Les partenariats pour une transition énergétique juste (Just Energy Transition Partnerships, JETP) se définissent comme une forme de coopération internationale dans laquelle un groupe de donateurs apporte des ressources financières1 en contrepartie de la réalisation d’un objectif précis d’un indicateur clé du système énergétique du pays en développement bénéficiaire. Quatre accords de ce type ont été signés depuis la COP 26 (avec l’Afrique du Sud, l’Indonésie, le Viet Nam et le Sénégal). Cette approche est considérée comme l’innovation récente la plus marquante dans les discussions internationales visant à soutenir l’ambition climatique et sa mise en œuvre. Les leçons tirées de l’expérience des JETP, deux ans après leur lancement et en tenant compte de la diversité des contextes des quatre pays, peuvent être utiles pour les accords futurs. Ce diagnostic peut aussi fournir des enseignements pour la définition d'approches novatrices en matière de coopération internationale, indispensables au Bilan mondial en cours de discussion à la COP 28. Sur la base des résultats de l’initiative « Deep Decarbonization Pathways » et des perspectives régionales en Amérique latine et dans les Caraïbes ainsi qu’en Afrique, nous constatons notamment que la coopération internationale fonctionne mieux si elle adopte une approche fondée sur les besoins, axée sur les secteurs, orientée vers les solutions et prospective

  • 1 Mobilisation de 8,5 milliards de dollars pour l’Afrique du Sud, 20 milliards de dollars pour l’Indonésie, 15,5 milliards de dollars pour le Viet Nam et 2,5 milliards de dollars pour le Sénégal.

La plupart des accords JETP en sont au stade initial et nous sommes trop loin de leur conclusion pour être en mesure d’évaluer correctement leur impact. Ils rencontrent tous des difficultés tout en apportant des bénéfices. Indépendamment du bilan final de chaque accord, on peut déjà reconnaître que l’approche JETP représente un pas dans la direction de ce que la mise en œuvre de l’Accord de Paris devrait faire : inciter les acteurs de tous bords à l’action, au soutien et à la collaboration sur la base de cibles et de trajectoires communes que les pays définissent et révisent régulièrement à l’issue de l’évaluation collective des progrès, des lacunes et des opportunités. À ce titre, les JETP offrent une bonne grille d’analyse de la coopération internationale et permettent d’identifier des critères concrets qui la rendent adaptée à l’objectif visé. 

Favoriser une perspective nationale

Les JETP sont des accords spécifiques à chaque pays, ce qui garantit leur adaptation à chaque contexte. Mais cela ne suffit pas à garantir que ces accords soient réellement impulsés par le pays, ce qui relève d’une question d’appropriation nationale, un aspect sur lequel les bilans des différents projets ont été très hétérogènes.

Le JETP sud-africain est considéré comme un bon exemple d’appropriation nationale, et a été qualifié de résolument piloté – et contesté – au niveau national. Le Sénégal a également montré que les pays africains n’étaient pas des bénéficiaires passifs du financement climatique : leur contribution aux négociations est passée par un processus qui a rassemblé un large éventail de parties prenantes locales – avec des représentants du gouvernement, de la recherche, de la société civile et du secteur privé – qui ont travaillé sur une vision réaliste pour leur pays. Ce groupe de parties prenantes est parvenu à un consensus sur la proportion des énergies renouvelables dans le bouquet électrique d’ici à 2030, considérée comme ambitieuse et réalisable avec le soutien de la communauté internationale, et qui constitue aujourd’hui l’engagement officiel du JETP. Le processus indonésien s’est heurté à des difficultés liées à la multiplicité des visions de la transformation du système énergétique, aggravées par le fait que le secrétariat du JETP, chargé de l’élaboration du plan d’investissement du JETP, est constitué de groupes de travail dirigés par des agences internationales. En conséquence, les engagements qui en résultent ne suivent pas les stratégies nationales issues des consultations des parties prenantes, ce qui crée une confusion parmi les acteurs nationaux et conduit à une appropriation nationale limitée.

