Un partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) vient d'être annoncé avec le Sénégal, rejoignant ainsi une série de JETP à différents stades de maturation. Alors que l'attention se porte sur leur mise en œuvre, quel bilan peut-on faire à ce jour de leurs réussites et de leurs échecs, notamment depuis la perspective des pays eux-mêmes ?

Le JETP Sénégal a été annoncé dans le cadre du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Comme ses prédécesseurs en Afrique du Sud, en Indonésie et au Viêtnam, ce partenariat a d'abord été codifié sous la forme d'une déclaration politique conjointe qui fixe deux objectifs principaux : l'un pour la transformation du système énergétique et l'autre pour la mobilisation des financements. Pour le Sénégal, le premier est exprimé sous la forme d'une part de la capacité installée pour les sources d'énergie renouvelables (40 % d'ici 2030) et le second sous la forme d'une combinaison de subventions et de prêts s'élevant à 2,5 milliards d'euros. Les prochaines étapes sont la préparation d'un plan d'investissement, l'élaboration de programmes et de projets, et leur mise en œuvre. On pourrait croire qu'il s'agit d'une recherche d'argent, de projets et de réductions d'émissions. Mais est-ce tout ? Certainement pas, alors sur quoi devrions-nous mettre l'accent pour favoriser une mise en oeuvre réussie ?

Dans un billet de blog publié en novembre 2022, nous avions examiné les conditions dans lesquelles de tels partenariats pourraient faire une réelle différence dans le déclenchement du changement des systèmes. En tant que praticiens, travaillant principalement sur des transitions nationales dans les pays du Sud, nous avons perçu le potentiel des JETP pour leur capacité à remédier à certaines des lacunes d'une réponse internationale inadéquate aux défis interdépendants du développement et du changement climatique. Pour réaliser ce potentiel, il faut faire preuve d'innovation et être conscient que les JETP devraient être un élément de soutien aux efforts plus larges visant à réformer le paradigme du financement du développement pour permettre la transition vers le développement durable et ainsi éviter de reproduire les erreurs du passé (ou au contraire les réparer). Les principales lacunes sont le volume limité des financements, les obstacles à l'accès à ces financements et leur faible performance, car ils ne vont souvent pas là où ils sont le plus nécessaires. Alors que la promesse des 100 milliards n'a pas encore été tenue, l'objectif principal semble être d'utiliser le financement public pour mobiliser des capitaux privés plutôt que d'identifier comment et où l'argent devrait être dépensé et investi pour déclencher un changement de système. Une nouvelle perspective est nécessaire pour adopter une approche axée sur la demande et passer du financement de projets à la transformation sectorielle. Ces difficultés ne sont pas nouvelles pour les praticiens en ce qui concerne la coordination des donateurs ou les approches systémiques par rapport aux projets. Toutefois, pour le JETP en particulier, le véritable changement réside dans la nécessité de faire face à la réalité de transitions coûteuses et socialement difficiles.

Les JETP existants sont relativement récents, et à des stades de mise en œuvre différents. Environ un an après son annonce, le JETP sud-africain a publié un plan d'investissement et prépare sa mise en œuvre ; les engagements politiques indonésiens et vietnamiens pris il y a plus de six mois sont encore en train d'être convertis en plans d'investissement. Le Sénégal vient de lancer sa déclaration politique après un long processus de négociation. Il serait prématuré d'évaluer le succès ou l'échec des processus JETP en cours. Contrairement aux décisions d'investissement qui sont prises à l'issue d'un long processus d'évaluation et dan el cadre d’une obligation de vigilance, la nouveauté des JETP a été de commencer par une vision politique globale de ce qui doit être fait à moyen et à long terme. L'alignement de cette vision sur une liste de projets cohérents et complémentaires et sur les politiques publiques qui les accompagnent sera une entreprise complexe qui nécessitera une attention politique particulière et l'adhésion de la population. À ce stade, l'évaluation du succès ne peut porter que sur l'identification des processus nationaux qui jettent les bases d'une action nationale efficace.

