L’avenir de la gestion de la biodiversité, qui devrait fin 2020 lors de la COP15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) en Chine prendre la forme d’un cadre mondial post-2020 puis se décliner aux échelles régionale et nationale, se prépare activement en 2019. Plusieurs événements importants, de nature diplomatique, scientifique et (géo)politique, jalonnent en effet le calendrier de l’année, et vont contribuer à modeler les différentes réponses à la question essentielle qui structure les différents débats : quels engagements prendre et, surtout, comment renforcer l’action en faveur de la biodiversité ? Dans le cadre de son projet de relier l’érosion de la biodiversité à ses causes, et de faire en sorte que soient débattues et mises en œuvre les transformations socioéconomiques requises, l’Iddri participera, au cours de l’année 2019, à ces événements (négociations internationales, avancées scientifiques, politiques domestiques) et travaillera à accroître leur impact en termes de politiques publiques.

L’ouverture des négociations sur le cadre post-2020 pour la biodiversité

L’année 2019 est une année cruciale de préparation et de mobilisation pour le « cadre mondial post-2020 pour la biodiversité », nom actuel de ce qui viendra remplacer le Plan stratégique 2011-2020 et ses Objectifs d’Aichi, adoptés en 2010 à Nagoya (Japon). Depuis le mois de janvier, une série de « consultations régionales » s’organisent aux quatre coins du monde : Asie-Pacifique fin janvier à Nagoya, Europe occidentale fin mars à Bonn (Allemagne), Afrique à Addis-Abeba (Éthiopie) début avril, Europe centrale et orientale mi-avril à Belgrade (Serbie), Amérique latine et Caraïbes mi-mai à Montevideo (Uruguay). Pendant ces réunions, les représentants des différents États de chaque région identifieront à la fois les acquis principaux des cadres de gouvernance actuels qu’il faudrait maintenir et les voies d’innovation possibles pour l’après-2020. En juillet, la conférence de Trondheim (Norvège), qui réunira experts et décideurs, sera l’antichambre informelle et nourrira les négociations officielles de ses analyses et propositions. S’ouvrira ensuite un chapitre de négociations à proprement parler. La première réunion du groupe de travail de la CDB se tiendra normalement fin août, et sera suivie, en novembre, d’une deuxième réunion ainsi que de la réunion de l’organe subsidiaire de la CDB (SBSTTA) : ces moments vont constituer les premières négociations formelles sur le contenu du cadre post-2020, et c’est là que les lignes de tension, les oppositions, et les coalitions, qui frémissent déjà, deviendront pleinement visibles et donneront une meilleure idée des attentes à avoir pour 2020. L’Iddri décryptera ces négociations et publiera des recommandations pour la structure et le contenu de ce cadre post-2020, et continuera son travail d’animation – vis-à-vis du public français mais aussi lors d’événements internationaux, dans le cadre de la CDB ou ailleurs – et de facilitation – via des ateliers de négociateurs.

Une importante mise à jour et synthèse des constats scientifiques

Parallèlement, la France accueille fin avril la 7e conférence plénière de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Lors de cette session sera publiée l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques – la première depuis 2005 –, préparée par des centaines de scientifiques et qui devrait pointer et préciser le diagnostic de l’effondrement planétaire de la biodiversité. Il faudra en tirer les conséquences pour la mise en œuvre politique. En particulier, ce rapport devrait permettre de montrer que les « maladies » dont souffre la biodiversité sont connues, et que les causes le sont tout autant. L’Iddri proposera une lecture de l’évaluation mondiale de l’IPBES, et en tirera des leçons pour les gouvernements et les entreprises qui souhaitent s’engager à stopper les pratiques qui nuisent à la biodiversité, et ce en prenant en compte les spécificités régionales, au moins à l’échelle du continent. Par exemple, des engagements précis, fixés à moyen terme, concernant le volume et la nature des pesticides utilisés en Europe, seraient bienvenus1 .

La sortie de ce rapport devrait également permettre de renforcer la dynamique politique autour de la biodiversité, et de stimuler l’agenda de l’action biodiversité lancé à la COP 14 de la CDB, en le peuplant notamment d’initiatives visant à répondre aux défis pointés par l’IPBES.