Dans tous les pays, les parties prenantes nationales ont demandé que les problèmes soient clairement définis et que les principaux objectifs de ces partenariats soient associés au développement d'une nation prospère et résiliente. Des inquiétudes ont été exprimées en permanence au sein des pays en ce qui concerne leur décalage par rapport aux objectifs et priorités de développement national. Le JETP doit s’adresser aux parties prenantes nationales, car la coopération se heurte parfois à une vision plus étroite du climat et de l’énergie promue par les pays contributeurs, comme on l’a vu par exemple dans le contexte africain. Le JETP sénégalais a pris en compte l’accès universel à l’énergie, même s’il n’a pas inclus d’objectif spécifique. Le cadre « juste » des accords a été symboliquement important, mais son impact sur la garantie de transitions justes dans la pratique a été très critiqué, à la fois par la société civile et dans les couloirs de négociation des pays. Dans le cadre de son plan d’investissement du JETP, l’Indonésie a introduit un « cadre de transition juste » au niveau des projets, qui prévoit notamment un engagement solide des parties prenantes. L’Afrique du Sud a élaboré un « cadre de transition juste » pour répondre au besoin d’une planification nationale globale pour une société décarbonée et résiliente et a demandé au JETP de s’inscrire dans le cadre existant. Dans l’ensemble, les pays ont ressenti le besoin d’organiser des consultations approfondies avec les parties prenantes pour s’assurer de la prise en compte des priorités de développement du pays, ce qui indique que ces priorités ne figurent pas nécessairement dans la conception initiale de l’accord politique ou ne sont pas ancrées dans les visions déjà établies du pays. En outre, au-delà des frontières nationales, en tant que mécanisme de coopération internationale, les JETP sont également censés contribuer au développement durable et à la mise en œuvre de l’équité, réduisant ainsi les inégalités entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci.

Renforcer les capacités nationales

Il ressort de l’expérience des JETP que les capacités nationales sont une condition préalable à l’adoption d’une approche de la coopération internationale fondée sur les besoins et prospective, qui donne lieu à de véritables partenariats. Ces capacités permettent aux acteurs nationaux d’élaborer des visions et des feuilles de route détaillées et de construire un débat sociétal solide qui légitime la prise de décision. Elles permettent également aux pays d’être représentés et de participer activement aux forums pertinents où sont élaborées les solutions internationales.

Les JETP ont montré que les capacités disponibles dans le pays au début de ces processus font une énorme différence. Toutefois, la principale leçon à tirer est que le processus lui-même devient une contribution majeure au renforcement des capacités, indépendamment du point de départ. Le partenariat a apporté un soutien, des outils et du temps qui ont permis aux pays qui ne l’avaient pas encore fait de créer un plan de transformation énergétique à long terme sur plusieurs décennies et, pour les autres, de mieux comprendre les actions nécessaires à court terme. De même, passer du financement de projets au financement de changements systémiques a incité les pays contributeurs à réfléchir à leurs processus et procédures en place et à développer de nouvelles capacités.

Ces capacités concernent en grande partie le fait de sceller l’accord, mais les JETP doivent être mis en œuvre, c’est-à-dire convertis en activités dotées de ressources sur le terrain. Les capacités nationales sont indispensables à toute transformation (Sokona, 2021) et les JETP ne font pas exception. La traduction de l’accord politique du JETP en plans d’investissement en Afrique du Sud et en Indonésie, et du plan d’investissement en plan de mise en œuvre pour cette dernière, a nécessité une solide capacité institutionnelle pour assurer en permanence la cohérence des politiques dans le cadre d’une approche pangouvernementale, traiter les questions d’économie politique des pays et assurer la masse critique de soutien nécessaire à la mise en œuvre. Des structures de gouvernance solides au niveau national ont été essentielles, à l'instar de la Commission présidentielle sud-africaine sur le climat. Elles permettent de répondre aux contraintes sérieuses auxquelles sont confrontés les pays en développement pour piloter le changement grâce à une gestion publique efficace.

Accompagner les transformations des systèmes 

Se doter d’une vision prospective holistique garantissant des transformations systémiques pour atteindre simultanément les objectifs en matière de climat et de développement et, à partir de là, éclairer la manière dont la transition énergétique complexe peut être soutenue, est une tâche ardue. Heureusement, il existe au moins un instrument que la plupart des pays ont mis en œuvre : les stratégies à long terme de développement à faibles émissions (LT-LEDS). S’il suit les normes de bonnes pratiques, il a été démontré que le processus de formulation de ces stratégies facilite une compréhension plus globale et systémique des décisions qui doivent être prises pour déclencher les processus de transition climatique et l’adhésion des parties prenantes.

