Le 7 mars prochain, les ministres européens en charge des questions de coopération pour le développement se réunissent à Montpellier pour une réunion informelle du Conseil des affaires étrangères (CAE) sur les questions de financement de la biodiversité dans le cadre de l'aide publique au développement. Cette discussion, en amont de la 15e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, qui devrait se tenir à Kunming dans le courant de l'année et conduira à l'adoption d'un cadre mondial pour la biodiversité pour l’après-2020, est une occasion clé pour établir un leadership européen en matière de biodiversité. 

Un appel aux États membres de l'Union européenne pour qu'ils augmentent le financement de la biodiversité pour le développement

Malgré les progrès réalisés en matière de protection de l'environnement, l’érosion de la biodiversité continue, à un rythme sans précédent et avec un nombre croissant d'espèces menacées d'extinction. Plus de dix ans après l'adoption des objectifs d'Aichi pour la période 2010-2020, aucun n'a été pleinement atteint, notamment l'objectif 20 qui appelle à une augmentation substantielle de la mobilisation des ressources financières.

Aujourd'hui, au niveau mondial, on estime que l'écart entre ce qui est dépensé pour la conservation de la biodiversité et ce qui est nécessaire à sa préservation se situe entre 598 et 824 milliards de dollars par an. Dans le cadre de l'aide publique au développement (APD), le financement pour la biodiversité représente entre 4 et 10 milliards de dollars par an : il s'agit d'une part relativement faible qui souligne le fait que la protection de la biodiversité dans les activités de coopération au développement reste insuffisamment prise en compte. De nombreuses zones présentant une biodiversité particulièrement riche se trouvent pourtant dans des pays partenaires où le budget national est souvent insuffisant pour protéger ces zones. Dans ces contextes, l'APD reste une source de financement essentielle.

Face à cette situation, la France a annoncé en janvier 2021 qu'elle doublerait son financement bilatéral d'APD pour la biodiversité afin d'atteindre 1 milliard d'euros par an d'ici 2025. En septembre 2021, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, s’est engagée à ce que « l'UE doublera son financement extérieur pour la biodiversité, en particulier pour les pays les plus vulnérables », par rapport à la période 2014-2020, où il atteignait 3,5 milliards d'euros. L'Allemagne et la Suède comptent également parmi les principaux contributeurs de l'UE à la biodiversité pour le développement, mais des contributions supplémentaires sont nécessaires. Les institutions et les États membres de l'Union européenne (UE) restent collectivement l'un des principaux donateurs en matière de biodiversité. Selon les données de l'OCDE, ils ont déboursé un total de 743,1 millions de dollars en APD pour la biodiversité en 2019. Cependant, ces activités ne sont actuellement financées que par une poignée de donateurs européens.

La Chine, bien qu'étant un plus petit contributeur dans l'ensemble, s'est également positionnée et a promis 230 millions de dollars supplémentaires pour la création d'un fonds international pour la biodiversité afin de soutenir les pays en développement.

Cette réunion informelle du 7 mars offre l'occasion aux autres États membres de l'UE de se mobiliser et de consacrer des ressources supplémentaires au soutien de la biodiversité.

Intégrer les priorités en matière de biodiversité dans l'ensemble des activités de coopération au développement

Au-delà de l'environnement, les risques posés par la perte de biodiversité sont devenus un sujet central dans la lutte mondiale contre les inégalités. Le rapport de l'IPBES a montré que la perte de biodiversité entravait les progrès de 80 % des Objectifs de développement durable, au moment même où l'ONU déclarait que l'extrême pauvreté augmentait à nouveau, pour la première fois en vingt ans. La perte de biodiversité se traduit par des problèmes économiques et sociaux lorsqu'elle entraîne une perte d'habitat, une perte d'opportunités économiques et même une aggravation de la vulnérabilité dans certains cas lorsqu'elle menace la sécurité alimentaire ou en eau. Un changement transformateur ne peut donc être obtenu que par une meilleure cohérence entre les politiques de développement, économiques, sociales et environnementales, ce qui nécessite l'implication des différentes parties prenantes.

