Avec la création du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) en juillet 2022, placé directement auprès de la Première ministre, le gouvernement français a voulu marquer son attachement à un pilotage plus coordonné et transversal de l’action publique en matière de transition écologique, afin d’en faire la « politique des politiques »1 . Alors que débute une année 2023 particulièrement dense sur le volet des politiques de transition bas-carbone, ce billet de blog invite à une prise de recul sur les enjeux de coordination et de rationalisation des différents processus de gouvernance climat, autour de 5 constats et enjeux clés. 

1. 2023, une année intense en matière de planification de la transition bas-carbone

Premier constat, l’année 2023 se caractérisera par une effervescence certaine en matière de processus de planification des politiques climatiques. Six processus d’élaboration de plans ou feuilles de route « climat » se chevauchent dès à présent à l’échelle nationale : 

En premier lieu, autour de l’élaboration de la future stratégie française énergie-climat (SFEC), initiée dès octobre 2021, qui intègre 4 outils clés pour la gouvernance climat : 

  1. la 3e stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui intégrera notamment les budgets carbone sur les 3 périodes de 5 ans entre 2024 et 2038 ; 
  2. la 3e programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), portant sur la période 2024-2033 ;
  3. le 3e plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), couvrant la période 2023-2027 ; 
  4. et la nouvelle loi de programmation énergie-climat (LPEC), créée par la loi climat-énergie de 2019, qui devra être renouvelée tous les 5 ans.

    Ensuite, en considérant deux autres processus initiés en parallèle, à savoir : 
     
  5. l’élaboration des feuilles de routes sectorielles de décarbonation prévues par l’article 301 de la loi climat et résilience de 2021 et dont les résultats sont attendus début 2023 (voir section ci-dessous) ;
  6. les travaux lancés plus récemment dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR), avec notamment une entrée thématique « climat et biodiversité » et une autre sur le logement, qui accorde une large place aux enjeux de transition écologique.

Notons au passage la tenue du débat national sur un nouveau programme de réacteurs nucléaires, organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) entre octobre 2022 et février 2023, ainsi que la « grande concertation nationale » sur le mix énergétique lancée depuis octobre 2022, comprenant une consultation en ligne, des réunions en région et un forum des jeunesses.
 
Il est également utile de rappeler l’existence des plans d’action « climat » des différents ministères, qui devront être révisés prochainement, même si les échéances ne sont pas tout à fait claires, à en croire l’avis du Haut Conseil pour le climat (HCC) sur le sujet.
 
Enfin, on peut citer l’important travail engagé par le SGPE en matière de définition de visions stratégiques, de coordination interministérielle et de suivi sur une diversité de chantiers et thématiques, en articulation avec les processus cités ci-dessus (cf section 4).  

2. Un besoin de clarifier la valeur ajoutée des différents outils 

Deuxième constat : il est parfois difficile de distinguer le cahier des charges et la valeur ajoutée spécifique de chacun de ces processus de gouvernance climat actuellement à l’œuvre. En effet, la multiplication des différents processus stratégiques crée des besoins de coordination d’autant plus forts qu’ils sont aujourd’hui réalisés en parallèle, le plus souvent avec des délais très ambitieux, et en mobilisant les mêmes acteurs, engendrant un risque non négligeable de sur-sollicitation et d’essoufflement.2

Un premier exemple concerne la loi de programmation énergie-climat, qui présente tout d’abord un timing extrêmement ambitieux (adoption prévue avant le 1er juillet 2023 selon le Code de l’énergie), ainsi qu’une articulation complexe avec la révision de la SNBC et de la PPE, qui constituent à la fois un « input » (le débat se fait sur la base des trajectoires « provisoires » de la SNBC) et un résultat en aval (les SNBC et PPE définitives, tout comme le scénario de référence sous-jacent, devront être compatibles avec les objectifs et orientations de la LPEC). 

Les feuilles de route « décarbonation » selon l’article 301 (FDR) illustrent également ces enjeux d’articulation. Lancée au départ dans le cadre de France Relance pour les grandes filières industrielles (chimie, ciment, acier, etc.), l’initiative visait à matérialiser à un niveau de granularité plus fin et opérationnel les orientations de la SNBC pour les acteurs professionnels des chaînes de valeur industrielles. La loi climat et résilience de 2021 a conduit à élargir la focale pour reproduire l’approche à l’échelle des autres secteurs, que sont le bâtiment, l’agriculture, les transports, et les déchets.

