2020 devait être une année cruciale pour la gouvernance internationale du développement durable (climat, biodiversité, haute mer, notamment). Mais la crise sanitaire et socio-économique déclenchée par la pandémie de Covid-19 a bouleversé la coopération multilatérale, tant dans ses formes que dans la réalité des relations entre États. Dans ce contexte géopolitique instable et tendu, le Sommet des Nations unies sur la biodiversité, convoqué par le président de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) le 30 septembre, est un moment important pour relancer les discussions sur l’ambition politique de la COP 15 biodiversité. Pour mieux en saisir les enjeux et en interpréter les résultats, il est nécessaire de revenir sur le contexte plus large dans lequel ce sommet s’inscrit et sur la séquence – encore très incertaine mais aux enjeux importants – qui s’étend d’ici la fin 2021, et dont il peut être vu comme l’ouverture.

Un agenda international suspendu temporairement

Le sommet intervient dans un contexte qui semble redynamiser l’ambition en matière climatique, notamment avec des annonces de la Chine à l’AGNU concernant ses propres engagements pour la neutralité carbone et la réduction des émissions de gaz à effet de serre1 , et l’annonce par le Royaume Uni et l’ONU d’un sommet le 12 décembre pour les cinq ans de l’Accord de Paris sur le climat2 . Mais ce frémissement en matière de coopération internationale pour l’environnement est assez récent, dans une longue période qui a vu la crise de la Covid-19 conduire au report de nombreux rendez-vous internationaux clés : en particulier la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB), reportée au mieux à mai 2021 ; la COP 26 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), reportée à la fin 2021 ; et le Congrès mondial de la nature de l’UICN, moment clé d’engagements de la part de d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, reporté sine die.

D’autres événements ont aussi été reportés, dont les sommets entre l’Union européenne et la Chine3 et entre l’Union européenne et l’Union africaine. Ces reports sont dus en partie aux difficultés techniques liées à la crise sanitaire, mais aussi aux constats de divergences majeures entre les parties : autour de questions de droits de l’homme, d’investissements et de commerce par rapport à la Chine ; autour de difficultés inévitables à s’accorder sur les termes du « partenariat entre égaux » que les deux continents européen et africain cherchent à établir.

L’impératif d’ancrer les négociations environnementales dans la réalité de la reconstruction

Ces discussions politiques bilatérales sont pourtant déterminantes pour faire avancer la gouvernance mondiale de la biodiversité ou du climat. Les attaques contre les institutions multilatérales et les règles qu’elles ont mises en place venant de toutes parts, il est indispensable de consolider l’intercompréhension et l’alignement des positions par des alliances entre blocs. Par ailleurs, ces discussions bilatérales sont essentielles pour rapprocher les termes de la négociation sur la gouvernance environnementale de la réalité des décisions économiques majeures prises à la suite de la crise post-Covid-19 dans ces blocs économiques.
Concrètement, un des sujets que la Chine et l’Union européenne ont mis à leur agenda concerne les chaînes de valeur mondiales de produits agricoles et alimentaires et la connaissance de leur impact sur la biodiversité : pour que les objectifs qui devraient être adoptés à la COP 15 aient une chance d’être atteints, il faut en particulier qu’on ait une vision beaucoup plus claire des flux de biomasse agricole, et notamment de soja, et plus particulièrement ceux qui passent par le marché chinois tant comme produits intermédiaires que comme produits finaux. Certes, il ne s’agit pas encore d’un accord entre UE et Chine sur une régulation environnementale commune de ces chaînes de valeur. Mais la possible mise en transparence de la réalité des flux et de leur impact constituerait déjà un grand progrès, et c’est un exemple type d’un croisement effectif entre négociations environnementales et négociations commerciales ou économiques majeures.

Les moments politiques clés sont reportés, mais les négociations techniques continuent, comme le montre l’avancement progressif du texte qui sera négocié à la COP 154 . Ces négociations, qui avaient un calendrier très serré, ont bénéficié de ce temps additionnel pour avancer. Mais ce serait un scénario très sombre si, dans l’année à venir, seules les négociations multilatérales sur l’environnement restaient ouvertes quand toutes les autres questions – politiques, militaires et économiques –  seraient au point mort : si elles ne sont que prétexte à maintenir le contact, ces négociations pourraient conduire à construire un nouvel édifice d’engagements environnementaux, mais avec peu de chance de les voir devenir réalité car peu en prise avec tous ces autres rapports de force majeurs.

Il est donc d’autant plus indispensable d’ancrer le plus possible les négociations entre pays dans un dialogue avec l’ensemble des acteurs (économiques, société civile) sur ce qui constitue la priorité majeure de la période de crise que nous vivons, soit les besoins de la reconstruction et les investissements de relance, qui auront un impact déterminant sur l’état futur de nos pays pour des décennies, et donc sur le climat et sur la biodiversité : par exemple, si la relance pour favoriser l’emploi et le redémarrage économique s’appuie sur des investissements d’infrastructures, quel impact auront-ils sur la fragmentation des écosystèmes et peut-on les planifier de manière compatible avec la préservation de la biodiversité ?

Qu’attendre du Sommet biodiversité ?