Les JETP sont une histoire d'intégration, de gouvernance et de capacités, qui souligne leur valeur. Par intégration, nous entendons la construction d'un récit de développement qui ancre les plans de transition énergétique dans les priorités nationales de développement. Ce discours doit s'adresser aux parties prenantes nationales, car il se heurte parfois à une vision plus étroite du climat et de l'énergie promue par les pays contributeurs, comme on l'a vu par exemple dans le contexte africain. Les approches JETP ont été perçues comme trop restrictives par les gouvernements bénéficiaires et/ou la société civile en termes de ce qui peut être financé : trop souvent, les objectifs d'amélioration de l'accès à l'énergie ou de la sécurité alimentaire et hydrique, ou l'innovation locale, le développement de la chaîne de valeur, l'industrialisation et la création d'emplois sont absents alors que l'aide sous forme de subventions ou le financement concessionnel est insuffisant pour accompagner et soutenir de nouvelles approches socialement justes et des changements de politique favorables. En Indonésie, une approche plus large pourrait se concentrer sur la nécessité de développer les capacités et les technologies nécessaires pour rendre les sources d'énergie renouvelables compétitives, ainsi que sur la façon pour le pays d'examiner les structures et la conception des tarifs, ou d'obtenir des allocations gratuites d'électricité de base pour les ménages. Au Sénégal, l'accès à l'énergie est une question clé, qui a été mise au cœur de l’approche JETP. Reconnaître que l'Afrique a le plus grand déficit d'accès à l'énergie au monde et que la plupart des systèmes énergétiques doivent encore être construits signifie que l'accès à l'énergie et la sécurité énergétique sont une priorité pour le continent et devraient être au cœur des récits JETP. Les parties prenantes dans les différents pays ont ainsi demandé une définition claire des problèmes et une orientation des objectifs clés de ces partenariats en vue d’un développement prospère et résiliente. Cela a nécessité l'identification en amont des transformations nécessaires et le développement d'une compréhension approfondie des obstacles critiques. Au Sénégal, ces éléments ont été fournis dans le cadre du processus mené par l’initiative Deep Decarbonization Pathways (DDP) qui alimente le développement d'une stratégie de long terme (LTS, ou LT-LEDS, en anglais) ; l'Afrique du Sud et l'Indonésie ont également été en mesure d'intégrer certaines de ces considérations grâce à leurs travaux antérieurs sur les LTS. Plus spécifiquement en Afrique du Sud, un travail approfondi a permis de préciser l'intention et la vision politique - même si les détails n'ont pas été entièrement envisagés ou planifiés - et la sélection des investissements a été considérée comme faisant partie de cette vision d'une transition à long terme, et pas seulement encadrée par des objectifs de réduction d’émissions à court terme.

Ces expériences nationales fournissent également des enseignements en matière de gouvernance, c'est-à-dire la mise en place de processus, de partenariats et d'institutions nationaux comme une base nécessaire à la mise en œuvre des politiques : définition d’un programme d’action, création de coalitions, suivi et coordination des mesures, mobilisation des parties prenantes, ou encore alignement des objectifs internationaux et nationaux. En Afrique du Sud, le JETP a lancé un débat national sur les diverses interprétations de la « transition juste ». Le président du pays a chargé une institution très respectée, la Commission présidentielle sur le climat, d'orchestrer cet effort de manière inclusive, ce qui constitue une innovation par rapport à la manière dont la politique climatique nationale a été menée jusqu'à présent. Le Plan d'investissement pour une transition énergétique juste est devenu l'expression, bien que partielle, de ces perspectives diverses. Le JETP sénégalais a pour sa part réussi à d'impliquer les principales parties prenantes nationales dans un dispositif de gouvernance institutionnelle sophistiqué mis en place pour le processus DDP : soit un programme scientifique développant des trajectoires de développement compatibles avec la lutte contre le changement climatique, coprésidé par le ministère de l'Énergie et le ministère de l'Environnement, ainsi qu'un comité stratégique rassemblant un éventail plus large de parties prenantes faisant autorité, y compris des ambassadeurs de haut niveau. La difficulté pourrait résider dans la capacité à assurer la continuité d'un tel processus au-delà de la présentation des stratégies de développement à long terme à la CCNUCC, afin de continuer à informer les plans d'investissement de manière légitime et cohérente. Dans ces pays, la gouvernance de la planification à long terme a été renforcée grâce aux processus JETP, mais il faut noter l'effet de levier que représente la possibilité de partir d'une gouvernance existante solide - et donc l'importance d'investir dans la préparation. Une gouvernance renforcée pourrait également améliorer la coordination afin d'éviter de retomber dans le piège d'une juxtaposition de projets, avec le risque de perdre la vision globale. La valeur ajoutée des JETP réside dans le fait qu’ils s'appuient sur des trajectoires stratégiques de long terme pour mieux comprendre quel type d'instrument financier (subventions, prêts concessionnels, garanties, prêts sur le marché des capitaux) devrait être utilisé pour financer telle ou telle activité spécifique, et quelle activité est nécessaire pour réaliser telle ou telle transformation finale. Un tel programme de transformation nécessite une gouvernance solide incluant toutes les parties prenantes concernées et ne peut s'appuyer sur des consultances étrangères ponctuelles. Le fait d'ancrer les accords JETP dans une gouvernance bien établie peut également faciliter le passage à la mise en œuvre une fois l'accord signé.