Dans ce contexte, la valeur ajoutée des feuilles de route décarbonation dépendra notamment de deux conditions : 

  • réussir à en faire un support opérationnel de transformation à l’échelle des filières et chaînes de valeur, intégrant des engagements concrets et chiffrés de la part des acteurs professionnels et de l’État ;
  • ne pas se limiter à un exercice unique, en transformant ces feuilles de route en processus itératif et un espace de dialogue permanent avec les acteurs professionnels des filières considérées. 

3. La LPEC, objet législatif non identifié ? 

Troisième constat : le cadrage de la future loi de programmation énergie-climat doit être précisé afin d’en faire un outil efficace. Le seul cadrage de cette future LPEC, inscrit à l’article L. 100-1 A du Code de l’énergie, reprend ainsi celui des anciens décrets d’application de la SNBC et de la PPE : préciser les budgets carbone et les principaux objectifs énergétiques. Mais, considérant la productivité des parlementaires lors des trois précédentes lois sur l’énergie et le climat (2015, 2019, 2021)3 ainsi que le contexte de crise énergétique, on peut anticiper que cette loi ira bien au-delà d’une simple actualisation des objectifs nationaux pour 2030 et au-delà, par ailleurs en grande partie déjà imposés aux parlementaires par le renforcement des politiques et objectifs européens dans le cadre du plan REPowerEU et du paquet Fit for 55

Afin d’éviter le risque d’une loi « fourre-tout », il semble ainsi primordial de clarifier le « cahier des charges » pour cette future LPEC au travers d’un exercice collectif et transpartisan4 . Non seulement pour en garantir la cohérence, mais également pour lui donner une chance de succès parlementaire considérant à la fois le caractère polarisant des sujets énergétiques et la configuration de l’Assemblée nationale, sans majorité claire.

4. Trop de pilotes, pas assez d’avions : quel rôle pour le SGPE au sein d’un écosystème institutionnel déjà très dense ?

Quatrième constat : la multiplication des plans, feuilles de route et stratégies élaborés au titre des politiques énergie-climat trouve son écho dans la diversification des institutions qui s’y rattachent, posant un défi ardu pour le positionnement du SGPE. Au-delà de l’exécutif (et de la répartition pas toujours claire des attributions entre ministères5 ) pour lequel le SGPE doit jouer un rôle de coordination et d’arbitrage, et des parlementaires, on trouve, entre autres, des organes consultatifs produisant des avis comme le Conseil économique social et environnemental6 , le Conseil national de la transition écologique, le Conseil supérieur de l’énergie, ou de l’expertise comme le HCC ou France Stratégie, ainsi que des agences publiques plus opérationnelles, comme la Commission de régulation de l’énergie ou l’Ademe. 

Cette prolifération institutionnelle impose une discipline sans précédent dans la clarification des attributions et la coordination des tâches entre acteurs. 

Accueillie très favorablement par la majorité des observateurs, la création du SGPE soulève ainsi plusieurs enjeux à cet égard. Tout d’abord en ce qui concerne la posture de l’institution, quant aux multiples attributions listées dans le décret du 7 juillet 2022

  • la coordination de l’élaboration des stratégies nationales ;
  • la mise en œuvre et déclinaison en plans d’actions ministériels des stratégies ainsi élaborées ;
  • l’évaluation des politiques menées, et la publication d’indicateurs associés ;
  • la validation de la cohérence des politiques menées avec les stratégies nationales ;
  • l’élaboration des réponses du gouvernement au Haut Conseil pour le climat.

Outre le risque d’interférences entre ces différentes fonctions de stratège, exécutant, partie et juge de l’action publique, cette posture « omniprésente » du SGPE pose d’importants enjeux de coordination avec les autres acteurs impliqués historiquement dans chacune de ces tâches : quelle articulation entre le SGPE et les différents ministères responsables de l’élaboration des stratégies nationales transversales et sectorielles ? Le SGPE arrivera-t-il à se limiter à un exercice de coordination, valorisant l’expertise de tous les acteurs de la chaîne ? Pourra-t-il, à l’inverse, une fois les grandes options politiques explicitées et structurées sur chacun des chantiers les plus difficiles, clarifier les arbitrages rendus par l’exécutif ? A quelles échelles peuvent et doivent se passer les négociations politiques permettant de rendre de tels arbitrages ?7

Autre enjeu de taille : l’adéquation entre les ressources (humaines) et les attributions de la structure : 5 missions, 6 thématiques, 22 chantiers, complexes et transversaux et regroupant une multitude de sujets, avec une équipe limitée à une vingtaine de personnes.  

