L’Union européenne vient d’adopter une réglementation sur le « verdissement » des batteries, notamment utilisées pour les véhicules électriques. Si la production de ces batteries en Europe est aujourd’hui très faible par rapport à d’autres régions du monde, le secteur est stratégique pour l’avenir de l’industrie européenne, tant en termes de compétition internationale que d’exigences environnementales. Quels sont les objectifs de ce « règlement batteries » et en quoi constitue-t-il une avancée potentiellement significative pour l’Europe ?

En décembre 2022, un instrument clé pour la réussite de la transition vers une mobilité décarbonée et l’atteinte des objectifs climatiques du paquet législatif « Fit for 55 » européen a pris corps au travers de la révision du « règlement batteries » dédié aux piles et accumulateurs. Les contours et ambitions de cet outil réglementaire devront désormais être mis en place concrètement au travers des actes délégués, notamment s’agissant des périmètres et méthodes standardisées de calcul de rapportage des données d’impact qui seront à fournir par les constructeurs, et des objectifs en matière de recyclabilité ou d’incorporation de matières recyclées à atteindre à partir de 2030 au titre de cette réglementation.

Ce règlement est remarquable à plus d’un titre, dépassant le cadre strict de son champ d’application (les batteries). Il pourrait même servir d’exemple pour d’autres textes à venir qui s’attacheront à réglementer d’autres produits manufacturés pour intégrer les enjeux environnementaux sur l’ensemble de leur cycle de vie. Il constitue par ailleurs un socle de production de données opposables sur lequel d’autres réglementations, systèmes fiscaux, ou de labelling pourront s’appuyer tant au niveau national qu’européen pour traiter des enjeux connexes d’efficiences matière ou énergétique. 

En quoi cette réglementation est-elle une rupture et une avancée positive ?

D’abord, elle a pour objet un produit très récent, en plein développement technologique et industriel. Un produit indispensable à la transition énergétique devant nous emmener vers la neutralité carbone, mais qui ne remplira ce rôle de manière satisfaisante que si lui-même, dans sa conception, sa fabrication, son utilisation et sa fin de vie, ne conduit pas à des situations de transfert d’impacts environnementaux, sociaux ou industriels inacceptables ou non vertueux. Le législateur et l’ensemble des parties prenantes ont, une fois n’est pas coutume, choisi d’anticiper le cadre réglementaire à un stade précoce de développement technologique et du marché, de sorte que celui-ci accompagne et guide la recherche scientifique (nouvelles chimies), les améliorations des processus de fabrication, la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la production, et les usages innovants en termes de modèles d’affaires (seconde vie, etc.) ou de cyclage des matières premières en fin de vie. Le règlement définit ainsi un cadre d’éco-conception qui procurera une visibilité sur les champs de compétition et de valeur dans l’avenir. Dans une logique qui intègre la vision d’une circularité à terme. L’exercice réglementaire n’a plus ici pour objet principal de corriger les impacts négatifs d’une activité industrielle ou d’un produit après que celui-ci se soit imposé sur le marché, mais de guider, accompagner voire sécuriser un développement dans des directions prédéterminées, en posant les jalons, contraintes et objectifs de performance par anticipation.  

