usage qu’avec parcimonie, aux moments les plus tendus pour l’équilibre offre-demande comme les pointes de consommation hivernale.

Les usages de l’hydrogène utiles dans une logique de neutralité climat selon notre classification (raffinage, ammoniac et engrais, chimie, acier, maritime, aviation) représenteraient entre 19 TWh et 62 TWh en 2050 en suivant les estimations de RTE dans ses deux trajectoires hydrogène à 2050 pour la France (« référence » et « hydrogène + »1 ), tandis que la demande totale électrique se situerait entre 645 et 754 TWh à cette date2 . Cela souligne le caractère minoritaire du vecteur hydrogène un système énergétique neutre en émissions à terme : vital pour un nombre restreint de secteurs de « niche », mais relativement réduit en volume. 

Dans un système neutre en émissions, un hydrogène généralement plus cher que les alternatives fossiles

Dans un système neutre en émissions, l’hydrogène doit être produit de manière décarbonée, possibilité que seule l’électrolyse à partir d’électricité renouvelable ou nucléaire offre. Le reformage du gaz naturel avec ou sans capture et stockage du carbone (CCS) ne peut qu’être une solution temporaire, puisque les émissions de CO2 engendrées ne peuvent être totalement captées et qu’elle repose sur un combustible fossile, ce qui soulève des enjeux importants de viabilité économique des investissements. 

Disposer de suffisamment d’électricité renouvelable ou nucléaire pour les besoins en hydrogène dans l’industrie et les transports est un enjeu important dans un contexte d’électrification des usages (par exemple le chauffage dans les bâtiments), ce qui plaide pour une limitation de la demande en hydrogène. Outre les volumes de l’hydrogène par électrolyse, son coût est un facteur important pour le déploiement des usages. Il apparaît que même à long terme, une grande partie de l’hydrogène produit serait plus cher que les solutions fossiles alternatives, en l’absence de réglementation spécifique comme le prix du CO2. D’où l’importance de politiques de soutien pour à la fois orienter l’hydrogène vers les usages prioritaires et assurer une offre compétitive à terme. Ce soutien vise également à assurer la maîtrise par les pays de l’Union européenne des technologies de production par électrolyse et des usages qui sont pour l’instant peu développés pour limiter une dépendance future.

Importations : comment définir un hydrogène « durable » ?

Bien que la majorité des dépenses annoncées pour l’hydrogène dans l’Union européenne se concentrent sur la production domestique, il est aussi question d’importer de l’hydrogène ou des produits dérivés pour profiter de gisements moins chers ailleurs dans le monde (gaz naturel ou électricité renouvelable), par exemple au Maroc, en Namibie ou au Chili. 

Ces échanges pourraient représenter une bonne opportunité économique en théorie en raison du faible coût de production de l’électricité renouvelable dans certaines zones. Néanmoins, les conditions pratiques de mise en œuvre sont complexes et les projets d’échanges doivent répondre à des questions encore ouvertes. Quels modes de financement d’infrastructures d’hydrogène avec des pays extra-européens ? Sous quelle forme transporter l’hydrogène (gaz, liquide, carburant dérivé) ? Comment les pays producteurs peuvent-ils à la fois réduire les émissions domestiques, garantir les besoins énergétiques de leurs populations et produire de l’hydrogène « durable » pour l’exportation ? Cette dernière question peut être résolue dans le cadre de la discussion nécessaire sur les critères environnementaux d’un hydrogène « durable » dans le contexte domestique. 

Les éventuels projets d’importation d’hydrogène et dérivés vers l’UE nécessitent une coopération rapprochée entre États membres pour faire converger les approches en matière d’importations. D’abord, il est important de s’accorder sur les critères de définition d’un hydrogène « durable » à la fois dans le contexte domestique et des éventuelles importations, puis de définir les trajectoires possibles en termes de besoins en hydrogène et les potentiels échanges entre pays européens. Enfin, les États membres pourraient construire conjointement des partenariats d’importation avec des pays hors Europe en promouvant une vision de l’hydrogène ambitieuse en termes environnementaux et sociaux, compatibles avec les objectifs du Pacte vert. 
 

  • 1RTE (2021). Futurs énergétiques 2050. Le rôle de l’hydrogène et des couplages (chapitre 9).
  • 2RTE (2021). Futurs énergétiques 2050. Principaux résultats.