Un an après les négociations sur le plan de relance européen, les États membres viennent de transmettre à la Commission leurs plans nationaux de relance et de résilience dans le cadre de NextGenerationEU, qui permettra de mobiliser des montants extrêmement importants par un mécanisme de solidarité inédit, une innovation encore débattue récemment dans certains parlements nationaux, comme en Finlande début mai. Considéré à juste titre comme une nouvelle étape dans la consolidation des liens entre les États membres, ce mécanisme tient l’une des promesses clés de la relance européenne, celle de mobiliser des montants considérables pour la relance. Mais comment garantir l’efficacité de la mise en œuvre de ces fonds au services des grands objectifs que l’Union européenne s’est donnée, en plus de la relance économique : résilience et transformation vers les objectifs très ambitieux du Pacte vert ?

Évaluer l’alignement entre les plans nationaux et les objectifs du Pacte vert

Pour être cohérents avec les ambitions politiques européennes, les plans de relance nationaux et la mobilisation des fonds de NextGenerationEU devraient passer le test de leur alignement avec la durabilité, ce qui ouvre plusieurs registres de questionnement1  : permettent-ils de réduire les vulnérabilités ? De garantir la cohésion en réduisant les inégalités au sein et entre États membres ? Sont-ils suffisamment ambitieux, en termes de montants, et pour déclencher les transformations nécessaires à l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 et à la réduction drastique des pollutions et des atteintes à la biodiversité ?

Les analyses des plans annoncés depuis 20202  donnent quelques indications clés, qui ne peuvent toutefois se substituer à l’analyse systématique des plans de relance et de résilience soumis ces dernières semaines aux autorités européennes. Première observation : les montants en eux-mêmes démontrent un engagement fort en faveur de la sauvegarde des emplois et de la solidarité entre États membres. En majorité, ces plans nationaux prennent au sérieux l’opportunité d’utiliser une part importante des fonds pour investir dans les transitions écologique et numérique, deux marqueurs clés de la modernisation de l’économie du continent. Ils peuvent relativement facilement démontrer quelle part des montants contribue aux objectifs environnementaux du Pacte vert, et indiquer par ailleurs qu’une part importante, et si possible la totalité, n’est pas incompatible avec la poursuite de ces objectifs. Souvent, cependant, les analyses révèlent qu’une part importante des plans nationaux, notamment celle financée par le budget national et dans ce cas absente du plan de relance et de résilience soumis à Bruxelles, pourrait avoir un impact autant négatif que positif en matière de transition écologique, en fonction des conditions de sa mise en œuvre. Enfin, les comparaisons avec les évaluations existantes des besoins de financement public en matière de transformation dans des secteurs clés révèlent que l’ordre de grandeur est à gros traits le bon, mais que les montants restent néanmoins insuffisants, et surtout qu’ils demanderaient à être maintenus sur plusieurs années.

La relance européenne semble ainsi échapper à ce qui aurait été le plus problématique, à savoir financer de nouveaux investissements3  contraires à la transformation vers les objectifs du Pacte vert, qui auraient pour conséquence de verrouiller à nouveau pour des décennies le pays concerné dans une trajectoire de développement non durable. Mais les instances européennes auront-elles la légitimité politique pour demander de véritables révisions des plans de relance qui leur sont soumis au motif d’une insuffisante ambition en matière de transformation, alors que les économies nationales attendent d’urgence cette injection de nouveaux fonds ?

Inscrire l’ambition des plans de relance dans le long terme

Le sommet européen de ce début de semaine vient de reporter les négociations extrêmement difficiles sur le partage de l’effort entre États membres en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (pour les secteurs non soumis au systèmes de marché de permis d’émissions) : définir la répartition à la fois juste et efficace de l’effort en matière de transformation reste un exercice de fait politiquement quasiment impossible, s’il ne s’adosse pas sur l’explicitation et l’ajustement progressif, par chaque pays, d’une stratégie de transformation à long terme qui intègre la décarbonation comme un des leviers de son développement socio-économique futur, plutôt que comme une contrainte.

C’est exactement ces stratégies à long terme, définies à l’échelle nationale, qui risquent de manquer aux instances européennes pour pouvoir questionner sur des bases politiquement et scientifiquement solides l’insuffisance d’ambition des plans de relance qui leur sont soumis. Et ce sont aussi ces mêmes stratégies nationales de transformation qui permettraient de définir l’ensemble des politiques publiques et régulations nécessaires pour orienter et canaliser les fonds de la relance vers les besoins critiques de financement pour assurer ensemble résilience, transformation et réduction des inégalités.

