La crise sanitaire et socio-économique liée à la pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet le processus de préparation de la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Initialement prévue en octobre de cette année en Chine, elle aura lieu au plus tôt à la fin du printemps prochain. Malgré de nombreux décalages et reports de réunions intermédiaires importantes, le travail collectif a néanmoins continué ces six derniers mois. Le Sommet des Nations unies sur la biodiversité, qui se tient ce 30 septembre, doit servir à redonner de l’élan politique et réaffirmer l’importance de la COP 15. Il est nécessaire de faire un bilan du chemin accompli et un état des lieux des principaux enjeux qui restent à traiter pour construire le cadre mondial sur la biodiversité pour l’après-2020, ainsi que la dynamique politique nécessaire pour assurer son ambition et soutenir sa mise en œuvre.

Six mois de travail international malgré la distance

Du 24 au 29 février dernier, au siège de la FAO à Rome, s’est tenue la dernière réunion « physique » de préparation de la COP 15, pendant la deuxième réunion du groupe de négociation du cadre mondial sur la biodiversité pour l’après-2020 (OEWG-2). L’agenda était très dense : tous les pays membres de la CDB, et les acteurs de la société civile, y étaient invités pour s’exprimer sur le « zéro draft » (ou pré-projet) du texte à adopter à la COP 15. Les négociations avaient rempli leurs principaux objectifs, et c’est une très dense séquence politique et technique qui devait se dérouler sur les six mois suivants. Le calendrier initial, dans ses grandes lignes, comportait des jalons importants et très rapprochés. En mai, les pays devaient se réunir lors des sessions des organes subsidiaires de la CDB, chargés des questions scientifiques et techniques (SBSTTA) et de mise en œuvre de la convention (SBI), qui devaient permettre d’avancer sur les composantes quantitatives (options pour le chiffrage des objectifs post-2020, indicateurs, etc.) et sur des éléments clés du futur cadre international, notamment le nouveau système de responsabilité et transparence (pour suivre de plus près la mise en œuvre et se rendre des comptes, chemin faisant) et un ensemble de nouvelles dispositions institutionnelles pour mieux connecter la gouvernance internationale de la biodiversité avec, par exemple, les discussions sur l’agriculture à la FAO ou sur les pollutions chimiques dans les conventions dédiées. D’autres sujets majeurs, comme les financements ou la mobilisation des secteurs économiques, devaient également être abordés.

Avec d’autres réunions thématiques, tout ceci devait alimenter le travail des deux co-présidents du groupe de négociation sur le cadre post-2020, qui devaient produire un nouveau pré-projet de texte (« First draft ») pour le mois de juin, en préparation de la troisième session de négociation (OEWG-3) qui devait se tenir fin juillet à Cali, en Colombie, la dernière étape de négociation avant la COP 15, prévue elle en octobre. En parallèle de cette séquence plus « technique », une séquence politique devait servir à créer le plus d’impulsion possible pour soutenir l’ambition de la COP 15 et poser des jalons pour la mise en œuvre de ses décisions. Le congrès de l’UICN, initialement prévu en juin à Marseille, et le One Planet Summit censé en constituer l’ouverture, devait aider à consolider les coalitions de pays et d’acteurs ambitieux juste avant l’OEWG-3, et le Sommet des Nations unies sur la biodiversité du 30 septembre faisait office de dernière prise d’élan avant l’ouverture des négociations de la COP 15.

La crise a évidemment reconfiguré ce calendrier, et c’est à distance que le travail a continué et avancé, sur différents points techniques : les nombreux documents de préparation de la session SBSTTA-SBI ont presque tous été rédigés et mis en ligne, avec l’organisation de consultations (envois de commentaires écrits) ouvertes pour les pays et acteurs non étatiques. Début septembre, les deux co-présidents ont mis à jour le « zéro draft » pour refléter leur vision de l’état des discussions depuis Rome. Des sessions virtuelles ont été organisées en septembre pour démarrer les discussions sur les éléments techniques dont doit s’occuper le SBSTTA. Les liens entre les sujets de biodiversité et de santé humaine ont pris plus de place dans les discussions, et demanderont à être renforcés davantage dans les mois à venir pour tirer les leçons de la crise actuelle.

Un travail de renforcement des coalitions d’États et d’acteurs

Autour du processus multilatéral, le travail de mobilisation et de construction de coalitions a continué. Du côté des pays, une déclaration signée par 64 chefs d’État a été rendue publique le lundi 28 septembre, affirmant leur ambition pour la COP 15 et plus largement leur soutien à la biodiversité dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement durable. Cette coalition, dont les engagements de principe sont affirmés avec une certaine force, compte pour l’instant de grands absents (aucun des BRICS, ni les États-Unis, par exemple), mais elle devrait néanmoins être rejointe par d’autres États ces prochains mois. Politiquement, c’est une étape importante sur la route vers la COP 15, car elle marque la structuration d’une coalition intercontinentale d’États, qui devraient on l’espère plus facilement se rejoindre sur les textes à adopter à la COP 15, et faire collectivement bloc pour pousser à la plus haute ambition possible.

