Les projets REDD+ s’inscrivent dans une logique de rémunération de la performance en vendant des crédits carbone, principalement sur le marché volontaire. L'étude de deux projets en République démocratique du Congo (RDC) et à Madagascar montre toutefois que cette performance peut être trop facilement artificiellement construite. Malgré l’existence de mécanismes de certification, l’intégrité environnementale de ces crédits ne peut donc être systématiquement garantie. [Le mot de la rédaction]

REDD+ constitue un processus au long cours qui a tenté de faire entrer la déforestation dans le cadre de gestion de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), à la fois pour traiter d’un enjeu important en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (pourcentage des émissions liées à la déforestation), mais aussi pour faire bénéficier le secteur forestier de l’attention politique et des outils financiers espérés de la négociation climatique, comme les marchés carbone. Si ces espérances ont été en partie déçues, notamment parce que les marchés carbone ne constituent pas une ressource financière importante, mais aussi pour les raisons exposées ci-dessous, REDD+ constitue néanmoins une expérience qu’il faut impérativement analyser, pour en tirer les leçons principales en matière d’action contre la déforestation, de transparence sur les efforts d’atténuation, et ce d’autant plus que d’autres secteurs (océans, agriculture) sont en train de mettre en place ou d’envisager des mécanismes analogues à REDD+, généralement prise comme une référence à copier plutôt que comme une expérience pilote dont les échecs doivent nous renseigner.

village_madagascar-redd+Source : S. Desbureaux - Un village au sein du projet CAZ (Madagascar)

REDD+ Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts

La réduction de la déforestation est un levier essentiel de la lutte contre le changement climatique, dans la mesure où la déforestation représente 7 à 14 % des émissions anthropiques de CO2 (Baccini et al., 2012). Ce constat est à l’origine du mécanisme REDD+ (réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) débattu dès 2005 dans le cadre des négociations internationales sur le climat, et discuté encore très récemment dans le cadre de la pré-COP22 à Bonn. Le mécanisme vise à rémunérer les pays forestiers en fonction de leur performance en matière de réduction de la déforestation. En parallèle de ce système de compensation nationale se sont développés des projets REDD+. Il en existe aujourd'hui plus de 350, à 80 % développés par des acteurs privés (principalement des ONG), qui s’inscrivent également dans une logique de rémunération de la performance.

Comment mesure-t-on la performance REDD+ ?

La performance des projets REDD+, matérialisée sous la forme de « crédits carbone », est calculée comme le différentiel de deux scénarios :

  1. un premier dit de « référence » prédisant la déforestation à venir si le projet n’intervenait pas
  2. un second estimant la déforestation avec intervention du projet.

Plus le scénario de référence est pessimiste, plus importantes seront les opportunités de réduction de la déforestation pour le projet. La tentation de surestimer la capacité du projet à infléchir la déforestation est importante afin d’augmenter les gains financiers tirés de la vente de plus de crédits. Cet effet pervers du mécanisme est ce que l’on appelle classiquement en économie une situation « d’aléa moral ». Pour tenter de réduire cet aléa moral et garantir la « qualité » des crédits REDD+, des certificateurs privés indépendants (VCS, CCBA notamment) se sont imposés dans le paysage des projets REDD+. L’obtention d’un certificat est peu à peu devenue une condition sine qua non pour espérer pouvoir vendre ses crédits dans le contexte actuel de crise du marché carbone. Cependant, deux cas d’étude à Madagascar (projet CAZ) et en RDC (projet Maï Ndombe) illustrent que la certification n’est pas forcément gage de crédibilité.

Créer virtuellement de la performance : l’exemple de deux projets REDD+

C’est au cœur de la partie montagneuse de l’est malgache que se trouve le corridor Ankeniheny-Zahamena (ou CAZ), forêt humide coincée entre les hautes terres du centre du pays et la zone côtière de l’océan Indien. Le relief accidenté rend cette zone peu habitée, assez isolée et sans infrastructures d’envergure. Le projet Maï Ndombe en RDC se trouve lui dans la région du même nom, caractérisée elle aussi par la faiblesse de ses infrastructures, son éloignement des grands centres urbains et des ports marchands. En somme, ces deux zones connaissent certes de la déforestation, mais celle-ci demeure plus faible que dans de nombreuses autres régions des deux pays.