Compte tenu de ces contraintes, l’efficacité du SGPE dépendra en grande partie de sa capacité à s’insérer utilement dans les écosystèmes institutionnels existants plutôt que de s’y superposer. Trois suggestions peuvent être formulées à cet égard.

  • L’une des principales valeurs ajoutées du SGPE résidera dans sa capacité à faciliter des arbitrages politiques interministériels sur les objectifs et les enjeux de transition, puis d’œuvrer en faveur de la coordination interministérielle sur des décisions opérationnelles et le suivi de ces décisions pour faire en sorte que les orientations stratégiques en matière de transition écologique soient mieux reflétées et mises en pratique au sein de chaque ministère.
  • Pour être efficace, l’action du SGPE devrait directement partir de l’identification d’un ou plusieurs blocages clés identifiés sur chaque « chantier », afin de les lever au plus vite, grâce à l’action interministérielle. En effet, le SGPE n’aura pas les ressources nécessaires pour traiter « de fond en comble » chacun des 22 chantiers et un traitement exhaustif serait de toute façon redondant avec les diagnostics et feuilles de route stratégiques existants.
  • Afin d’être pleinement efficace dans son rôle de coordination, l’action du SGPE devrait partir d’une analyse réflexive des cadres de gouvernance préexistants de la transition écologique en France, plutôt que de se risquer à ajouter des exercices de planification sectoriels ; il serait opportun dans un premier temps de présenter un plan de rationalisation, de hiérarchisation et donc de réorganisation des outils existants. 

5. Rationaliser l’évaluation et le suivi des stratégies et politiques : clé de voûte d’une planification efficace ? 

Cinquième constat : pour permettre un suivi et une évaluation efficaces des politiques de transition écologique, il faut privilégier la qualité plutôt que la quantité des processus et rapports. Cela suppose tout d’abord de déjouer le réflexe consistant à ajouter toujours plus de rapports d’évaluation à chaque nouvelle loi ou plan stratégique sur la transition bas-carbone : si le souci de redevabilité et d’évaluation est louable, la prolifération des rapports nuit à la transparence de l’action publique. Détenant probablement le record en la matière, la loi Climat et Résilience de 2021 exige la réalisation de 50 (!) nouveaux rapports par le gouvernement8 . Ces rapports d’évaluation et feuilles de route portent souvent sur les mêmes sujets, comme en atteste l’impressionnante liste de rapports et plans concernant la rénovation énergétique, recensés dans un récent rapport de l’Iddri (encadré page 38). 

L’action du SGPE en matière d’évaluation et de suivi pourrait ainsi utilement commencer par une cartographie de l’ensemble des rapports d’évaluation, plans et feuilles de route stratégiques exigés par la réglementation actuelle, afin de clarifier leur valeur ajoutée, leur articulation et le cahier des charges spécifique associé à chacun d’entre eux9 . Sans oublier la clarification des responsabilités entre acteurs, sachant que le ministère de la Transition écologique, le HCC (et le SGPE également à l’avenir) devront élaborer des rapports d’évaluation de l’action climatique en amont de la révision de la SNBC et de la PPE. 

Le même esprit de rationalisation pourrait également s’avérer utile en ce qui concerne les tableaux de bord d’indicateurs de suivi, en s’inspirant des recommandations méthodologiques publiées par l’Iddri. En particulier, l’identification des blocages clés (cf. recommandation ci-dessus) doit permettre de donner à voir en priorité des indicateurs de déblocage de ces défis centraux, pour pouvoir répondre à la question : la transition est-elle enclenchée, ou bien est-elle encore bloquée ? La comparaison entre les premiers rapports de suivi de la SNBC et l’actuel portail des indicateurs témoigne de progrès notables. Mais beaucoup reste à faire pour qu’il devienne un tableau de bord interactif avec une architecture claire et intuitive, et différents niveaux d’analyse, afin de répondre aux besoins des différents utilisateurs (décideurs, parties prenantes, journalistes, experts et techniciens). 