Avec un nouvel instrument unique d'aide extérieure en place pour 2021-2027, l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI en anglais), ainsi que le Pacte vert, l'UE dispose de moyens concrets pour prendre le leadership en matière d'intégration (mainstreaming) des priorités en matière de biodiversité dans l'ensemble de ses instruments de développement et de coopération. Avec une dotation globale de 79,5 milliards d'euros, la Commission a déjà établi que 7,5 % des dépenses annuelles du NDICI devraient être consacrées aux objectifs de biodiversité en 2024, et 10 % en 2026 et 2027. En outre, 30 % devraient également être consacrées à des actions liées au climat. 

Parallèlement, alors que l'utilisation d'instruments financiers de l'UE tels que les garanties et les mécanismes mixtes se développe, des précisions pourraient être apportées sur la manière dont le Fonds européen pour le développement durable + (FESD+, qui peut financer des opérations de développement à hauteur de 53,4 milliards d'euros) intégrera les priorités en matière de biodiversité, en ciblant les pays qui en ont le plus besoin.

Dans le paysage de l'aide européenne, la Banque européenne d'investissement (BEI) occupe également une place centrale avec un mandat global de 30 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Elle est appelée à devenir la banque climatique de l'UE et a pour mandat de « mettre fin à la perte de biodiversité ». Alors que la branche mondiale de la BEI est mise en place et que son axe de développement est mieux défini, le moment semble venu de préciser les objectifs de la banque en matière de biodiversité. 

Ensemble, les nouveaux instruments de développement de l'UE (NDICI, EFSD+, EAG) et les efforts combinés des institutions (Commission, BEI, États membres) offrent des moyens concrets de mise en œuvre d'un leadership européen global en matière de biodiversité pour le développement.

Mettre en avant « l'approche Team Europe » pour renforcer la coopération et l'efficacité

Au-delà des institutions de l'UE, l'Europe est une force collective qui rassemble les États membres, leurs agences de mise en œuvre et institutions de financement du développement. Mais un tel collectif peut aussi être un défi à gérer efficacement. Comme l'indique l'OCDE, plusieurs possibilités existent dans la pratique pour améliorer l'efficacité de la coopération au développement en faveur de la biodiversité. « L’approche Team Europe », promue par la Commission depuis la crise du Covid-19 et qui rassemble les institutions de l'UE, les États membres, les agences de développement, les banques et le secteur privé européen, pourrait jouer un rôle pour approfondir la coopération de l'UE sur le terrain. Mais elle doit le faire en se concentrant véritablement sur la « politique d'abord », définie par les objectifs stratégiques de la stratégie de développement de l'UE, et soutenue par une action collective programmatique.

Au-delà des chiffres et du volume de financement, l'alignement sur l'Agenda 2030 pour le développement durable pourrait être particulièrement utile pour aborder l'intégration de la biodiversité dans la politique de développement et approfondir la coopération entre tous les acteurs européens et entre les secteurs. En tant qu'actionnaires majoritaires dans la plupart des cas, les institutions de l'UE et les États membres devraient assumer leur rôle de facilitateurs et tirer parti des opérations des banques de développement ; ils peuvent encourager les récentes initiatives prises par certaines de ces banques pour intégrer la biodiversité dans leurs activités et rechercher un impact positif à long terme sur le développement.

Toutefois, l’alignement sur l'Agenda 2030 ne consiste pas seulement à déterminer les montants investis dans les projets qui soutiennent les objectifs. Il s'agit plutôt de s'assurer que toutes les activités sont conçues pour répondre aux besoins et aux objectifs fixés en premier lieu. Il doit permettre d'identifier les activités qui nuisent à la biodiversité et de les réorienter vers des investissements positifs pour la nature. Le soutien à la biodiversité peut s'accompagner d'effets positifs pour d'autres secteurs tels que l'eau, l'agriculture, la sylviculture et le commerce, en favorisant des activités plus durables et compatibles avec le climat. À cet égard, l'alignement sur les ODD pourrait également contribuer à accroître l'impact du financement climatique dans les pays en développement qui profite également à la biodiversité et à l'environnement. Un tel cadre offre le potentiel d'une coopération renforcée, avec une division du travail plus claire et des mécanismes de suivi en place pour examiner régulièrement les progrès accomplis. 

L'UE, ses États membres, les banques et agences européennes de développement associées ne devraient pas manquer l'occasion qui leur est offerte cette semaine de préparer le terrain et de se donner les moyens de leur ambition pour répondre aux attentes élevées formulées pour le sommet de Kunming.