Dans cette perspective, le Sommet biodiversité de l’AGNU constitue une première balise indispensable, rassemblant un certain nombre de chefs d’État et d’acteurs clés, pour donner le sens politique de cette négociation sur la biodiversité en temps de crise économique et sociale, et dans un contexte de tensions politiques et économiques entre grands blocs. On y attend un certain nombre de signaux clairs, indispensables au succès d’un accord ambitieux sur la biodiversité en 2021, et pour sa crédibilité concernant la réalité des transformations nécessaires dans de grands secteurs économiques. Idéalement, il faudrait que cette dynamique se poursuive et connecte entre eux d’autres événements importants dans l’année à venir.

Parmi les secteurs économiques clés, l’agroalimentaire est évidemment sous le feu des projecteurs, comme l’a mis en évidence le rapport mondial de l’IPBES en 20195 , soulignant que le système alimentaire dans son ensemble, de la production à la transformation jusqu’à la consommation, est un des facteurs les plus critiques de la dégradation de la biodiversité. Les annonces qui pourront être faites lors du sommet en la matière seront donc essentielles. Elles pourront trouver un écho important dans le Sommet du secrétaire général des Nations unies sur les systèmes alimentaires, annoncé pour 2021, dont la préparation devrait permettre de consolider les engagements et les dynamiques sur ce sujet. Objet d’âpres batailles de définition de son mandat, ce sommet sur les systèmes alimentaires pourrait cependant constituer un événement clé pour garantir la cohérence entre le cadre d’engagements sur la biodiversité qui sera défini à la COP 15 et la réalité des évolutions de ce secteur déterminant. Sans préjuger de l’issue des discussions multilatérales cherchant à faire le bilan de la crise sanitaire, et qui dans l’idéal pourraient rapprocher santé humaine, santé vétérinaire et santé des écosystèmes, ce calendrier offre un opportunité pour faire avancer également l’initiative One Health à la faveur d’un sommet dont l’objet est à la fois la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la sécurité sanitaire de l’alimentation, les évolutions de l’élevage et de l’agriculture et le respect des limites de la planète.

Comme l’illustre par ailleurs l’exemple du système alimentaire, climat et biodiversité ne peuvent plus être traités séparément, car les dynamiques économiques sociales qu’il faut transformer pour protéger à la fois la biodiversité et le climat sont en fait les mêmes. La convergence entre ambition climatique et ambition pour la biodiversité sera l’autre point majeur de la préparation de la COP 26 et de la COP 15. La présidence britannique de la COP 26 a bien indiqué que la nature était un des axes prioritaires des négociations préparatoires d’ici la fin 2021. Malgré les soubresauts des relations entre Europe et Chine et des relations entre Union européenne et Royaume-Uni, la conjonction des présidences italienne du G20 et britannique du G7 en 2021 devrait offrir des occasions clés pour permettre à l’UE, au Royaume Uni et la Chine de rassembler des coalitions de pays engagés en faveur d’une ambition forte et coordonnées à la fois sur le climat et la biodiversité.

Dernier élément clé, et non des moindres, la discussion sur la mobilisation des ressources financières pour la biodiversité rejoint celle sur le financement de la reconstruction dans une perspective de développement durable, compatible avec l’ambition climatique et de la biodiversité. Il s’agit non seulement de financer les aires protégées, mais aussi d’orienter les investissements sectoriels, et notamment agroalimentaires, vers des modèles compatibles avec la biodiversité, et de s’assurer que les programmes d’investissements prendront la biodiversité suffisamment au sérieux pour réduire au plus près de zéro leurs impacts négatifs sur les écosystèmes. C’est ainsi tout l’agenda du développement qui est potentiellement en jeu6 .

Une partie de ces débats se déroulera à Paris, qui accueille d’abord en novembre, lors du Forum de Paris pour la paix, le sommet « Finance en commun », qui rassemblera de nombreuses banques publiques de développement, parmi lesquelles la China Development Bank, dont l’impact des financements à l’étranger en matière de climat et de biodiversité est critiqué dans de nombreux rapports. Ce sommet devrait donc être l’occasion de faire avancer la compréhension des enjeux de financement pour la biodiversité, et de pousser autant que possible une dynamique ambitieuse à l’échelle de l’ensemble des portefeuilles de financement. Transformer la méfiance entre acteurs sur la crédibilité de la réalisation de leurs engagements en dynamique d’émulation reste un défi immense, où seules la franchise et l’objectivation des résultats obtenus permettra cependant d’avancer. Autre sommet clé organisé par la France, un One Planet Summit devrait avoir lieu en janvier 2021, pour y enregistrer un certain nombre d’initiatives pour la biodiversité qui soient à la fois significatives en termes d’efforts de conservation et de portée politique à l’échelle globale, et qui permettent de démontrer que ces engagements sur la biodiversité seront bien ancrés au cœur des décisions économiques clés de la sortie de crise.

La France doit manœuvrer très stratégiquement pour faire de ces deux sommets, dont elle a pris l’initiative mais sous égide multilatérale, des forums politiques de haut niveau permettant de donner à voir, et si possible renforcer, la volonté commune des acteurs européens et chinois d’œuvrer ensemble au service d’une ambition environnementale sur la biodiversité et le climat, en soutenant le multilatéralisme tout en étant extrêmement exigeant sur la crédibilité des engagements pris par l’ensemble des parties. Les enjeux sont colossaux, et c’est bien au sein de cette longue séquence politique qu’il faudra interpréter les résultats du sommet du 30 septembre, car il en constitue le lancement.