L’exemple de la France est intéressant à ce titre : la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), feuille de route pour la transition à l’horizon 2050, constitue un scénario de référence indispensable pour le débat politique sur la nouvelle loi Climat et Résilience, qui fait suite à la Convention citoyenne sur le climat. C’est par référence à cette stratégie qu’on peut évaluer que les dispositions votées par le Parlement dans cette loi ne permettent pas suffisamment de déclencher les transitions clés, alors même que les ordres de grandeur financiers du plan de relance semblent être plutôt à la bonne échelle4 .

Dans d’autres pays, le problème, plus profond encore, pourra être l’absence d’une telle stratégie à long terme permettant de définir ce que pourrait être la juste part de l’ambition du pays pour la transformation vers les objectifs du Pacte vert. Dans tous les cas, si les fonds de la relance ne sont pas guidés par une stratégie de transformation à long terme, et canalisés par les politiques publiques adéquates, il y a fort à craindre que les objectifs de la relance verte ne pourront être tenus, alors que c’est au cœur du projet du continent de retrouver sa place dans la mondialisation grâce à une telle transformation.

Le Semestre européen est le mécanisme qui permet à la Commission européenne de faire des recommandations aux États membres, notamment en matière de réforme des politiques publiques pour assurer une meilleure croissance économique : ce mécanisme doit, dans le programme du Pacte Vert, inclure des recommandations non seulement pour la croissance économique, mais plus largement pour l’atteinte des Objectifs de développement durable dans leur ensemble. En 2021, c’est par référence à un document intitulé Stratégie annuelle de croissance durable (et non plus seulement Stratégie annuelle de croissance) que le Semestre européen va voir la Commission émettre des recommandations aux États membres. Cet outil clé permet de questionner à la fois les montants et la destination des fonds de la relance, qu’ils soient d’origine européenne ou nationale, et la mise en place des politiques et régulations nationales adéquates pour la transformation, ainsi que la cohérence avec une vision et une stratégie de long terme5 . Jusqu’ici considéré comme technocratique, voire comme poussant un agenda de réformes non issues d’un programme politique pour lequel les citoyens européens auraient préalablement voté, ce processus était pourrait retrouver sa force et sa légitimité, s’il permet effectivement d’organiser le débat, entre États membres et Commission, entre États membres, et au sein même des débats politiques nationaux, sur l’utilisation qui sera faite du mécanisme de solidarité européen pour la relance, et conjointement sur l’ambition, les moyens politiques et les progrès réalisés en matière de transformation vers la durabilité, sociale et environnementale.

L’alignement de la relance sur la transformation écologique est aussi un agenda international

Enfin, les États membres n’ont pas intérêt à maintenir le débat sur l’alignement de la relance avec les objectifs en matière de durabilité dans les seules limites du continent européen : les solutions imaginées ailleurs (Amérique latine, Asie ou Afrique), même si imparfaites, peuvent être pertinentes, comme l’ont montré des dialogues organisés par l’Iddri et le German Development Institute sur l’alignement de la relance sur l’Agenda 2030. En Europe comme ailleurs, questionner le scénario du status quo et réussir à obtenir un arbitrage politique favorable à la transformation de l’économie, surtout en période de crise, suppose que l’espace politique, du Parlement à la société civile en passant par la recherche et l’expertise, soit suffisamment ouvert et structuré. L’Union européenne et ses États membres ont tout intérêt à continuer à échanger avec le reste du monde sur les conditions politiques et les politiques publiques qui permettent d’assurer au mieux un tel alignement. 

De plus, pour de nombreux secteurs économiques, accepter d’envisager la relance économique comme un moment clé de transformation suppose d’obtenir des garanties sur le fait que les acteurs du même secteur, hors de l’Union européenne, seront soumis aux mêmes ambitions. Pour débloquer des décisions d’alignement fort entre la relance et le Pacte vert, il est donc utile de mettre en place les bases d’une coopération internationale à l’échelle de secteurs entiers, permettant d’éviter la course au moins-disant environnemental. C’est ce à quoi l’Iddri s’emploie en organisant des dialogues bilatéraux, par exemple entre acteurs européens et sud-africains sur des secteurs industriels clés, au service d’une relance verte dans chacun des pays, mais aussi d’une gouvernance mondiale où l’Europe favorise les options coopératives plutôt que les logiques purement compétitives, voire les affrontements.