Enfin, les JETP ont démontré leur contribution au renforcement des capacités nationales, indispensables à toute transformation (Sokona, 2021). Ces partenariats peuvent en effet fournit un soutien, des outils et du temps aux pays concernés, afin de créer un plan de transformation énergétique à long terme sur plusieurs décennies. La production de données a constitué un énorme défi dans tous les pays : pour faire progresser les approches de modélisation, les experts nationaux sont invités à adopter une granularité spatiale ou temporelle plus élevée, et à élargir la portée de leur analyse pour couvrir les aspects clés d'une transition juste, tels que l'évaluation de l'impact sur les revenus des travailleurs miniers, ou les compétences requises pour transformer l'emploi, ou l'implication macroéconomique du renoncement à l'extraction et à l'utilisation des ressources fossiles. Les JETP montrent ainsi aux partenaires internationaux la pertinence d’investir dans des experts nationaux et des coalitions nationales multidisciplinaires. Mais il est important de noter que le renforcement des capacités ne peut s’opérer à sens unique : passer d'un financement par projet à un financement du changement de système exige également que les pays contributeurs réfléchissent à leurs processus et procédures existants afin de développer de nouvelles capacités. C'est précisément l'un des défis que la Banque mondiale a commencé à relever dans le cadre de sa nouvelle feuille de route (Evolution Roadmap).

Ces trois dimensions (intégration, gouvernance, capacités nationales) sont essentielles pour soutenir les transformations à long terme de manière systémique et constituent donc une réponse appropriée à l'une des principales lacunes des pratiques passées. Les expériences sur le terrain, différentes d'un pays à l'autre jusqu'à présent, constituent de solides arguments en faveur des JETP en ce qu’ils peuvent contribuer au renforcement des capacités à gouverner les transitions climatiques nationales axées sur le développement. Si les partenariats souhaitent mettre l'accent sur ce point, la mise en œuvre des JETP devrait évaluer ces résultats, ainsi que les mesures relatives à la mise en œuvre des projets et aux réductions d'émissions. Ces critères devraient également être envisagés pour construire les futurs JETP et les expériences émergentes dans tous les pays du JETP devraient alimenter activement la réforme structurelle de l'architecture financière mondiale en cours.

Les auteurs souhaitent remercier les experts qui ont participé à un récent atelier sur les JETP organisé par l’initiative Deep Decarbonization Pathways ; leurs idées et points de vue nous ont aidés à comprendre les différentes expériences nationales, et constituent le cœur de ce billet de blog. Ces experts sont : Lukytawati Anggreni, Rizaldi Boer, Herman Danel, Gelang Dewi, Swati Dsouza, Samba Fall, Amit Garg, Vibhuti Garg, Lauren Harry-Villain, Chuks Okereke, Annuri Rossita, Youba Sokona, Emily Tyler et Gigih Udi Atmo.