Le périmètre est également une innovation réglementaire notable. Le champ des exigences couvre l’ensemble du cycle de vie depuis l’origine des matériaux et minerais incorporés (passeport batterie, répondant ainsi à un enjeu de traçabilité), l’empreinte carbone du produit en fonction de son origine de production et de la nature des matériaux utilisés, et l’intégration d’exigences de durabilité, jusqu’à l’obligation d’incorporer des matériaux recyclés dans des proportions bien définies et croissantes avec le temps, en passant par des obligations de transparence sur les possibilités de réparation et de réutilisation (partage de données de suivi digital sur l’état de santé du produit au cours de sa vie, procédure de réparation). L’exigence d’exemplarité et d’exhaustivité du périmètre a été portée conjointement (1) par la société civile qui réclamait une grande transparence sur l’origine des constituants et les conditions de fabrication, (2) par l’industrie européenne qui réclamait que sa sur-performance environnementale et sociale (du fait d’un cadre réglementaire plus exigeant) par rapport au reste du monde soit reconnue et valorisée, ou encore (3) par les décideurs publics, notamment européens, qui ont compris que la trajectoire de décarbonation qu’ils ont construite ne serait acceptée et crédible que si les externalités et conséquences sur l’ensemble du cycle de vie des technologies promues sont couvertes dans le champ de contraintes réglementaires. En d’autres termes, la plupart des parties prenantes y trouvent globalement leur compte aujourd’hui, le texte apporte un cadre et sécurise le développement de cette nouvelle industrie. Une autre caractéristique notable et assez rare est la volonté de couvrir un large spectre d’applications (ici de modes de mobilité depuis le vélo jusqu’aux véhicules commerciaux) avec des niveaux d’exigences comparables et une même logique.

Par-delà ces aspects à portée environnementale, ce nouveau règlement pose également une ambition industrielle : celle d’atteindre un système d’économie circulaire autour de la fabrication/utilisation/fin de vie des objets de mobilité électrifiés en Europe ; les objectifs d’incorporation de matière recyclée fixés présupposent ainsi que la quasi-totalité des matériaux de seconde vie générés par la filière de recyclage européenne des batteries fin de vie demeurent en Europe et soit réutilisés pour la fabrication de nouvelles batteries (conservation de la valeur technique des matériaux sans « décyclage » (recyclage de matière avec une valeur moindre), ce qui suppose le développement de nouveaux procédés innovants, performants et capacitaires de recyclage à développer au cours de la décennie à venir). En effet, consciente que l’approvisionnement matière, notamment en matériaux critiques et stratégiques (lithium, nickel, cobalt, cuivre) est un enjeu industriel majeur (le risque de pénurie ou de forte tension sur le prix d’ici à 2035 a été bien documenté par l’Agence internationale de l’énergie ou Goldman Sachs) et une condition de réussite de la transition, l’Europe installe les principes d’une économie circulaire autour de ces matériaux pour progressivement assurer son indépendance géopolitique (l’enjeu est de ne pas passer d’une dépendance structurelle aux énergie fossiles à une autre liée aux métaux stratégiques – la leçon des crises est passée par là). La question de la souveraineté et de la résilience d’une industrie européenne pionnière en matière de transition technologique sous-tend bien également l’exercice réglementaire dont il est question.

Enfin, ce règlement exporte des exigences auxquelles devront se conformer les acteurs étrangers et en particulier asiatiques, principaux fournisseurs de batteries en 2022. En ce sens, il relève pleinement d’une politique industrielle cohérente, ou défensive selon les points de vue, pour encourager l’industrie de la batterie européenne naissante. Si le passeport batterie a pour première ambition de clarifier les conditions de production et de protéger les droits sociaux/environnementaux, l’exigence de transparence et de standardisation d’un rapportage sur ces conditions et sur l’empreinte carbone ouvre un nouveau champ, en ce sens qu’il fournit un cadre qui pourra conduire à du labelling, une intégration à l’ajustement carbone aux frontières européen (aujourd’hui la batterie en est exclue) ou à des mesures plus protectionnistes d’exclusion (en réponse éventuellement à ce qui est mis en place aux États-Unis avec l’Inflation Reduction Act, IRA).

En outre, ce nouveau règlement contient aussi les bases d’autres leviers et étapes réglementaires également nécessaires à la réussite de la transition. En effet, le succès de la transition vers l’électrification des véhicules passe par une frugalité et efficience accrues de ces derniers (en taille, en masse) pour véritablement s’attaquer aux conditions d’accessibilité économique et de soutenabilité en termes de ressources. Or ce règlement, par l’exigence de rapportage sur la taille et l’empreinte carbone des batteries, peut constituer un excellent point de départ et un cadre de données opposables pour une réglementation sur l’efficience énergétique des véhicules, sur laquelle la Commission se prononcera en 2023. L’Iddri fera prochainement des propositions en ce sens.