« La biodiversité, tout le monde s’en fiche » disait Nicolas Hulot le 21 mars à l’Assemblée nationale, cherchant à créer un « sursaut d’indignation » des députés à quelques semaines de la présentation d’un nouveau plan biodiversité pour la France. Mauvaise nouvelle : la France n’est pas un cas isolé. Bonne nouvelle : l’agenda international va produire l’opportunité d’un tel sursaut. 2020 est en effet une échéance majeure pour la biodiversité, tant pour la Convention sur la diversité biologique des Nations unies que pour les nombreuses grandes entreprises qui ont pris des engagements vis-à-vis de la communauté internationale. Face à un bilan qui risque d’être assez négatif, une nouvelle dynamique doit être trouvée : il faut à tout prix éviter de ne faire que reconduire le régime actuel d’engagements, certes ambitieux, mais difficiles à évaluer et qui ne favorisent pas la prise de responsabilité. Le chantier qui s’ouvre devra chercher à renouveler les termes de l’accord international et à les asseoir sur une dynamique d’engagements des entreprises, notamment en s’appuyant sur les enseignements de la négociation de l’Accord de Paris sur le climat.

2020 représente une échéance importante pour la biodiversité, à deux titres au moins : d’une part, ce sera l’année où sera dressé le bilan de la décennie 2010-2020 en matière de politiques de la biodiversité dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et des objectifs que les Parties ont signés en 2010, dits objectifs d’Aichi ; d’autre part, 2020 est aussi l’horizon auquel un certain nombre de grandes entreprises du secteur de l’agroalimentaire, du bois ou du caoutchouc, par ailleurs réunies au sein du Consumer Goods Forum et rejointes par le gouvernement américain et de nombreux autres acteurs au sein de la Tropical Forest Alliance 2020, se sont engagés à mettre en œuvre une politique d’approvisionnement « zéro déforestation ».

Dans le premier cas, les éléments avant-coureurs de bilan ne sont pas très positifs. Seul l’objectif de placer 17 % des terres sous un statut de protection environnementale (quel qu’il soit) devrait être tenu, ainsi que les objectifs de procédure (rapportage, élaboration de stratégies nationales, etc.). Dans le second cas, il est plus difficile encore de porter un regard évaluatif : des acteurs du secteur confirment que certaines grandes entreprises sont en train de « tracer » les produits de leurs chaînes d’approvisionnement pour en exclure ceux qui seraient issus de la déforestation. Mais la progression de celle-ci, et le report sur des écosystèmes à haute valeur comme le Cerrado brésilien ou le Chaco, notamment argentin, laissent penser que ces actions n’ont pas (encore ?) produit un changement des trajectoires à l’échelle des grands massifs forestiers ou des grands écosystèmes d’intérêt écologique – à quoi il faut ajouter la poursuite de l’effondrement de la biodiversité européenne, comme en témoignent les dernières alertes concernant les populations d’oiseaux et d’insectes.

Ne faire que constater le non-respect de la plupart des objectifs, et ne répondre à ce constat que par de nouveaux objectifs encore plus ambitieux pour 2030, sans changement de logique, mettrait à mal la crédibilité des engagements publics et privés

 

Il est temps de se saisir de ces sujets : à la veille de l’échéance et quand les évaluations précises arriveront, il sera trop tard pour prendre la mesure des insuffisances des régimes de gouvernance et des engagements, et pour mettre en chantier des réformes organisationnelles d’importance. Ne faire que constater le non-respect de la plupart des objectifs, et ne répondre à ce constat que par de nouveaux objectifs encore plus ambitieux pour 2030, sans changement de logique, mettrait à mal la crédibilité des engagements publics et privés, alors que les signaux s’accumulent depuis au moins le début des années 2000, et que déjà en 2002 les gouvernements s’étaient collectivement engagés à mettre fin à l’érosion de la biodiversité.

L’expérience des négociations pour parvenir à l’Accord de Paris sur le climat apporte quelques enseignements précieux à ce sujet. Notamment, elles ont montré l’importance – et la difficulté – d’articuler des engagements gouvernementaux individualisés, certes volontaires et relativement peu encadrés, et centrés sur la mise en œuvre des moyens d’une transition, avec un engagement planétaire de référence (pour le climat, la décarbonation des économies et le maintien du réchauffement climatique bien en-dessous de 2°C). Cette articulation permet d’une part de susciter, via notamment l’émulation, l’engagement étatique volontaire ; elle permet aussi de juger de l’adéquation de la somme des engagements collectifs à l’ampleur du défi (on sait que tel n’est pas le cas pour le climat). Elle sera difficile à trouver pour la biodiversité, mais elle fait partie des défis à relever.

Comme nous l’expliquons dans un Décryptage publié il y a quelques jours, ouvrir les chantiers pour la réforme de la gouvernance de la biodiversité devra s’organiser à trois échelles emboîtées : l’échelle du système des objectifs et des cibles, qu’il faudra profondément renouveler en évitant la perte de crédibilité d’objectifs trop flous ; l’échelle de la Convention elle-même, des engagements que les pays acceptent d’y prendre ; et l’échelle des instruments et initiatives juridiques ciblés (protocoles), qui pourraient être pris en association avec la CBD.

Quelles que soient les priorités ou les visions de ces questions, il reste que le rendez-vous de 2020 est crucial pour la crédibilité de la gouvernance internationale de la biodiversité. Une perte majeure de crédibilité de la CDB accréditerait l’idée que les politiques de la biodiversité ne doivent s’élaborer, s’évaluer et aussi se financer, qu’aux échelles nationales, sans référence globale permettant à chacun de s’estimer responsable des conséquences lointaines de ses choix, et d’en demander raison aux gouvernements et aux entreprises de tous types et de tous pays. La prochaine conférence de la CDB de la fin de cette année, qui se tiendra en Égypte, sera le dernier grand rendez-vous avant celle de Beijing en 2020. Il faut espérer, et travailler à produire un sursaut de la communauté internationale. Le souhait des pays hôtes de réussir leur accord, et notamment la volonté chinoise d’apparaître comme un leader de la diplomatie multilatérale, sera un point d’appui à mobiliser. Mais il faudra s’assurer que l’accord qui sera trouvé en 2020 soit fondé sur des engagements vraiment opératoires des Parties, et non sur un texte flou et sans portée politique.