La nécessaire électrification du parc automobile dans une perspective de transition écologique doit s’accompagner d’un infléchissement fort vers plus de sobriété et d’efficience ressources pour être cohérente et acceptable en termes de risques sociaux, industriels et environnementaux. Pour les métaux critiques notamment, il est important que les instruments réglementaires ou fiscaux traduisent clairement ce besoin de frugalité, à la fois dans les comportements et dans l’offre des constructeurs. Dans ce contexte, l’Institut Mobilités en Transition s’est associé à une étude française engagée par le WWF visant à identifier les leviers pour limiter la pression sur les matériaux critiques en France et quantifier leurs impacts. Cette étude démontre que des marges de manœuvres importantes existent. Les outils de politiques publiques doivent évoluer dans le sens d’une intégration plus forte de ces enjeux centraux pour la réussite de la transition. 

Tensions entre offre et demande

La nécessaire électrification des véhicules particuliers est désormais largement admise1 , et les étapes de cette transition sont inscrites dans le cadre règlementaire européen. Il convient dorénavant d’établir les modalités d’une électrification efficiente en ressources et en énergie, pour garantir l’accessibilité au plus grand nombre, et sortir de la dépendance aux carburants fossiles les populations tributaires de leur véhicule. Seule cette voie permettra d’atteindre le rythme d’électrification du parc requis2 pour atteindre les objectifs de décarbonation. 

L'enjeu des besoins en matières premières liés à cette électrification apparaît dès lors comme relativement structurant à plusieurs titres. Certains de ces matériaux, notamment le lithium, le cuivre, le cobalt, ou le nickel, sont qualifiés de critiques en ce sens que les besoins d'approvisionnement vont exploser pour la fabrication des batteries, alors qu'aujourd'hui les capacités d'extraction minière et de raffinage sont limitées et concentrées dans certains pays. Les tensions entre une demande qui va croître rapidement et une offre contrainte dans sa croissance par les conditions de mise en œuvre de nouvelles sources ou capacités d'approvisionnement et de traitement conduisent à une volatilité des prix susceptible de peser fortement sur l'accessibilité des véhicules électriques. Et entraînent par ailleurs des situations de dépendance géopolitique, ou stratégique, qui rendent la période de transition potentiellement à risque, notamment pour l’Europe. 

Si le recyclage des batteries permettra de répondre aux enjeux de souveraineté et d’impact environnemental lorsque le parc sera largement électrifié, la période de transition devrait prendre plus d’une décennie. D’ici là, ce constat impose d’être le plus frugal possible et de mettre en œuvre les outils d’une maîtrise des besoins et de la demande de batteries et de matériaux qui les composent.

Une analyse prospective : vers un scénario soutenable

L'IMT s'est associé à l'étude commanditée par le WWF (réalisée par le cabinet EY et à laquelle ont été associés l'Ademe, le Bureau de recherches géologiques et minières et le CNRS) pour quantifier ces enjeux à l'échelle du marché français et mesurer les impacts et bénéfices potentiels. L’étude s’appuie sur la comparaison d’un scénario tendanciel, marqué notamment par la poursuite de l'inflation de la taille des véhicules observée ces dernières années et un faible recours à des solutions alternatives au véhicule individuel, et un scénario plus soutenable, dans lequel tous les leviers de politiques publiques seraient activés dans le but d'infléchir l'offre constructeur, les ventes, ou les comportements d'usage vers des solutions plus sobres et plus frugales. 

L’intérêt du travail réalisé réside dans une simulation fine et concrète des différents paramètres de mobilité permettant d’esquisser le futur de la demande en matériaux liée à l’électrification des véhicules particuliers en France. Avec l’aide de son partenaire technique C-Ways, l’IMT a contribué à cette étude en apportant des éléments d’analyse et en proposant des scénarios d’évolution de ces facteurs qui influencent la demande. La première étape a consisté à reconstituer l’inventaire des tendances en matière de mobilité au cours des années passées en France, en fonction des parts modales et par typologies de déplacement (courte distance/longue distance, zones urbaines/zones rurales). Les mutations assez fortes observées ces dernières années, à savoir le recours au télétravail, le développement de la part modale des moyens légers de locomotion (vélo, vélo à assistance électrique, trottinettes, quadricycles), ont été analysées. Des analyses économétriques permettent par ailleurs d'établir des élasticités prix sur l’évolution des kilométrages réalisés. Cette vision des dynamiques actuelles a permis de construire trois scénarios d’évolution des besoins en mobilité aux horizons 2025, 2030, et 2035. Fort de ce point de départ, une seconde étape de l’analyse a consisté à retranscrire l’impact de cette demande de mobilité sur le système de transport et notamment sur l’évolution du marché des véhicules neufs. Certaines performances notables déjà établies dans d'autres pays ont été considérées comme des cibles atteignables pour l’horizon français que ce soit en termes de report modal (citons par exemple la part modale du vélo en Allemagne 4 fois plus élevée qu’en France) ou encore en termes de taille des véhicules (plus petits sur certains marchés européens ou internationaux). Enfin, les politiques publiques déjà engagées ont été considérées dans ce travail, à l’image de l’impact (déjà mesurable) du plan covoiturage ou des ambitions du plan ferroviaire. 

La principale conclusion du travail réalisé permet d’affirmer qu’un scénario plus soutenable de transition, au sens plus sobre en besoin de mobilité automobile, et s'appuyant sur une offre en véhicules plus performants du point de vue de l'efficience ressource (taille, forme, autonomie), permettrait de modérer la demande en batteries de 26 % à l’horizon 2035 par rapport à un scénario tendanciel. Il faut souligner que ce scénario plus soutenable ne remet pas en question l’offre de mobilité générale, au regard des besoins et tendances déjà engagées ou observées dans des pays où les situations sont déjà plus favorables. Ce travail doit permettre aux décideurs publics de mesurer l'intérêt et l'impact que peut apporter une politique plus volontariste en matière de fiscalité automobile (à l'achat ou à l'usage) et d'offres d'alternatives. De même, cette étude invite à une réflexion sur les conditions de succès de la transition vers l'électrique et de désensibilisation géostratégique sur la question des matériaux critiques.