Infographie projets REDD+Source : Seyller et al. (2016)

Pourtant, lorsqu’il s’est agi pour les porteurs de projet d’établir un scénario de référence, ce sont des taux de déforestation particulièrement élevés qui ont été choisis. Conformément aux lignes directrices des standards de certification, le scénario de référence a été obtenu par la définition d’une « zone de référence » dans laquelle la déforestation est supposée suivre une dynamique comparable à celle de la zone du projet. Or dans les deux cas, des zones à la fois plus peuplées, plus connectées au reste du pays et, pour Maï Ndombe, disposant de caractéristiques climatiques et de paysages différents, ont été choisies comme références. Dans ces zones, la déforestation y est plus importante que dans les zones des projets, comme le montrent les deux graphiques ci-dessous : deforestation infographie Source : Seyller et al. (2016) « Des scénarios réalistes ? Déforestation dans la zone du projet versus déforestation dans la zone de référence ». Avec ce choix d’un scénario de référence qui « prédit le pire », le projet CAZ peut ainsi se targuer d’avoir réduit de moitié la déforestation par rapport au scénario de référence, ceci avant même la réalisation de toute activité. Le projet CAZ promet ensuite de réduire de 80 % la déforestation ; toutefois, une autre étude montre que les interventions précédentes dans l’île ont au mieux permis de réduire la déforestation d’un plus modeste 20 %. Ces performances artificielles ont l’avantage pour les porteurs de projet de « promettre le meilleur » et ainsi de pouvoir limiter leurs actions sur le terrain pour, entre autres, éviter les conflits avec les populations riveraines tout en s’assurant malgré tout d’entrer dans leurs objectifs de réduction d’émissions.

Pourquoi la certification REDD+ n’est-elle pas systématiquement gage de qualité ?

Nous pensons qu’au moins deux raisons expliquent que les certificateurs aient validé ces projets REDD+ malgré des incohérences flagrantes.

  1. Tout d’abord, le modèle économique des certificateurs est basé sur le nombre de crédits certifiés. Ceux-ci ont donc tout intérêt à ne pas se montrer trop contraignants vis-à-vis des porteurs de projets afin de ne pas perdre de futurs clients.
     
  2. Ensuite, dans des contextes d’instabilité politique et d’États fragiles, comme dans le cas de Madagascar et de la RDC, prédire avec précision une donnée aussi complexe que la déforestation est une tâche que nous savons quasiment impossible.

Baser un système de rémunération internationale sur un principe de performance est séduisant intellectuellement. Quand la performance est difficilement mesurable et qu’il existe des conflits d’intérêts entre les acteurs, le système peut néanmoins devenir pervers et mener au développement d’une « économie virtuelle » basée sur des performances fictives. Il ne s’agit pas ici de pointer du doigt une institution ou un porteur de projet, ni de remettre en cause leurs intentions. C’est le principe d’une rémunération fondée sur des scénarios de référence par définition non vérifiables qui, lui, demeure défaillant et fragilise ainsi la crédibilité des activités menées. Une alternative consisterait à élargir la définition de la performance à d’autres indicateurs que les crédits carbone, qui refléteraient notamment les efforts réalisés par les pays forestiers pour réduire les facteurs de la déforestation (sécurisation foncière, investissements dans des transitions agricoles moins consommatrices d’espaces fonciers, amélioration du contrôle des aires protégées, etc.). Cette performance élargie pourrait constituer une bonne base de discussion pour intégrer les enjeux liés à la déforestation dans les contributions nationales soumises en amont de la COP21 (INDCs) et leur suivi, plus particulièrement pour les pays où la lutte contre la déforestation constitue un pan important de leur action climatique.

Pour plus d’information, voir Seyller, C. et al. (2016). Does Private Certification of REDD+ Projects Guarantee their Environmental Integrity?, International Forestry Review.