Au-delà, l’année verra les sujets biodiversité fortement présents dans les discussions climatiques. Un axe de travail « solutions fondées sur la nature » (SFN) sera piloté par le président chinois Xi Jinping lors du sommet climat aux Nations unies en septembre, et les SFN seront au cœur de la pré-COP climat au Costa Rica et très probablement de la COP 25 au Chili en décembre. De ces discussions, il sera primordial d’identifier les perspectives pour que les acteurs du climat et de la biodiversité puissent se renforcer mutuellement dans les années à venir, plutôt que de continuer de s’ignorer, comme la plupart du temps. L’Iddri contribuera à ces réflexions en publiant ses analyses sur la mobilisation de la finance climat pour soutenir le déploiement des SFN, sur les dimensions stratégiques de la mise en œuvre des SFN, ainsi que sur les synergies à développer dans les négociations biodiversité, climat et océans, sur des sujets transversaux comme la neutralité carbone par exemple.

Quelles priorités de mise en œuvre au niveau domestique ?

Au niveau français, les questions porteront surtout sur la manière de mettre en œuvre des engagements déjà pris.

Sur l’artificialisation des terres, le gouvernement a notamment prévu, dans son plan biodiversité de juillet 2018, d’atteindre un objectif de « zéro artificialisation » nette, à un horizon qui reste à fixer. Cet engagement renvoie à deux questions clés, qui devront trouver des réponses cette année, alors que, depuis l’été dernier, l’administration n’a pas mis en place de dispositif de dialogue ouvert aux parties prenantes : 1) la notion d’artificialisation « nette » signifie qu’une artificialisation sera toujours possible (on ne peut effectivement pas réalistement supposer l’arrêt de toute construction nouvelle), mais que, en plus de la réduire fortement, il s’agira de compenser la consommation de terres par des restaurations écologiques : comment, avec qui, quelles approches et quels moyens ? 2) l’horizon n’a pas été fixé, notamment du fait de l’ambition très élevée de cet engagement : la question est celle de la transformation d’une ambition haute mais vague en un plan doté de moyens institutionnels et économiques.

Concernant la déforestation « importée », via les consommations de produits impliqués dans le déboisement de forêts tropicales, la France est le premier pays européen à s’être doté d’une stratégie nationale, fin 2018, dont la mise en œuvre s’articule autour d’une stratégie de compromis, celui de la coopération et de l’aide bilatérale : la France s’est engagée à aider les pays producteurs à faire en sorte que leurs exportations de denrées ne se fassent pas au détriment de leur patrimoine naturel. L’Iddri travaille sur la chaîne de valeur de certaines de ces commodités et cherche à identifier des voies de progrès qui tiennent compte du contexte social et économique mondialisé. Cette année verra le début de cette politique de coopération, et devra répondre à la question du de son contenu et de son modèle : s’agira-t-il surtout de pousser à une « intensification » agronomique des cultures déjà existantes qui éviterait le besoin de nouvelles terres (ce qui supposerait par ailleurs de vraiment contraindre l’expansion agricole) ? S’agira-t-il d’aider à tracer et à séparer les produits impliqués dans la déforestation des autres, alors que les labels actuels sont encore peu efficaces pour lutter contre la déforestation ? S’agira-t-il d’aider les autorités et les partenaires locaux à planifier l’usage de leurs sols et à maîtriser le foncier ?

En outre, le gouvernement a récemment réactivé, plutôt discrètement pour l’instant, la promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, qui s’était engagé à consacrer 150 millions d’euros à un paiement pour services écosystémiques (PSE) bénéficiant aux agriculteurs contribuant positivement à la biodiversité et économiquement fragiles, notamment en montagne. Une étude prudente, exploratoire et méthodologique, a été lancée par le ministère chargé de l’Agriculture. L’Iddri participe à son pilotage, et y insiste sur l’importance de penser ces questions en lien avec le système de transferts économiques déjà existant en direction de l’agriculture. La question est celle de l’effectivité d’une telle mesure : envisage-t-on d’y consacrer des budgets s’ajoutant aux subventions existantes de l’agriculture française, ou s’agirait-il d’une reconversion ou d’une redirection de mécanismes existants ? Quelles conditionnalités, quelle logique environnementale, quelles logiques économiques et quel dispositif institutionnel mobiliser ?

Les avancées sur l’agenda français seront importantes pour l’agenda international. Pour pouvoir œuvrer à des avancées à la COP 15 en 2020 en Chine, la France doit faire la démonstration qu’il est effectivement possible pour un gouvernement de tenir ses engagements domestiques, surtout lorsqu’ils sont ambitieux. La gouvernance internationale de la biodiversité a trop souffert, jusqu’à présent, du manque de mise en œuvre domestique des engagements pris au niveau mondial, ce qui a réduit les objectifs mondiaux à une liste de vœux pieux. Il est temps de montrer qu’il est possible de faire autrement.


Crédit photo : Nathan Horrenberger