Sur ce sujet précis, il semble plus que jamais indispensable que tous les organismes et institutions10 élaborant des indicateurs ou des tableaux de bord travaillent main dans la main pour créer un outil unique et bien structuré, capable de répondre à l’ensemble des besoins, plutôt qu’à multiplier des outils individuels. 

Conclusion : appliquer la sobriété à la gouvernance climat pour faire mieux avec moins

Si elle est devenue une source de complexité au fil du temps, l’extraordinaire diversification des institutions, processus et outils de la gouvernance française des politiques climatiques témoigne avant tout de la volonté affichée d’ancrer les questions de transition écologique de façon transversale dans les politiques publiques. En ce sens, il ne s’agit certainement pas de « jeter le bébé avec l’eau du bain », afin de tout reconstruire, mais de s’autoriser une prise de recul critique pour améliorer l’existant. Et c’est bien l’un des défis sur lesquels le SGPE pourrait faire la différence, en se plaçant au-dessus de la mêlée pour revoir et rendre plus efficace l’architecture d’ensemble, et jouer à la fois son rôle d’arbitrage et de redevabilité politique au plus haut niveau. Et à l’heure du retour en grâce de la sobriété, c’est le principe de rationalisation qui devrait prévaloir au renforcement de la gouvernance climat : préparer l’avenir, en faisant mieux, avec moins. 
 

  • 2 L’un des exemples les plus illustratifs de cette démultiplication concerne le secteur des bâtiments, pour lequel on peut citer le groupe de travail dans le cadre de la révision de la SNBC, la feuille de route article 301 (finalisée en janvier 2023), les travaux engagés dans le cadre du Conseil national pour la refondation (décembre 2022-mars 2023) et le lancement récent d’une « commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments » au Sénat. http://www.senat.fr/commission/enquete/2023_renovation_energetique.html
  • 3 À titre d’illustration, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 compte 98 pages au Journal officiel pour 215 articles, la loi énergie-climat de 2019 34 pages pour 69 articles, et la loi climat-résilience de 2021 126 pages et 305 articles.
  • 4 On peut d’ailleurs noter que rien ne précise à ce stade si l’initiative de cette loi revient aux parlementaires ou à l’exécutif. S’agissant d’une loi de programmation, il serait assez logique que l’exécutif cadre ce texte. Or, l’existence même de cette LPEC est due aux parlementaires qui souhaitaient justement renforcer leur influence sur la définition de la stratégie énergie-climat, qui leur échappait largement depuis la loi TECV de 2015.
  • 5 À titre d’exemple, les politiques de rénovation énergétique sont actuellement traitées en parallèle (ou à tour de rôle) par le ministre du Logement (Olivier Klein), le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (Christophe Béchu) et la ministre de la Transition énergétique (Agnès Pannier-Runacher), avec une implication de plus en plus marquée des services de la Première ministre et du SGPE.
  • 6 CESE qui a par ailleurs produit un avis récent sur la SFEC et la gouvernance de la transition écologique (juin 2022). https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2022/2022_10_gouvernance_transition.pdf
  • 7 Sur ce point, voir notamment la note de Pascal Canfin et Thierry Pech : Gouverner la transition écologique (2021, Terra Nova) https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/gouverner-la-transition-ecologique/
  • 8 Contre seulement 5 rapports d’évaluation dans la loi énergie-climat de 2019, et 26 pour la loi transition énergétique de 2015. Listes disponibles sur demande ou en opérant une recherche dans les textes : https://www.legifrance.gouv.fr/
  • 9 On peut noter, avec une pointe d’ironie, que le récent avis du CESE, qui porte justement sur la gouvernance de la transition écologique, comporte une recommandation visant à exiger du gouvernement un « tableau de bord » d’indicateurs ainsi qu’un rapport d’évaluation, sans citer tous les éléments existants par ailleurs (page 10). https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2022/2022_10_gouvernance_transition.pdf
  • 10 On peut citer à titre d’illustration la Direction générale pour l’énergie et le climat (DGEC) du ministère de la Transition écologique, le Service des données et études statistiques (SDES), l’INSEE, le Haut Conseil pour le climat, le Commissariat général au développement durable (CGDD) et le SGPE.