Toutefois, le lien entre les stratégies à long terme de développement et les programmes JETP est flou. Parmi les quatre accords politiques du JETP, seul l’accord sénégalais établit explicitement un lien entre les deux. L’Afrique du Sud a déterminé les besoins d’investissement en se basant sur les trajectoires sur lesquelles reposent les engagements officiels, l’Indonésie a construit son JETP à partir de scénarios ne représentant pas nécessairement les fondements de sa stratégie à long terme et le Viêt Nam n’a pas mis en place de stratégie à long terme. Ce décalage crée un risque que les investissements décidés dans le cadre du JETP déclenchent des changements marginaux et non pas les transformations holistiques et structurelles nécessaires. À titre d’exemple, un lien plus clair entre l’accord JETP et la stratégie LT-LEDS existante en Indonésie pourrait aider à déterminer si la mise hors service anticipée des centrales électriques au charbon est la meilleure voie vers une énergie sûre et entièrement décarbonée pour les utilisateurs finaux.

Reconnaître le besoin d’approches sectorielles axées sur les solutions

Les JETP ont été critiqués pour leur portée inutilement étroite : par exemple, lorsque les acteurs indonésiens espéraient soutenir les sources géothermiques, ou l’innovation locale, le développement de la chaîne de valeur et l’industrialisation ont été relégués au second plan. Toutefois, ils représentent un pas en avant intéressant dans la direction des approches sectorielles, qui sont nécessaires pour ajuster au mieux les solutions à des systèmes spécifiques et à leurs communautés associées. Les JETP ont également représenté une avancée considérable dans la recherche de solutions en abordant des transitions complexes dans les économies dépendantes des combustibles fossiles et en les traduisant en grande partie en investissements rentables permettant de mobiliser le financement du secteur privé. Il y a des limites à cela, c’est pourquoi l’accompagnement d’un financement public concessionnel est nécessaire pour catalyser une plus grande échelle d’investissements, qui viendront probablement du secteur privé, afin de répondre aux besoins de financement ne pouvant pas générer de bénéfices monétaires.

Qu’attendre de la COP 28 ?

La COP 28 doit être un tournant pour le paradigme de la coopération internationale et la CCNUCC a un rôle central à jouer pour initier et organiser cette évolution dans le contexte du Bilan mondial. Cette innovation étant nécessaire de toute urgence pour soutenir l’action actuelle et les révisions à venir des contributions déterminées au niveau national, les leçons des JETP peuvent accélérer la réflexion sur les considérations pratiques d’un tel changement de paradigme. Il est possible d’intégrer ces enseignements dans les options suivantes, qui pourraient être envisagées dans la décision de la COP 28 sur le Bilan mondial pour renforcer la coopération internationale :

  • proposer des orientations concrètes en matière de renforcement de la coopération internationale ;
  • justifier la priorité accordée au renforcement des capacités nationales en tant que condition indispensable à la mise en place d’un écosystème coopératif efficace ;
  • établir des passerelles avec les processus existants et les acteurs qui coopèrent en dehors de la CCNUCC ;
  • renforcer la transparence et la redevabilité des efforts de coopération liés au climat ;
  • expliciter les opportunités et les obstacles attendus pour renforcer la justice et l’équité du système financier international et pour modifier de manière significative le volume de financement fourni aux pays en développement, notamment par la réforme en cours des banques multilatérales de développement ;
  • encourager et faciliter la reproduction des accords de type JETP, en réunissant les acteurs qui peuvent avoir la capacité de déployer ce mécanisme d’une manière agile et responsable.

La CCNUCC est en mesure de lutter contre une coopération internationale inadaptée, sans pour autant être le lieu où se déroulent tous les processus de coopération. Les JETP sont nés à la périphérie de la COP, mais constituent néanmoins une source extraordinaire d’apprentissage dont la COP 28 a besoin. Utilisons-les.