Une dynamique positive se fait également sentir du côté des acteurs non étatiques. En témoigne la multiplication d’annonces venant des entreprises, et plus récemment du secteur financier : le 25 septembre, une coalition de 26 institutions financières internationales, représentant 3 trillions d’euros d’actifs sous gestion, s’est engagée à mettre ses activités au service de la protection et de la restauration de la biodiversité. Même s’il faut que ces coalitions montent encore en échelle, et peut-être surtout améliorent la précision de leurs engagements et la redevabilité qui y est associée, cette dynamique des acteurs non étatiques, à laquelle contribuent aussi d’autres entités comme les gouvernements infra-nationaux et des villes, remplit une fonction importante d’alignement des discours et des attentes vis-à-vis de la COP 15 et de la mise en œuvre de ses décisions dans les prochaines décennie.

Des chantiers importants et un front environnemental à renforcer, dans une séquence politique incertaine

S’il faut saluer ces avancées, qui ont été réalisées malgré la crise sanitaire et socio-économique, il reste de très nombreux chantiers pour ces prochains mois. Sur le texte du cadre post-2020 en lui-même, de nombreux éléments sur les objectifs vont encore être négociés d’ici la COP 15, et plusieurs probablement âprement. Sur des éléments clés pour la mise en œuvre, comme le « mainstreaming » de la biodiversité et le cadre de transparence, les négociations n’ont formellement pas encore commencé ! Et il en est de même pour le volet financier, clé pour obtenir un accord ambitieux. Il va falloir attendre que la session du SBSTTA/SBI puisse se tenir formellement, en ligne et/ou en rencontre physique, pour commencer l’élaboration collective plus concrète de ces chapitres du cadre post-2020.

En d’autres termes, les enjeux majeurs que nous avions déjà soulignés, avant et après la session de Rome, restent largement d’actualité dans les grandes lignes ; et s’y ajoutent d’importantes nouvelles contraintes et incertitudes liées au contexte. La COP 15 reste annoncée pour mai 2021, mais il va sans dire que le maintien de la date est très incertain. Si elle venait à être décalée en fin d’année, comme la COP 26 climat, un scénario (lui-même optimiste, à cette heure) pour l’année à venir serait de voir le bouclage des discussions du SBSTTA-SBI conclues au début du printemps, pour que la réunion de Cali (OEWG-3) puisse se tenir en début d’été. Il reste possible que le One Planet Summit, annoncé pour le 11 janvier par le président français Emmanuel Macron, soit maintenu. Le président colombien, Iván Duque, a annoncé le 28 septembre que la Colombie souhaitait accueillir une pré-COP au moment de l’OEWG-3, pour contribuer à l’impulsion politique sur la route de la COP 15.

C’est donc une séquence recomposée qui pourrait se profiler, et dont le Sommet des Nations unies sur la biodiversité du 30 septembre marquerait, en fait, le nouveau début : suivrait ensuite un One Planet Summit, puis une réunion « technique » importante (SBSTTA-SBI), une pré-COP, une session de négociation du texte, et enfin la COP 15. Autour de cette « colonne vertébrale » d’événements centraux pour les négociations biodiversité (à laquelle il faut ajouter la reprogrammation, à espérer, du congrès de l’UICN), plusieurs autres moments seront importants pour discuter de sujets clés, comme par exemple la 5e Assemblée générale des Nations unies pour l’Environnement (UNEA-5) ou encore le sommet du secrétaire général des Nations unies sur les systèmes alimentaires.  

Ce dernier exemple illustre un défi plus vaste, à la fois pour la COP 15 mais aussi pour la mise en œuvre de ses décisions et les transformations des secteurs économiques qu’elle suppose. Un autre événement important de ces six derniers mois a été la publication, le 15 septembre, de la cinquième édition du Global Biodiversity Outlook, rapport d’évaluation de la mise en œuvre de la CDB, qui concluait qu’aucun des vingt Objectifs d’Aichi, adoptés en 2010, n’avaient été atteints en totalité. C’est là un avertissement général sur la taille des défis à relever pour la mise en œuvre des décisions qui seront prises pendant à la COP 15 : quel qu’en soit le degré d’ambition, atteindre les futurs objectifs pour la biodiversité sera très difficile sans réformes majeures dans les politiques publiques, régulations et modèles économiques. C’était déjà un défi de taille, rendu encore plus compliqué dans un contexte de reconstruction post-Covid-19 où les objectifs environnementaux risquent d’être encore davantage mis de côté. Ceci est vrai pour la biodiversité, mais aussi pour le climat : renforcer les front communs entre ces sujets, pour pousser ensemble aux transformations vers des modèles de société plus durables, devient un impératif encore plus stratégique. La possible proximité calendaire des COP des trois conventions de Rio (climat, biodiversité, désertification) à la fin 2021, pourrait constituer une occasion pour avancer sur ce chantier important.